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Un texte inadapté aux lettres d’intention

Dans le document Les garanties indemnitaires (Page 75-80)

L’ORIGINALITÉ REVENDIQUÉE : L’OBLIGATION DE FAIRE OU DE NE PAS FAIRE DU GARANT

SPÉCIFICITÉ DE L’ENGAGEMENT

A. Un texte inadapté aux lettres d’intention

90. Plan – Un agent infiltré des services de renseignement sait bien que, si brillants que fussent ses états de service, il n’aura pas l’honneur d’une remise de décoration publique au milieu de sa carrière : cela risquerait de l’handicaper quelque peu dans l’accomplissement de ses missions ultérieures. C’est pourtant ce qui vient d’arriver aux lettres d’intention, qui ne pouvaient rendre leurs précieux services qu’au prix d’une discrétion minimale. Identifiées, nommées et accueillies au sein de la famille des sûretés personnelles, elles risquent de perdre une grande partie de leur utilité (1). Mais n’est-ce pas là une bonne nouvelle (2) ?

1. Une consécration fatale ?

91. L’autorisation du conseil dans la jurisprudence – Dans sa pureté originelle d’engagement informel, discret, paré de la seule honorabilité de son signataire, la lettre d’intention cherche à l’évidence l’ombre accueillante du

243 M. GRIMALDI (ss. la dir. de), rapport précité, p. 8. Sur cette consécration, V. : A. BAC, « La position

de la Fédération bancaire française sur le projet de réforme des sûretés », Dr. et Patr., sept. 2005, p. 98, qui indique que cette Fédération était opposée à l’introduction des lettres d’intention dans le Code civil (p. 99) ; S. JAMBORT, « Les lettres d’intention sont-elles mortes ? », Bull. Joly Soc., 2007, p. 669 ; P LE CANNU, « Les lettres d’intention conquises par le Code civil », RTD. com., 2006, p. 421 ; N. RONTCHEVSKY, « Les dispositions relatives au droit des sûretés personnelles », D., 2006, p. 1303, spéc. n° 12 s. ; P. SIMLER, « Le nouvel article 2322 du Code civil et le régime de la lettre d’intention », RJDA, 2008, p. 739.

droit cher à Jean Carbonnier244. Mais elle a bien vite été rattrapée par la juris-prudence, qui s’est demandé s’il ne fallait pas soumettre au moins certains de ces documents aux règles comptables et de droit des sociétés qui régissent les garanties245.

La Cour de cassation répondit de la manière suivante : « ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la lettre litigieuse contenait une obligation de résultat, dès lors qu’elle était de nature à rendre son auteur responsable des conséquences de la défaillance du débiteur, c’est à juste titre que la cour d’appel en a déduit que cette lettre était constitutive d’une garantie et, après avoir relevé que le signataire de l’engagement n’y avait pas été autorisé par le conseil d’administration, a décidé qu’elle était inopposable à [la société confortante] »246.

Cette formule semblait viser uniquement les obligations de résultat ou plutôt, en usant de la classification dégagée précédemment, les obligations satisfactoires247. Certains voulaient en conclure que les autres lettres échappaient à la procédure248. Une telle solution reposerait sur une vision technique et étroite de la sûreté personnelle, et serait condamnée par l’adoption d’une définition fonctionnelle249.

Sans doute sensible aux critiques, la Cour a retiré d’arrêts ultérieurs la référence à l’obligation de résultat250.

Puis survint l’épisode, déjà évoqué, de l’arrêt Sony251. On se souvient qu’il qualifiait l’engagement de « faire le nécessaire » d’obligation de moyens. Ici, c’est très expressément que la Cour en déduit : « ce dont il résultait qu’elle ne constituait pas une garantie au sens de l’article 98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessitait

244 J. CARBONNIER, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10e édition, 2001,

première partie : « Droit et non-droit ». En ce sens, R. BAILLOD, art. préc., n° 9 : « [...] les rédacteurs de lettres d’intention, soucieux de les faire échapper à l’emprise du droit, pourraient songer à inclure dans le document une manifestation de volonté optant explicitement pour le non-droit ».

245 V. supra, n° 65. Pour une brève histoire de la jurisprudence sur cette question, V. par ex. Y. PIETTE,

« Mystères et paradoxes des lettres de confort », Bull. Joly Soc., 2003, p. 528.

