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La méthode obsolète : la protection des seules cautions

Dans le document Les garanties indemnitaires (Page 117-121)

L’ORIGINALITÉ CONTESTÉE : L’ASSIMILATION AU CAUTIONNEMENT

CRITIQUES FONDÉES SUR LE CARACTÈRE INSTITUTIONNALISÉ DU CONTRAT NOMMÉ

A. La méthode obsolète : la protection des seules cautions

177. Réglementation pléthorique – Il existe une multitude de textes de protection, qui visent parfois des catégories spéciales de garants considérées comme faibles et nécessitant une protection particulière. La caution est enroulée dans ces pages de codes comme dans une armure de papier, au risque d’étouffer le mécanisme. À ce stade, il n’est pas nécessaire de fournir une description totalement exhaustive des textes de protection443, mais plutôt un aperçu des méthodes du législateur en matière de protection des garants personnels.

178. Plan – Afin d’ordonner un minimum le foisonnement législatif à suivre, il sera procédé à l’examen de textes relatifs à la formation du contrat (1), puis à son exécution (2).

1. Formation du contrat

179. Les mentions manuscrites – L’engagement de la caution, au moins lorsqu’il garantit une obligation principale de payer, est lui-même un engagement de payer, qui revêt de surcroît un caractère unilatéral. À ce titre, il est soumis aux exigences de preuve de l’article 1326 du Code civil, disposition qui fut un temps instrumentalisée par la jurisprudence et transformée en formalité requise ad validitatem444. Il a été affirmé par plusieurs auteurs que l’article 1326, alors même qu’il n’est pas une disposition spéciale au cautionnement, n’est pas applicable aux garanties indemnitaires : en effet, elles ne constituent jamais des obligations de payer, mais plutôt des obligations de faire ou de ne pas faire445.

Mais il faut s’intéresser davantage, ici, aux mentions spéciales inventées par le législateur pour se substituer à l’application de l’article 1326 C. civ. dans un certain nombre de situations à l’importance pratique considérable. Ainsi, les articles L. 313-7 et L. 313-8 du Code de la consommation prescrivent quelles mentions doivent, à peine de nullité, précéder la signature de la caution personne physique en matière de crédits à la consommation et de crédits immobiliers aux particuliers. Ces textes ont une vocation pédagogique, car ils expliquent au garant que se porter caution, c’est « s’engager à rembourser au prêteur les sommes dues sur ses revenus et biens » ; renoncer au bénéfice de discussion, c’est « rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement » le débiteur principal. Un cours accéléré – un peu tardif peut-être – de droit du cautionnement, en somme, afin que le

qui sont tributaires du caractère accessoire du cautionnement et celles tenant à sa nature de sûreté personnelle » (P. SIMLER et P. DELEBECQUE, op. cit. n° 36).

443 Ces questions se retrouveront toutefois au stade de la description du régime des garanties

indemnitaires : V. infra, titre premier de la seconde partie.

444 Pour une description de cette épopée jurisprudentielle, V. par ex. P. SIMLER, op. cit., n° 369 s., spéc.

n° 393 s.

445 Sur cette question, V. infra, n° 227.

signataire comprenne ce à quoi il s’engage. Le souscripteur d’une autre garantie n’aurait-il pas besoin, a fortiori même si la sûreté est plus rigoureuse, d’être renseigné de la sorte ? Il est important de noter que la mention manuscrite doit comporter la limitation du cautionnement dans son montant et dans sa durée, ce qui impose indirectement mais nécessairement de prévoir de telles limites, alors qu’elles ne sont pas nécessaires en droit commun.

Ensuite, selon une méthode qui lui est, hélas, familière, le législateur a édicté un autre texte avec un champ d’application plus large, sans toutefois supprimer le précédent. Ainsi, les articles L. 341-2 et 341-3 du Code de la consommation, issus de la loi « Dutreil » du 1er août 2003, prescrivent-ils que les mêmes mentions figurent dans l’acte signé par une personne physique qui s’engage sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel.

