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Critiques des remèdes au manquement contractuel

Dans le document Les garanties indemnitaires (Page 158-163)

L’ORIGINALITÉ CONTESTÉE : L’ASSIMILATION AU CAUTIONNEMENT

CRITIQUES FONDÉES SUR L’ABSENCE D’ORIGINALITÉ DU CONTRAT INNOMMÉ

B. Critiques des remèdes au manquement contractuel

257. La « présentation éclatée » des remèdes634 – Pour M. Tallon, le concept de responsabilité contractuelle a pour effet pervers de disperser la présentation des remèdes qui peuvent être apportés à l’inexécution du contrat. En effet, la responsabilité civile pour faute sera traitée comme un concept unitaire en un endroit des manuels de droit des obligations, tandis que les autres remèdes – exécution forcée, destruction de ce qui a été fait en contravention à un engagement de ne pas faire, résolution d’un contrat synallagmatique, exception d’inexécution, remèdes propres aux contrats spéciaux... – seront traités séparément, en divers endroits. L’effet est double, car à la dispersion il faut ajouter une valorisation considérée comme excessive de la responsabilité contractuelle par rapport aux autres remèdes. Mais il a été relevé que ces critiques sont avant tout d’ordre

631 G. VINEY, « La responsabilité contractuelle en question », art. préc., n° 22. Dans le même sens :

P. JOURDAIN, « Réflexion sur la notion de responsabilité contractuelle », art. préc., p. 70.

632 V. supra, n° 240 s.

633 Ainsi P. JOURDAIN remarque-t-il à juste titre que : « si parler de faute contractuelle n’ajoute rien,

cela ne nuit en rien. Il est sans inconvénient de dire que la faute est une condition de la responsabilité contractuelle si l’on admet, conformément à la définition classique de la faute, que l’inexécution de l’obligation constitue une faute » (art. préc., p. 71).

634 D. TALLON, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », art. préc., n° 4 s.

pédagogique635 et que la solution peut venir de la doctrine, sans qu’il soit nécessaire de toucher au fond du droit.

258. Plan – D’autres critiques, en revanche, touchent au contenu des concepts et non à leur seule présentation au sein des manuels (1). Peuvent-elles remettre en cause l’originalité des garanties indemnitaires satisfactoires (2) ?

1. Le débat

259. Les reproches – Pour les adversaires de la responsabilité contractuelle, les dommages et intérêts accordés à la victime de l’inexécution contractuelle

« procurent au créancier réclamant cette forme de satisfaction l’équivalent de ce que lui aurait procuré l’exécution en nature – mais rien de plus »636. Du moins, ce devrait être le cas. Aujourd’hui, ce qu’il faudrait ne considérer que comme une exécution par équivalent est traité comme une mesure de réparation. Or, « dire que les dommages et intérêts en matière contractuelle ont une fonction de réparation et non d’exécution, c’est [...] présupposer la création d’une obligation nouvelle »637, ce qui n’est pas acceptable car « considérer que la créance de dommages et intérêts est une créance nouvelle, distincte de l’obligation promise par le contrat, c’est considérer qu’on abandonne la force obligatoire du contrat chaque fois que des dommages et intérêts sont accordés »638.

Au-delà de cette renonciation symbolique à la si précieuse force obligatoire du contrat, la conception indemnitaire des dommages et intérêts provoquerait

« l’effacement de l’article 1150 par le principe de réparation »639. En effet, en matière de responsabilité délictuelle, qui sert de modèle, le principe est celui de la réparation intégrale du dommage, et il existerait par conséquent une tendance à oublier qu’il n’est pas dans la vocation des remèdes à l’inexécution du contrat d’aboutir à un tel résultat. À lire M. Rémy, il semble que même lorsque l’on n’oublie pas d’appliquer l’article 1150, on en fait un usage faussé : « [...] le

“dommage prévisible” n’est ni plus, ni autre chose que l’objet même de l’obligation inexécutée – l’avantage promis, et non reçu. L’explication moderne de ce texte fait au contraire de la prévisibilité une notion psychologique, en justifiant l’exigence de prévisibilité par la "volonté" implicite des parties qui auraient “prévu l’inexécution et tacitement envisagé ses conséquences” »640. Il faudrait ainsi réhabiliter la distinction autrefois présentée par Pothier entre dommages et intérêts

« intrinsèques », qui devraient être réparés, et ceux, « extrinsèques », qui n’auraient pas à l’être641.

260. Les répliques – M. Laithier a tenté récemment de modérer la soif d’exécution en nature qui semble s’être emparée d’une partie de la doctrine. Cette

635 G VINEY, art. préc., n° 18.

636 P. RÉMY, « La “responsabilité contractuelle” : histoire d’un faux concept », art. préc., n° 41.

637 P. RÉMY-CORLAY, « Exécution et réparation : deux concepts ? », RDC, 2005, n° 1, p. 13, V. p. 24.

638 Ibid., p. 25. Dans le même sens, V. P. RÉMY, art. préc., n° 43 : « [...] l’absorption du régime de

l’inexécution par la réparation entame profondément notre conception de la force obligatoire du contrat.

Car si toute l’exécution forcée devient réparation, il n’y a plus d’exécution que volontaire ».