246 Cass. com., 23 oct. 1990, pourvoi n° 89-12924 : Bull. civ., IV, n° 256 ; JCP N, 1992, 242, note

C. LARROUMET ; RTD. com., 1991, 403, obs. Y. REINHARD ; D., 1992, somm., p. 34, obs.

M. VASSEUR. Pour d’autres références, V. par ex. P. SIMLER, op. cit., note n° 66 p. 1034.

247 En ce sens : L. AYNÈS et P. CROCQ, op. cit., n° 361. « La plénitude des pouvoirs du directeur

général est restreinte, s’agissant d’engager la société en qualité de garante, parce qu’il s’agit d’actes qui ne relèvent pas de l’exploitation habituelle d’une société anonyme et sont susceptibles de faire automatiquement rejaillir sur celle-ci les difficultés financières d’un tiers, le débiteur principal. Au contraire, si la société anonyme promet un comportement, une attitude, sans prendre l’engagement de payer à la place du débiteur [...], cet engagement, qui relève de la politique générale de la société mère, entre dans les attributions ordinaires de la direction générale ». Ce raisonnement relève peut-être d’une vision réductrice de la notion de garantie personnelle.

248 P. SIMLER, loc. cit., souligne qu’il s’agit d’une interprétation à considérer avec précaution. D’autres

auteurs sont plus affirmatifs, tels M. BOURASSIN, M.-N. JOBARD-BACHELLIER et V. BRÉMOND, n° 749, alors que les arrêts cités ne posent pas explicitement cette solution.

249 En ce sens, V. par ex. M. BOURASSIN, M.-N. JOBARD-BACHELLIER et V. BRÉMOND, op. cit.,

n° 767 : « [...] la lettre d’intention, quelles que soient les obligations qu’elle génère, a toujours, d’une part, pour objet d’augmenter la confiance du créancier à l’égard du débiteur, en rendant plus sûre la solvabilité de celui-ci à l’échéance du contrat principal, d’autre part, pour effet de procurer au créancier une P. DELEBECQUE. Pour d’autres références, V. par ex. P. SIMLER, op. cit., note n° 69 p. 1035.

251 Précité, V. supra, n° 81.

pas une autorisation préalable du conseil d’administration ». L’expression « faire le nécessaire » a ensuite été à nouveau qualifiée d’obligation de résultat252, mais les véritables obligations de moyens, dit-on, seraient restées hors du champ d’ap-plication des textes exigeant une autorisation du conseil dans les sociétés anonymes253.

Mais en soumettant ne serait-ce que certaines lettres d’intention à ces formalités, la jurisprudence annonçait déjà, selon certains le « chant du cygne » des lettres d’intention254. Restait à porter le coup de grâce.

92. L’autorisation du conseil depuis la consécration – De nombreux auteurs ont fait valoir que le nouvel article 2287-1 du Code civil compte désormais les lettres d’intention au nombre des « sûretés » pour affirmer que le débat est à présent tranché, dans le sens le plus défavorable aux confortants. Les sûretés étant comprises dans la dénomination « garantie », il n’est plus guère possible de considérer que les lettres d’intention ne font pas partie des « cautions, avals et garanties » visés par les textes255, peu important l’intensité de l’obligation qu’elles renferment. Le sort des lettres de confort, de toutes les lettres de confort, paraît scellé, et d’aucuns annoncent déjà leur « mort » juridique256. Mais d’autres tempèrent : « C’est oublier que l’application à peu près constante de cette exigence à celles constitutives d’obligations de résultat [...], qui sont indéniablement les plus nombreuses, n’a nullement dissuadé la pratique, dans le passé, de continuer à rédiger les lettres d’intention dans ces termes »257.

93. Conséquences de la consécration – Il faut bien reconnaître, tout de même, que les lettres d’intention perdent là ce qui était leur première raison d’être.

Les « objectifs internes » à la société258 ne peuvent plus être atteints. La deuxième raison d’être de ces documents, c’était leur moindre rigueur par rapport au cautionnement. Le confortant restait hors d’atteinte de la contrainte juridique, et, s’il était prêt à y perdre sa réputation, la main du bénéficiaire se refermait sur du vent.

