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La doctrine opposée à la fonction de garantie

Dans le document Les garanties indemnitaires (Page 52-57)

L’ORIGINALITÉ REVENDIQUÉE : L’OBLIGATION DE FAIRE OU DE NE PAS FAIRE DU GARANT

SPÉCIFICITÉ DE L’ENGAGEMENT

A. La doctrine opposée à la fonction de garantie

49. Plan – Une partie de la doctrine rejette l’idée que le mécanisme du porte-fort puisse servir à autre chose qu’à promettre la ratification d’un acte passé sans pouvoirs (1). Il est alors logique de nier tout lien avec le cautionnement (2).

120 E. GAUDEMET, op. cit., p. 237.

121 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil français, LGDJ, 4e édition, 1871,t. 4, note n° 4 p. 306.

122 Ibid., p. 306. Dans le même sens : K.-S. ZACHARIÆ, Le droit civil français, t. 3, éd. Auguste Durand,

1857, note n° 9 p. 364.

123 Alors même, on l’a vu, qu’il attirait l’attention de son lecteur sur les aspects archaïques de cette

transposition des textes romains.

124 L. BARDE et G. BAUDRY-LANCANTINERIE, Traité théorique et pratique de droit civil, Des

obligations, t. 1, Librairie de la société du recueil général des lois et des arrêts, 1897, n° 131.

1. Rejet de la généralité du mécanisme du porte-fort

50. Exclusion implicite de la fonction de garantie – Il ne faudrait pas croire que la doctrine classique qui va être ici exposée condamne toujours expressément l’utilisation du porte-fort comme sûreté : le plus souvent, elle ne se pose tout simplement pas la question. Mais, lorsqu’elle présente ce mécanisme comme ayant pour unique intérêt de promettre une ratification, elle élimine une prémisse nécessaire à la démonstration de l’existence d’un porte-fort d’exécution.

L’objection n’est donc qu’implicite ; elle n’en est pas moins fondamentale. Une partie importante des auteurs va donc présenter l’article 1120 comme n’ayant qu’une seule utilisation. Faut-il s’en étonner ? Domat tenait déjà ce discours avant même le Code civil125, et tout, dans la rédaction ambigüe de cette disposition, pousse à la méprise.

La définition de Planiol et Ripert illustre très nettement cette position : « Une personne se porte fort pour une autre quand elle promet que la personne dont elle parle consentira comme elle à la convention qu’elle passe »126. Mais alors, comment expliquer que le texte contienne une alternative : se porter fort ou promettre de faire ratifier ? Aubry et Rau proposent une explication compatible avec l’interprétation restrictive du texte : « On peut distinguer, comme le fait l’art. 1120, l’engagement de procurer de la part du tiers dont on a promis le fait, la déclaration qu’il exécutera l’obligation contractée à sa charge, et l’engagement de faire ratifier par lui une convention antérieure ou un acte quelconque ; mais, au fond, ce dernier engagement constitue, comme le premier, un engagement de porte-fort, et, d’un autre côté, la déclaration du tiers qu’il entend exécuter l’obligation contractée à sa charge, est une ratification de ce qui a été promis »127.

De ce passage un peu obscur, il faut comprendre que l’exécution n’est, pour le tiers, qu’une manière implicite de ratifier la convention passée pour lui sans pouvoirs. S’il l’exécute, c’est bien qu’il l’approuve : immédiatement, le promettant est libéré. Le reste ne le concerne plus, en particulier la question de savoir si l’exécution sera correcte ou défectueuse. Ce ne serait, en somme, qu’un rappel de ce que le droit français est consensualiste128. Il n’y a pas de raison que la ratification d’un contrat passé initialement sans pouvoirs échappe à la règle. Mais l’article 1120 aurait-il pris la peine de rappeler une telle évidence ? Baudry-Lacantinerie va pourtant dans le même sens : « Le porte-fort est libéré, dès que le tiers s’est engagé à faire ce qui a été promis pour lui, dès qu’il a consenti à tenir l’engagement, comme le dit l’art. 1120 : tenir l’engagement, c’est se l’approprier »129. Le moins que l’on

125 V. supra, n° 36.

126 M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., n° 1020. Pour une définition tout aussi stricte, V. par ex.

C. CODREANU, La convention de porte-fort, thèse Paris, 1932, p. 6.

127 C. AUBRY et C. RAU, op. cit., note n° 3, p. 306. Il faut préciser que, si Aubry et Rau semblent se

rallier à l’interprétation étroite de l’article 1120, ils renvoient dans une note de bas de page (n° 9 p. 307) à l’opinion de Demolombe selon laquelle l’engagement de porte-fort pourrait s’étendre à l’exécution. Sur cette opinion de Demolombe, V. infra, n° 55.