Enfin, il faut citer, en matière de baux d’habitation, l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 telle qu’elle a été modifiée par la loi du 21 juillet 1994446. La caution doit prendre conscience, toujours à peine de nullité447, de la portée de son engagement, qualitativement – comprendre ce qu’implique le mécanisme du cautionnement – et quantitativement – le montant du loyer et ses conditions de révision sont mentionnés. Le législateur impose, de surcroît, la reproduction exacte d’un texte rappelant la faculté de résiliation dont bénéficie le garant dans un cautionnement indéterminé. Mais le rappel figurera même dans les actes de cautionnement à durée déterminée, ce qui risque de troubler le garant plutôt que de l’éclairer448 ! La pédagogie est un art subtil.

180. Les époux communs en biens – Une autre disposition relative à la formation du contrat de sûreté personnelle vise le cautionnement et lui seul : l’article 1415 du Code civil. Selon ce texte, « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». Ici encore, il est tentant de mettre en œuvre un raisonnement a fortiori et d’estimer que ce texte est d’autant plus nécessaire en présence d’une garantie plus sévère. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la jurisprudence, qui a choisi d’y soumettre l’aval449, mais aussi et surtout les garanties autonomes450.

446 Sur les très nombreux problèmes posés par l’application de ce texte, V. P. SIMLER, « Un peu de

formalisme protège, trop de formalisme opprime et spolie. L’exemple de l’article 22-2 de la loi du 6 juillet 1989 », in Mélanges Wiederkehr, Dalloz, 2009, p. 753.

447 Il n’y a même pas besoin d’établir que la caution a subi un grief du fait de l’absence de la mention telle

qu’elle est prévue par la loi, pour que la nullité soit prononcée. Cass. 3e civ., 8 mars 2006, pourvoi n° 05-11042 : Bull. civ., III, n° 59 ; JCP G, 2006, I, 195, n° 3, obs. P. SIMLER ; JCP G, 2006, II, 10131, note E. BAZIN ; D., 2006, IR, p. 808; obs. Y. ROUQUET ; RDBF, mai-juin 2006, n° 95, obs. A. CERLES ; RDC, 2006, n° 3, p. 749, obs. G. LARDEUX ; RTD. civ., 2006, p. 797, obs. P. CROCQ.

448 Cela a été expressément jugé par Cass. 3e civ., 27 sept. 2006, pourvoi n° 05-17804 : Bull. civ., III, n° 187 ; JCP G, 2006, I, 195, n° 2, obs. P. SIMLER. La Cour applique ici, sans le viser, l’adage selon lequel là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

449 Cass. com., 4 févr. 1997, pourvoi n° 94-19908 : Bull. civ., IV, n° 39 ; JCP G, 1997, II, 22922, note

Cette disposition tend donc à être interprétée d’une manière très extensive451. 181. Contrôle de proportionnalité – Ici encore, le législateur a commencé par protéger la caution personne physique garantissant un crédit à la consommation ou un crédit immobilier aux particuliers (art. L. 313-10 C. conso.)452. Le bénéficiaire perd la possibilité de réclamer la garantie si « l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à ses obligations ».

Cette disposition inspira la Cour de cassation, qui rendit quelques années plus tard un arrêt « Macron »453 bien connu. Un dirigeant avait souscrit un aval, équivalent cambiaire du cautionnement, pour garantir les dettes de sa société à hauteur de 20 millions de francs. Ni son revenu, 37550 francs mensuels, ni son patrimoine, d’un peu moins de 4 millions de francs, n’étaient négligeables. La cour d’appel est toutefois approuvée par la Cour de cassation d’avoir considéré l’aval comme « manifestement disproportionné » en raison de « l’énormité de la somme garantie par une personne physique ». Il faut souligner ici que le patrimoine de certaines personnes physiques n’a rien à envier à celui de sociétés de grande importance : la formule est étrangement choisie. Cela n’empêchait pas d’estimer, en l’espèce, que « dans les circonstances de fait, exclusives de toute bonne foi de la part

n° 133, obs. D. LEGEAIS ; RTD. civ., 2006, p. 592, obs. P. CROCQ ; Dr. famille, sept. 2006, n° 168, obs.

