• Aucun résultat trouvé

Le pilotage défaillant de la rencontre entre « relation de service » et « lutte

Chapitre 2: Quelle méthode pour rendre compte des dynamiques professionnelles de la

1.   Une « demande » à façonner 68

1.1.   Une opportunité d’observation 68

1.1.3.   Le pilotage défaillant de la rencontre entre « relation de service » et « lutte

D’une part, l’interrogation des commanditaires de la recherche concernait avant tout le réseau de surface. Ceci avait pour conséquence une focalisation sur la situation de ce réseau, qui se caractérisait au moment de la recherche par la coïncidence d’une nécessaire baisse de la fraude et de l’impératif d’une « meilleure » relation aux clients. C’est principalement cette tension entre deux objectifs stratégiques qui m’a permis de trouver une place dans l’organisation et un terrain d’observation au long cours.

D’autre part, la participation souhaitée des acteurs de la « lutte contre la fraude » aux progrès de l’entreprise en matière de « relation de service » n’allait pas sans difficultés. Le contexte institutionnel et social faisait du renouvellement de la « relation de service » une nécessité, mais la déclinaison de ce principe stratégique à l’intérieur des bus se heurtait à des logiques de métier et aux habitudes de terrain – et nous savons quelle importance le nouveau directeur du CSB accordait au « terrain ».

Comme nous le verrons, cette rencontre entre « relation de service » et « lutte contre la fraude » était à la fois inéluctable, car résultant de tendances lourdes dans l’histoire de la RATP, et inachevée, problématique, dans la mesure où nulle part elle n’était pensée de façon globale et cohérente. Il y avait en fait juxtaposition de deux exigences, sans que leur connexion soit explicitement mise à l’agenda de la RATP.

Ce qu’on apercevait, au premier regard, c’était plutôt un ensemble d’instances de pilotage partielles, d’expérimentations et de projets, sans véritable centre pour les coordonner. On pouvait en repérer au moins quatre :

- l’unité fonctionnelle « Relation de Service », basée au siège social (Lyon-Bercy), et qui cherchait les moyens d’ancrer une « nouvelle relation de service » sur le terrain, c’est-à-dire à la fois dans l’activité et dans l’attitude des agents au contact de la clientèle, par exemple par la certification évoquée dans le récit ;

- le Contrôle Service Bus, instance traditionnelle de lutte contre la fraude au département BUS, employant plusieurs centaines d’agents de contrôle qui couvrent l’ensemble du réseau de surface de la RATP, et prenant en charge la quasi-totalité du processus de gestion des infractions (depuis leur découverte à leur régularisation, éventuellement au Service Après Verbalisation) ;

- les expérimentations relatives aux activités de contrôle, comme le Nouveau Service Tram (NST) et le Service De Ligne (SDL), pérennisées mais dont la logique de service a vocation à rester exceptionnelle et attachée à des lignes à fort trafic (respectivement les lignes de Tramway et le TVM) ; elles fonctionnent grâce aux moyens humains (généralement une trentaine d’agents) détachés par le CSB et les centres bus (les machinistes-receveurs qui le souhaitent alternant alors avec la conduite) ;

- la « Bus Attitude », projet d’entreprise piloté par le département BUS, sur le point d’être généralisé lors de mes premiers contacts, mobilisant une grande partie des ressources humaines du CSB et des centres bus pour soutenir un effort d’amélioration de la relation de service à bord des bus, en opérant différemment du contrôle traditionnel, et en usant de l’affichage dans et sur les bus pour communiquer les nouvelles valeurs du « vivre-ensemble » sur le réseau de surface.

Les instances que nous avons listées n’avaient pas du tout le même statut, ni la même ancienneté ou le même poids à la RATP – ce qui était d’autant plus criant en l’absence d’un référent, reconnu de tous, des interactions des acteurs et des projets de la « relation de service » avec ceux de la « lutte contre la fraude ». Le mimétisme des personnages de notre récit est à cet égard frappant, le jeune chercheur comme le directeur nouvellement arrivé cherchant tous deux à bien se positionner dans le système formé par les acteurs en charge de la fraude.

Notons que ces instances contribuaient au pilotage de ma recherche, puisque mon tuteur était à l’origine des expérimentations « prospectives », et que les directeurs respectifs du CSB et de « Relation de Service » y participaient. L’imbrication de la « lutte contre la fraude » et la « relation de service » constituait un motif de perplexité pour mes commanditaires, et ce d’autant plus que la généralisation de la Bus Attitude connaissait des réticences de la part des agents du CSB.

Il s’agissait par ce projet de déployer sur le réseau de surface des équipes réduites (deux à quatre agents), dont le rôle consisterait à susciter la civilité à bord du bus, à améliorer la qualité de service et à fidéliser les clients. L’enjeu était de développer un certain type d’activité de contact avec la clientèle, dont le succès n’était toutefois pas garanti. Chacune des instances mentionnées était impliquée dans sa mise en œuvre.

Au CSB était demandé un effort conséquent de contribution à une activité en rupture avec le contrôle traditionnel, mais sans que pour autant soient revus à la baisse les objectifs de maîtrise du taux de fraude. En ce qui concerne l’unité « Relation de Service », elle voyait dans cette innovation la concrétisation de principes qu’elle défendait depuis une dizaine d’années.

Quant aux expérimentations, Service De Ligne et Nouveaux Services Tram, il y avait un enjeu fort de reconnaissance de la méthode innovante de contrôle dont ils procédaient, souvent moquée ou simplement ignorée par les agents du CSB.

La Bus Attitude se présentait ainsi comme une occasion unique de tester à grande échelle l’efficacité et la pertinence d’une activité de contact alternative, contribuant ainsi à l’évolution des interactions quotidiennes avec les usagers de la RATP. Les tensions liées à son déploiement, au niveau du « terrain » et dans le cadre de l’activité quotidienne des agents de contrôle, ont fourni une opportunité d’entrée à la RATP. J’ai ainsi débuté avec un questionnement portant sur les réticences des acteurs du CSB quant à la mise en œuvre de la Bus Attitude.