Dans la mère patrie des comfort letters, la qualification d’engagement d’honneur prévaut encore souvent : ce n’est qu’avec prudence que le juge y verra une force obligatoire259. En droit français, la qualification de la lettre d’intention en obligation juridiquement contraignante tend à devenir le principe, spécialement depuis l’adoption de l’article 2322 du Code civil. Et les engagements de faire ou de ne pas faire, qui constituent l’archétype des lettres d’intention d’après ce texte, appellent

252 Ibid.

253 M. BOURASSIN, M.-N. JOBARD-BACHELLIER et V. BRÉMOND, op. cit., n° 766.

254 D. MAZEAUD, art. préc., n° 17 s.

255 En ce sens : N. RONTCHEVSKY, « Faire le nécessaire », art. préc., n° 14.

256 D. LEGEAIS, op. cit., n° 380 ; S. JAMBORT, art préc. Cela ne concernera toutefois que les lettres

souscrites après l’entrée en vigueur de la réforme, qui, conformément aux principes régissant l’application de la loi civile dans le temps, n’a pas d’effet immédiat s’agissant des contrats déjà en vigueur : cf. N. RONTCHEVSKY, « Les dispositions relatives au droit des sûretés personnelles », art.

préc., n° 16.

257 P. SIMLER, op. cit., n° 1014.

258 V. supra, n° 65.

259 O. MORÉTEAU, Droit anglais des affaires, Dalloz, 2000, n° 435. Adde, plus nuancé, M.

ELLAND-GOLDSMITH, « Comfort letters in english law and practice », RDAI, 1994, p. 527, spéc. n° 11.

l’application d’un régime qui peut se révéler plus dur, à certains égards, que celui du cautionnement260.

Il est donc tout à fait possible que des lettres d’intention continuent à être utilisées, mais force est de constater qu’elles n’auront plus grand-chose à voir avec le concept originel. Ne faut-il pas s’en féliciter ?

2. Une disparition opportune

94. Une atteinte à la liberté ? – La lettre d’intention pouvait apparaître, aux yeux de certains, comme une « sphère de liberté »261. Et ce d’autant plus que la nécessité d’une autorisation du conseil d’administration ou de surveillance, dans les sociétés anonymes – que la lettre d’intention permet de contourner – est regardée comme inique : « l’abrogation pure et simple de cette exigence », est, dit-on,

« souhaitée par la doctrine »262. De nombreux arguments sont avancés en ce sens263. Il est observé que la procédure ne concerne pas les sûretés réelles, tout aussi dangereuses ; qu’elle s’applique même aux relations mère-fille, dans lesquelles l’émission d’une lettre d’intention est finalement « la traduction d’une sorte d’obligation alimentaire »264 ; qu’il s’agit d’une « spécificité française »265 ; qu’elle

« constitue une restriction aux pouvoirs légaux des dirigeants alors que ce dernier bénéficie normalement d’une grande latitude pour agir en toute circonstance au nom de la société »266, etc.

95. Le retour de la régulation – Cette attraction pour le modèle anglais, dans lequel la procédure d’autorisation des garanties n’existe pas, et dans lequel les lettres d’intention permettent aujourd’hui encore de contourner les exigences comptables, semble à présent anachronique : la crise financière est passée par là.

Alors que les principes de « corporate governance » semblent avoir échoué, dans les pays anglo-saxons, à mettre en place des contre-pouvoirs effectifs face aux puissants dirigeants sociaux, faut-il renoncer à soumettre cet acte dangereux qu’est la fourniture de garanties à une instance de contrôle ? Il est répondu que si l’acte est bien dangereux, il ne l’est « pas davantage que bien d’autres actes que les dirigeants de sociétés par actions peuvent souscrire sans autorisation [...] »267. Mais le fait qu’il existe une longue liste d’actes graves passés sans contrôle est-il un argument pour en ajouter d’autres encore268 ?

260 V. infra, section 2, n° 108 s.

261 D. MAZEAUD, art. préc., n° 8. Il est difficile de dire si cet auteur regrette la disparition, qu’il annonce,

des lettres d’intention. Le ton est plus proche d’un simple constat.

262 P. SIMLER, op. cit., note n° 75, p. 1037. Cette revendication prend place dans un mouvement plus

large appelant à « une libéralisation du droit des sociétés » et regrettant son état actuel de

« réglementation excessive » (M. PARIENTE, « Les lettres d’intention », in Mélanges Guyon, Dalloz, 2003, p. 861).

263 S. JAMBORT, art. préc., n° 20 s., dresse un véritable réquisitoire.

264 L’expression est de M. COZIAN, F. DEBOISSY et A. VIANDIER, Droit des sociétés, Litec,

26e édition, 2013, n° 1617.

265 P. SIMLER, op. cit., n° 1014. Sur l’absence de cette formalité en droit anglais, V.

M.ELLAND-GOLDSMITH, art. préc., n° 5.