B. BEIGNIER ; RDC, avr. 2006, p. 1193, obs. D. HOUTCIEFF. Ici, la Cour justifie son raisonnement analogique : « ce texte est applicable à la garantie à première demande qui, comme le cautionnement, est une sûreté personnelle, laquelle consiste en un engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme déterminée, et est donc de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté ». L’argument décisif est donc la nature de sûreté personnelle de la garantie autonome.

451 F. JACOB et N. RONTCHEVSKY, « L’application de l’article 1415 du Code civil aux garanties », in

Mélanges AEDBF-France, t. 3, Banque éditeur, 2001, p. 197. Cet article discute du champ d’application du texte de manière générale, mais s’arrête particulièrement sur le cautionnement réel. Les grandes lignes de l’évolution de cette question peuvent être rappelées. La Première chambre civile de la Cour de cassation avait appliqué l’article 1415 à cette sûreté, alors même que l’objectif du texte est de limiter le gage du créancier cautionné par un seul époux ; or, le cautionnement réel consiste précisément, pour le garant, à n’engager qu’un ou plusieurs biens au soutien de la dette (P. SIMLER, op. cit., n° 21). La Chambre commerciale, de son côté, développa une analyse du mécanisme insistant sur son aspect réel, dans une affaire ne concernant pas l’article 1415, mais d’une manière qui contredisait clairement son homologue civile (Cass. com., 24 sept. 2003, pourvoi n° 00-20504, inédit : JCP G, 2004, I, 141, n° 5, obs.

P. SIMLER). La Chambre mixte réunie pour arbitrer ce différend écarta l’application de l’article 1415, mais moyennant une motivation qui surprit bien des auteurs, remettant en cause le concept même de cautionnement réel – expression qui n’est plus employée : « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable » (Cass. ch. mixte, 2 déc. 2005, pourvoi n° 03-18210 : Bull. ch.

mixte, n° 7 ; JCP N, 2006, 1009, note P. SIMLER ; JCP E, 2006, 1056, note S. PIEDELIÈVRE ; D., 2006, jur., p. 729, avis J. SAINTE-ROSE et note L. AYNÈS ; Banque et Droit, janv.-févr., 2006, p. 55, obs. F. JACOB ; Defrénois, 2006, p. 1600, obs. G. CHAMPENOIS).

452 Cette disposition a été introduite, pour la première fois, par une loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989

relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des

de la banque, cette dernière avait commis une faute en demandant un tel aval, “sans aucun rapport” avec le patrimoine et les revenus de l’avaliste ».

C’est donc la mauvaise foi de la banque qui fut mise en évidence : elle constituait une faute454, qui entraîna la condamnation à 15 millions de francs de dommages et intérêts. Par compensation, la dette de l’avaliste se trouva réduite d’autant.

La Cour de cassation sembla ensuite faire marche arrière dans un arrêt lui aussi bien connu, « Nahoum »455, mais il apparut dans l’évolution ultérieure de la jurisprudence qu’il s’agissait plutôt d’écarter les cautions dirigeantes de cette protection456.

Le législateur, dans la loi « Dutreil » du 1er août 2003, fit sienne cette volonté de généraliser le contrôle de la proportionnalité du cautionnement aux facultés du débiteur. Il reprit l’exigence figurant à l’article L. 313-10 C. conso. en élargissant le champ d’application aux cautionnements souscrits par toute personne physique au bénéfice d’un créancier professionnel (art. L. 341-4 C. conso.)457. Suivant la même méthode qu’en matière de mentions manuscrites, il évita soigneusement de supprimer la première disposition, devenue pourtant inutile. Les dirigeants, évincés par la jurisprudence du bénéfice de sa protection, peuvent donc à présent s’abriter sous l’égide du... Code de la consommation : étrange conception du consommateur.

Encore une fois, en tout cas, il est surprenant que ce type de disposition ne puisse bénéficier qu’à une caution. Les enjeux sont sans lien avec ce qui donne au cautionnement sa physionomie unique : le caractère accessoire renforcé.