128 Sur la signification de ce principe, V. par ex. Y. LEQUETTE, P. SIMLER et F. TERRÉ, op. cit.,

n° 128.

129 L. BARDE et G. BAUDRY-LACANTINERIE, op. cit., n° 132.

puisse dire est que, si tel est bien le sens de l’expression – ce dont il est permis de douter –, elle est fort maladroitement choisie130.

51. Exclusion explicite de la fonction de garantie – Quelques auteurs, tout de même, ont plaidé pour une interprétation restrictive de l’article 1120 du Code civil en ayant parfaitement en tête le débat sur une possible fonction de garantie : ils souhaitaient ainsi la rejeter. C’est le cas, bien entendu, d’auteurs contemporains, à présent que l’idée du porte-fort d’exécution a été largement diffusée dans la doctrine131. Mais c’était déjà le cas d’auteurs du début du 20e siècle. Ainsi, de Bellomayre, qui soutenait en 1907 une thèse sur le porte-fort : « [...] dans les mots

"celui qui s’est porté fort ou qui a promis de faire ratifier", il ne faut pas voir l’indication de deux degrés dans la responsabilité du porte-fort, car le législateur n’aurait pas mis en dernier lieu précisément l’obligation la moins étendue, et renversé l’ordre logique de la gradation. De plus, il faudrait après les mots « celui qui s’est porté fort » sous-entendre « de l’exécution », et rien n’autorise cette addition. Enfin, le législateur avait encore l’occasion de placer le mot exécution dans le dernier membre de la phrase, et de remplacer « si le tiers refuse de tenir l’engagement » par « si le tiers refuse d’exécuter l’engagement » ; ce qu’il n’a pas fait »132. L’auteur achève sa démonstration sur l’inévitable interprétation de la conjonction « ou » à la fin du texte : « Il est évident que les deux membres de phrase ont le même sens, et que le deuxième a pour but de préciser le premier »133. Mais il n’y a là aucune évidence : c’est tout l’enjeu du débat134.

Que l’on soit ou non convaincu par les partisans d’une interprétation restrictive de l’article 1120, il faut en tout cas reconnaître que la comparaison qu’ils opèrent entre porte-fort et cautionnement est parfaitement cohérente avec leurs opinions.

2. Distinction ferme d’avec le cautionnement

52. Le principe : délimitation claire des institutions – Puisque, sous la plume de ces auteurs, l’expression « porte-fort » est strictement équivalente à

« promesse de rapporter la ratification par un tiers d’un acte passé pour lui sans pouvoirs », les développements consacrés par Planiol et Ripert à la comparaison du porte-fort et du cautionnement ne sauraient surprendre. Il est presque étonnant qu’il soit nécessaire de les distinguer, mais « la caution est, comme le porte-fort, une

130 A. TAMBOISE note ainsi que : « Prendre un engagement est synonyme de s’engager, de contracter ;

tenir un engagement est synonyme d’exécuter, de tenir une promesse » (op. cit., p. 59). Puis, à propos de l’interprétation de BAUDRY-LACANTINERIE, il raille : « Façon commode de se débarrasser d’un mot encombrant ; et on chercherait vainement dans la langue française un autre cas où le mot tenir serait employé dans le même sens » (ibid., p. 60). Dans la doctrine contemporaine, le doyen SIMLER estime que : « Tenir un engagement est autre chose et plus que le ratifier » (P. DELEBECQUE et P. SIMLER, op. cit., n° 334).