266 S. JAMBORT, art. préc., n° 24.

267 P. SIMLER, loc. cit.

268 En ce sens, B. DONDERO, « Réflexions sur les mécanismes d’autorisation des sûretés et garanties

consenties par les sociétés anonymes », D., 2004, p. 405 et 485, n° 28 : « Mais dans un contexte où les

Quant à l’absence d’inscription de ces engagements en annexe des documents compatbles, elle paraît plus que jamais condamnable. On a suffisamment applaudi les inventions des magiciens de la finance anglo-saxons, capables d’emboîter les titres les uns dans les autres comme des poupées gigognes, plongeant dans leur chapeau des portefeuilles de créances douteuses pour en retirer de respectables parts d’OPCVM. Il faudra des mois pour démêler l’écheveau et « nettoyer » les bilans des acteurs des marchés. D’ici là, la méfiance règne. Est-ce le moment d’encourager une autre invention anglo-saxonne qui permet de prendre des engagements financiers, pour n’importe quel montant, sans que cela n’apparaisse ni aux associés ni aux partenaires de la société269 ?

Il est d’ailleurs facile d’imaginer quels types de montages apparaitraient si l’on faisait une exception pour les rapports mère-fille, sous prétexte de les laisser exercer une noble « obligation alimentaire ». Il suffirait de créer des structures faiblement capitalisées, dans lesquelles seraient logées toutes les dettes que la mère veut dissimuler. Le créancier accepterait de contracter avec ces filiales à petite surface financière, sachant qu’une « grande signature » lui promet de se trouver derrière, prête à intervenir. Les dettes de la mère seraient ainsi transformées en simples « engagements d’honneur », tout aussi coûteux mais dont il serait toléré qu’ils n’apparaissent pas dans ses comptes. Bien sûr, l’écriture comptable finirait par apparaître, mais au dernier moment, celui du paiement effectif, violant ainsi le principe de sincérité du droit comptable.

96. La fin de l’ambiguïté – C’est à juste titre que la négociation des lettres d’intention a été comparée au « jeu du chat et de la souris », et qu’il a été ajouté, à propos du droit anglais : « [...] il est vrai que l’on voit proposer dans la pratique quotidienne des formulations que le négociateur a soigneusement créées dans l’idée de se ménager des possibilités de recours dont les virtualités ne seront pas évidentes à son interlocuteur, du moins l’espère-t-il. Cela n’est pas très sain. Non plus que la pratique, dont il serait naïf de penser qu’elle n’a jamais existé, consistant à créer un document qui, tout en ressemblant suffisamment peu à une caution classique pour ne pas appeler l’attention des contrôleurs comptables, en produit quasiment tous les effets »270. Il est tout aussi justifié d’accuser ces documents d’être atteints d’une

« ambiguïté congénitale »271. De deux choses l’une en effet : soit le rédacteur de la lettre d’intention a l’intention de se jouer du bénéficiaire en rédigeant un pseudo-engagement dont il invoquera plus tard le caractère évanescent ; soit il a l’intention d’assumer ses responsabilités en cas de défaut du conforté, et il doit pouvoir en

idées de la corporate governance se font entendre plus que jamais, et où l’on souhaite restituer aux actionnaires leur droit de contrôler la gestion des dirigeants, peut-on admettre une réduction des prérogatives des actionnaires – certes, exercées par le biais du conseil d’administration ou de surveillance – aussi importante que celle que constituerait l’abrogation [du dispositif de contrôle] ? Non, assurément ».

269 Le « caractère occulte » de certaines sûretés, dont l’impact éventuel sur le patrimoine du garant est

pourtant considérable, est dénoncé depuis longtemps : V. ainsi R. HOUIN, « L’évolution du droit des sûretés, exposé introductif », R.J. com., 1982, numéro spécial, p. 7, n° 3.

270 M. ELLAND-GOLDSMITH, art. préc., n° 30.

271 P. DUPICHOT, thèse préc., n° 402. Pour un florilège des qualificatifs peu aimables dont la lettre

d’intention a été affublée, V. X. BARRÉ, thèse préc., n° 1.

justifier en pleine lumière : devant les organes de contrôle de la société272, devant ses associés et partenaires via les documents comptables.

C’est ce type d’engagement, contracté en toute franchise, et qui peut revêtir une véritable originalité par rapport au cautionnement, qui pourrait être déversé dans le creuset de l’article 2322 du Code civil : un engagement de garant indemnitaire.

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