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Chapitre 1: Approcher la relation de service par les dynamiques professionnelles 27

3.   Les dynamiques professionnelles de la relation de service 44

3.2.   La démarche novatrice d’Andrew Abbott 50

3.2.1.   Un travail de sociologue des professions 50

Andrew Abbott prend place, dans la sociologie des professions, en rupture avec les approches formalistes et téléologiques dominantes de la professionnalisation. Ces dernières cherchaient avant tout à dégager des modèles universels de professionnalisation des communautés de

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Stephen Barley et Gideon Kunda sont à notre connaissance parmi les seuls auteurs à l’utiliser dans l’étude du travail en contexte organisationnel (Barley & Kunda, 2001). Sylvain Bureau a fondé son analyse de la gestion des sites web sur le travail d’Abbott (Bureau, 2007). Le sociologue est par ailleurs mieux connu des gestionnaires pour ses réflexions méthodologiques, sur la question des séquences en particulier (Abbott, 1990). 32

La professionnalisation désigne le fait pour le groupe exerçant une activité donnée, d’acquérir le statut d’une profession.

praticiens33, privilégiant comme modèle de référence un petit groupe de professions déjà constituées, comme les médecins et les avocats – ce qui introduit un biais certain dans la notion de profession, qui peut favoriser des malentendus liés aux différences culturelles notamment.34 Ces approches se focalisaient pour certaines sur l’acquisition de caractéristiques formelles par les communautés de praticiens35, pour d’autres sur l’institutionnalisation et la standardisation d’un savoir en vue de l’exercice d’un monopole et l’obtention d’un statut social.36

Claude Dubar et Pierre Tripier, sociologues français, montrent bien la rupture opérée par Andrew Abbott par rapport à ces travaux antérieurs. « C’est faute d'avoir développé suffisamment [l’analyse de l’activité des professionnels] (objet de la psychologie du travail, et surtout de l'ergonomie) que, selon Abbott, les sociologues des professions ont eu trop tendance à s'enfermer dans des controverses stériles (fonctionnalisme / interactionnisme) ou des positions théoriques dogmatiques (néo-marxisme / néo-wébériannisme). » Et ils poursuivent en annonçant les intentions du sociologue américain : « Il est temps, selon l'auteur, de privilégier les recherches approfondies inductives et comparatives, pour faire avancer, d'une manière féconde (« redéfinir des vieux problèmes par de nouvelles voies »), la connaissance des mécanismes concrets du professionnalisme » (Dubar & Tripier, 2005, p. 136).

Procéder à une analyse du travail est, selon Andrew Abbott, la première des nécessités pour comprendre les mécanismes concrets du professionnalisme. Mais il ne se contente pas de se replacer dans la tradition de l’école de Chicago de l’analyse du travail.37 Il insère ses observations dans un cadre plus large, articulé sur la prise en charge d’un problème à résoudre

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Dans un premier temps, nous traduisons ainsi « occupational group », dans la mesure cela nous permet de distinguer « occupational groupe » du terme de sociologie des professions « profession ». Pour alléger la suite de la présentation des travaux d’Abbott, nous parlerons simplement de « profession », mais en gardant à l’esprit cette distinction qui permet de maintenir en suspens la question du niveau d’institutionnalisation d’une communauté de praticiens donnée. Elle est importante dans la mesure où elle correspond au souci d’Abbott de ne se restreindre aux groupes déjà reconnus comme profession (biais méthodologique déjà rappelé).

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Claude Dubar souligne que la tradition française notamment se distingue fortement de la tradition anglo- saxonne, plus familière aux gestionnaires, à travers par exemple la thématique, développée par Mintzberg, de la bureaucratie professionnelle (Dubar, 1994).

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Le courant dit de la « trait approach » avait pour ambition d’identifier les traits structurels permettant de distinguer les professions des autres communautés de praticiens. Ainsi, l’existence d’une profession était selon ces recherches fortement liées à l’élaboration d’un code éthique, d’une formation spécifique, à la protection légale du monopole de la profession, etc...

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On trouve notamment les travaux de Freidson et Larson, précédant de peu ceux d’Abbott. Nous ne listons pas tous les auteurs importants de la discipline, ce n’est pas le propos. Pour plus de précision, le lecteur peut se reporter aux belles premières pages (notamment la page 17) du Système des professions (Abbott, 1988), ou à la synthèse opérée par Claude Dubar et Pierre Tripier (Dubar & Tripier, 2005).

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Dont le représentant le plus fameux est le sociologue interactionniste Everett C. Hughes, qui a largement contribué à l’analyse sociologique des professions.

– l’alcoolisme est un exemple qu’il développe – ainsi qu’avec les autres groupes sociaux concernés par ce même problème. Procédant à des analyses historiques à un niveau macro, Andrew Abbott se donne les moyens de restituer l’évolution de systèmes entiers.

Voyons comment il s’y prend. Pour cela, nous plaçons à ce point une représentation graphique d’un « système des professions », reprenant de façon synthétique les différents principes d’analyse que nous développons ensuite de façon plus approfondie.

Figure 1: Représentation graphique d’un système des professions (adapté d'Abbott (1988))

Le schéma ci-dessus est une représentation graphique d’un « système des professions » générique, à partir des principes que nous allons expliciter. Le lecteur peut remarquer que la représentation graphique est assez commode et permet de cumuler en les articulant plusieurs principes d’analyse sans en passer par une complexité visuelle rebutante. Notons-le pour le moment, nous reviendrons plus tard à l’usage qui peut être fait du cadre conceptuel via ce type de représentation.

Sur ce schéma, nous trouvons les différents principes d’analyse du Système des professions. D’une part, au centre se trouve un problème à résoudre, et le lien (juridiction) des différents groupes professionnels à ce problème (leur caractéristique étant la réponse qu’ils lui apportent). D’autre part, la stabilisation du système, due à un double effet : la division du travail (arrangements) entre groupes professionnels ; la légitimation de cette division par des groupes extérieurs au système mais concernés par la résolution du problème (des audiences). Une représentation graphique de ce type est trop simplifiée pour suggérer les dynamiques d’évolution du système. Elle laisse donc de côté l’arrivée ou la disparition de groupes professionnels (effet de la concurrence), l’innovation relative aux réponses des groupes professionnels (l’innovation par inférence), ou encore l’impact des changements technologiques et des évolutions sociétales (facteurs externes d’évolution du système)... Nous développerons ces aspects de la sociologie d’Andrew Abbott ci-dessous.