131 V. supra, n° 22.

132 M. DE BELLOMAYRE, La promesse de porte-fort, thèse Paris, 1907, p. 20.

133 Ibid. Il est intéressant de noter que, à l’issue de cette sévère démonstration, l’auteur procède à une spectaculaire volte-face, en précisant que : « la volonté des parties est souveraine ; celles-ci peuvent déroger au principe et étendre expressément ou implicitement l’obligation du porte-fort qui se rapprocherait alors d’un cautionnement » (p. 22).

134 V. supra, n° 20 et s.

personne qui s’engage pour autrui »135. La ressemblance s’arrête là : « Le porte-fort promet seulement que le tiers, dont il se croit sûr, consentira à s’engager, à prendre pour lui le contrat qui a été fait [...]. Le porte-fort est donc libéré dès que cet engagement a été pris par le tiers : il n’est pas garant de son exécution. La caution, au contraire, se présente pour quelqu’un qui consent immédiatement à s’obliger, ou même qui l’est déjà, et elle garantit au créancier l’exécution de la dette. Elle s’engage à payer la dette d’autrui, si le débiteur ne satisfait pas lui-même à son obligation. Son engagement commence donc quand finit celui du porte-fort »136.

Il n’y a là rien de révolutionnaire, et personne ne niera qu’il s’agit très précisément des règles à appliquer lorsque le porte-fort concerne une ratification.

Mais d’autres auteurs ajouteraient que le promettant peut garantir l’exécution en lieu et place, ou en sus de la ratification. Planiol et Ripert, ne l’admettent pas, et c’est donc très logiquement qu’ils énoncent : « Une même personne peut consentir à jouer successivement les deux rôles et s’engager pour autrui, d’abord comme porte-fort, ensuite comme caution ; mais, même en ce cas, les deux obligations restent distinctes en sa personne »137. À chaque institution son territoire bien défini.

Troplong poursuit dans le détail la différence de régime des deux mécanismes, presque jusqu’à l’absurde : « 1° Quand on demande à un fidéjusseur l’accomplissement de sa promesse, il peut opposer l’exception de discussion. Quand on demande à un porte-fort de payer si mieux n’aime rapporter la ratification, point d’exception dilatoire de cette nature dans laquelle il lui soit permis de se réfugier.

2° Quand le fidéjusseur a payé ; il a contre le débiteur principal l’action mandati contraria, sous-entendue dans l’agissement. Quand le porte-fort a payé, et qu’il se trouve hors le cas où la negotium gestio est autorisée, il n’a pas d’action en indemnité contre le tiers, qui, ne lui ayant pas donné de mandat, est maître de refuser sa ratification. Il supporte la peine de son imprudence »138. Il n’est pas difficile de trouver des dissemblances à des institutions dont on a posé en principe que l’une d’elle est une sûreté personnelle et l’autre pas. L’exercice peut sembler vain.

Pourtant, poursuivre la lecture de Troplong un instant encore fait naître un doute : « 3° L’obligation du porte-fort n’est pas accessoire, comme la fidéjussion, à une obligation principale sur laquelle elle soit obligée de se modeler ; elle a toute la latitude d’une obligation principale. Ainsi donc, je peux m’obliger, sous 20 000 fr.

de dommages et intérêts, à procurer le fait de Sempronius qui n’est obligé qu’à beaucoup moins ; je suis maître de me placer dans une situation plus onéreuse que la sienne »139. Il est donc question de rapporter le fait d’une personne déjà obligée ! À l’évidence, l’exemple fourni ne relève pas de l’hypothèse classique du porte-fort de ratification. Faut-il comprendre que, dans certaines situations marginales, le porte-fort pourrait concerner la question de l’exécution de l’obligation ?

53. L’exception : le cautionnement d’un incapable – Troplong explique dans quelles circonstances le porte-fort peut intervenir alors même que le tiers est déjà débiteur d’une obligation : quand cette obligation est nulle. Il donne l’exemple

135 M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., n° 1023.

136 Ibid. Dans le même sens, V. par ex. F. CHABAS, H, J. et L. MAZEAUD, op. cit., n° 242.

137 Ibid.

138 R.-T. TROPLONG, Du cautionnement et des transactions ou commentaire des titres XIV et XV du

livre III du Code civil, éd. Charles Hingray, 1846, n° 33.