2. Exécution du contrat

182. Obligations d’information – Le droit commun des obligations justifie-t-il, à lui seul, que la caution bénéficie d’une information durant la vie du contrat ? Après avoir répondu par la négative458, des auteurs tempèrent : « Cependant, la loyauté et la bonne foi doivent, comme dans tout contrat, présider aux relations entre le créancier et la caution [...]. Si le manquement a lieu en cours de contrat, le créancier engage sa responsabilité »459. La bonne foi fait donc une nouvelle apparition comme fondement possible d’une protection dont bénéficient les cautions.

Mais dans cette matière encore, des textes spéciaux sont intervenus. Et de quelle manière ! Contemplant le résultat, des auteurs se désolent : « Un tel foisonnement d’obligations d’information, dont plusieurs ont approximativement le

454 Résultant d’un comportement déloyal précédant la signature du contrat, on peut se demander si la faute

n’est pas de nature délictuelle. En ce sens : L. AYNÈS et P. CROCQ, op. cit., n° 298.

455 Cass. com., 8 oct. 2002, pourvoi n° 99-18619 : Bull. civ., IV, n° 136 ; Defrénois, 2003, n° 22, p. 411,

obs. P. THÉRY ; RTD. civ., 2003, p. 125, obs. P. CROCQ ; D., 2003, p. 414, note C. KOERING ; JCP E, 2003, p. 1920, note D. LEGEAIS ; JCP G, 2003, II, 10017, note Y. PICOD ; Banque et Droit, janv.-févr.

2003, p. 52, obs. F. JACOB ; JCP E, 2003, p. 706, obs. J.-J. CAUSSAIN, F. DEBOISSY et G. WICKER.

456 V. par ex. P. DUPICHOT, thèse préc., n° 109 ; P. SIMLER, op. cit., n° 461 s.

457 P. SIMLER, op. cit., n° 249, fait remarquer que : « L’extension jurisprudentielle du principe de

proportionnalité conserve cependant un intérêt marginal pour les cautionnements n’entrant pas dans le champ d’application de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, en particulier si le créancier n’est pas “professionnel” ».

458 V. pourtant, au stade de la formation du contrat, les solutions retenues sur le fondement du droit

commun : infra, n° 196.

459 P. SIMLER et P. DELEBECQUE, op. cit., n° 152, a). Adde les réf. citées.

même objet et partiellement le même champ d’application, constitue l’illustration paroxystique d’une méthode législative détestable, placée sous le signe de l’impro-visation la plus incohérente »460. Le constat n’est pas trop sévère, et il est unanimement partagé461. Plonger dans un tel dédale est impossible, sans le fil d’Ariane d’un solide manuel : plus que jamais, le mythe de la loi compréhensible par tout justiciable s’effondre. Il ne servirait à rien, ici, de se lancer sur le chemin de croix que constitue la description de ces textes hétéroclites462. Certains ont pour objet une information sur l’encours de la dette principale463, d’autres visent à avertir la caution du premier incident de paiement du débiteur principal464.

Il a été remarqué que : « dans les quatre textes imposant l’obligation d’infor-mation annuelle, six critères d’applications sont mis en œuvre : la qualité de la caution (personne physique ou morale), la qualité du créancier (professionnel ou non), la qualité du débiteur (particulier, entrepreneur individuel ou entreprise), la nature de la dette principale (« concours financier » ou « dette contractuelle professionnelle » ou encore crédit régi par le Code de la consommation), le montant du cautionnement (défini ou indéfini) et la durée du cautionnement (déterminée ou non) »465. Il serait possible pour une entreprise de services informatiques de concevoir un logiciel indiquant au créancier, au terme d’une longue série de questions, quels sont les textes applicables dans sa situation.

Une remarque déjà plusieurs fois formulée s’impose, ici encore : si on laisse de côté sa traduction technique désastreuse, ce type de protection mérite-t-il de bénéficier uniquement à une caution ?

À cette question, une réponse négative a été apportée dans d’autres domaines.

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