139 Ibid.

d’un engagement contracté sous la violence, et explique qu’une caution ne saurait en garantir l’exécution. « Car, enfin, à quoi tend sa fidéjussion ? À adhérer à la promesse [du débiteur principal], à la prendre pour [elle] telle qu’elle est : idem esse jubeo. Or, si l’obligation est nulle pour [le débiteur principal] par suite d’un vice intrinsèque, elle est également nulle pour sa caution, qui n’a accepté que cette obligation elle-même : idem »140. Il indique immédiatement la parade : « Mais si le cautionnement ne peut exister pour une telle obligation non valable, rien n’empêche de se porter fort pour la faire ratifier. [Le garant], par exemple, pourra promettre, sous peine de dommages et intérêts, que [le débiteur principal] approuvera plus tard, en connaissance de cause, ce qu’il a souscrit dans un moment où il n’était pas libre : ce sera là une obligation principale parfaitement valable »141.

Si cet exemple de promesse portant sur une obligation atteinte du vice de violence ne se retrouve plus dans la doctrine et la jurisprudence contemporaines, une analyse très comparable est développée s’agissant du cautionnement d’une obligation souscrite par un incapable. En effet, l’article 2289 du Code civil, après avoir posé en son alinéa premier que « Le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable », précise en son deuxième alinéa que cette exigence ne concerne pas les obligations pouvant être annulées par « une exception purement personnelle à l’obligé », et cite l’exemple de la minorité du débiteur principal. Cette règle appelle un double commentaire : l’alinéa 2 concerne toutes les formes d’incapacité, et pas seulement la minorité ; mais uniquement cela, aucune autre « exception purement personnelle » n’étant en réalité admise142. La doctrine contemporaine expose : « La dérogation aux principes régissant la matière est telle que, de l’avis unanime, la qualification même d’un tel engagement doit être remise en cause. Le procédé qui permet de consolider l’engagement d’un incapable est la promesse de porte-fort. Aussi reconnaît-on au cautionnement de l’incapable une double nature : promesse de porte-fort tant que l’incapable n’a pas ratifié valablement son propre engagement, cautionnement garantissant ensuite l’exécution de l’engagement ratifié »143. Pour cela, il faut que le garant ait eu conscience de l’incapacité qu’il s’apprêtait à couvrir144.

Voici qui explique que le porte-fort puisse être utilisé alors même que l’obligation principale existe déjà. Mais il ne s’agirait que d’une apparence d’obligation, qui ne vaudrait rien ou presque jusqu’à ce que le débiteur principal ait

« ratifié son propre engagement ». Ainsi, même les partisans d’une interprétation restreinte de l’article 1120 peuvent se rallier à l’analyse, qui ne heurte pas leurs convictions : c’est encore face à un porte-fort de ratification que l’on se trouve. Et lorsque, « ratifiée » par son débiteur même, l’obligation acquiert finalement quelque solidité, le porte-fort se mue aussitôt en un cautionnement des plus classiques. Un unique engagement de la part du garant est ainsi considéré, successivement et selon

140 Ibid., n° 30.

141 Ibid.

142 V. par ex. L. AYNÈS et P. CROCQ, op. cit., n° 139.

143 P. SIMLER et P. DELEBECQUE, op. cit., n° 111. Dans le même sens, V. not. : L. AYNÈS et

P. CROCQ, loc. cit. ; M. CABRILLAC, S. CABRILLAC, C. MOULY et P. PÉTEL, Droit des sûretés, Litec, 9e éd., 2010, n° 67 ; P. SIMLER, op. cit., n° 220 ; P. THÉRY, Sûretés et publicité foncière, PUF, 2e éd., 1998, n° 52. Contra : A.-S. BARTHEZ et D. HOUTCIEFF, Traité de droit civil, ss. la dir. de J. GHESTIN, Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 81.

144 Ibid., note n° 3 p. 97. Les arrêts cités montrent que la Cour de cassation n’a pas pris position sur ce

point précis.

les besoins, comme indépendant de l’obligation principale, puis comme accessoire.

Cette analyse dualiste est bien commode. Ne cache-t-elle pas, au fond, qu’il y a bien un lien entre le porte-fort et l’idée de garantie ?

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