639 P. RÉMY, loc. cit.

640 Ibid.

641 Ibid.

tendance peut être rapprochée des arguments, qui viennent d’être exposés, selon lesquels il faut à tout prix considérer que, même lorsque des dommages et intérêts sont versés, il ne s’agit encore que d’exécuter l’obligation contractuelle sous une entre la norme initiale et sa sanction [...]. En d’autres termes, dire que l’inexécution de l’obligation contractuelle est juridiquement sanctionnée, ce n’est pas dire qu’elle doit toujours, ni même par principe, être exécutée en nature par la force »642.

Voici qui rassurera les partisans de la responsabilité contractuelle : il est possible de prôner un remède à l’inexécution du contrat qui ne soit pas, en nature ou par équivalent, la pure exécution de l’obligation contractuelle originelle, sans pouvoir être accusé « de faire vaciller les colonnes du temple »643.

Ces préventions repoussées, on peut remarquer, avec M. Jourdain : « Dire que les dommages-intérêts représentent un mode d’exécution par équivalent n’est en réalité qu’une image ; à proprement parler, une telle exécution est inconcevable »644, car le créancier ne reçoit pas la prestation attendue. Mme Viney se demande ensuite s’il est « exact et opportun de refuser aux dommages et intérêts contractuels toute fonction indemnitaire et de les traiter comme un procédé d’exécution du contrat »645 L’auteur commence par faire remarquer, et doit nécessairement être approuvé, que dans le cas d’une obligation principale de faire ou de ne pas faire, les dommages et intérêts peuvent être considérés comme présentant « une fonction économique analogue à celle de l’exécution, mais cette analogie ne suffit nullement à l’identifier juridiquement à l’exécution »646.

En matière de dettes de somme d’argent, les dommages et intérêts peuvent en revanche être considérés comme une forme d’exécution du contrat. Mais la question se déplace alors sur le terrain des dommages causés au créancier par l’exécution tardive ou défectueuse : pour Mme Viney, les dommages et intérêts correspondants ne sont-ils pas nécessairement plus et autre chose qu’une pure exécution du contrat ? Pour mieux comprendre, il faut souligner que la proposition de M. Rémy visait principalement à renvoyer au domaine de la responsabilité délictuelle certaines obligations dont il conteste le caractère contractuel, principalement l’obligation de sécurité647. Mais il peut y avoir là un facteur de complication non négligeable648.

642 Y.-M. LAITHIER, « La prétendue primauté de l’exécution en nature », RDC, 2005, n° 1, p. 161, V.

p. 174 s.

643 Ibid., p. 173.

644 P. JOURDAIN, « Réflexion sur la notion de responsabilité contractuelle », art. préc., p. 69.

645 G. VINEY, « La responsabilité contractuelle en question », art. préc., p. 931.

646 Ibid., n° 11.

647 P. RÉMY, « La “responsabilité contractuelle” : histoire d’un faux concept », art. préc., n° 16 s. Sur

cette question, on ne manque jamais de citer la formule de Carbonnier : « Au surplus, ce que l’on appelle responsabilité contractuelle devrait être conçu comme quelque chose de très limité : l’obligation de pro-curer au créancier l’équivalent de l’intérêt (pécuniaire) qu’il attendait du contrat ; c’est artifice que de faire entrer là-dedans des bras cassés et des morts d’hommes ; les tragédies sont de la compétence des a.

1382 s. » (op. cit., n° 1211). Il serait inutile, dans le cadre de cette étude, de se concentrer longuement sur cette question, même si elle est l’un des moteurs principaux du débat sur la responsabilité contractuelle.

Les adversaires de la responsabilité contractuelle ont protesté. Ils demandent que leur pensée ne soit pas trahie : « Dire que les dommages et intérêts corres-pondent à “l’estimation de l’intérêt qu’a le créancier à l’exécution de l’obligation”

ne signifie pas cependant, contrairement à ce qu’ont l’air de penser certains, que les dommages et intérêts contractuels ne peuvent compenser que le prix de la chose objet du contrat »649. Mme Rémy-Corlay rappelle que l’article 1149 du Code civil exige que soient réparés le gain manqué et la perte subie. « Seulement, il faut distinguer selon que, comme le disait Pothier, ces dommages sont intrinsèques ou extrinsèques au contrat. Pour les premiers, les dommages et intérêts sont dus, car ils entrent normalement dans les prévisions des parties. Pour les seconds, il faut veiller à ce qu’ils soient entrés dans la sphère contractuelle [...] »650.

Mais cela ne revient-il pas à appliquer correctement les conceptions actuelles, en faisant jouer à l’article 1150 du Code civil le rôle que les partisans de la responsabilité contractuelle lui reconnaissent aussi ?

2. Les enseignements

261. Le rôle indemnitaire des dommages-intérêts – Ici encore, les théories des adversaires de la responsabilité contractuelle semblent devoir mener davantage à une correction des excès du système actuel qu’à sa remise en cause. Ainsi, il semble justifié d’insister sur la spécificité du contrat pour prôner une réparation du seul dommage prévisible plutôt qu’une réparation systématiquement intégrale du pré-judice subi par le cocontractant. Mais il ne semble pas qu’une lecture maximaliste de ces théories soit souhaitable, qui aboutirait à ce qu’une inexécution contractuelle provoque à la fois le versement de dommages et intérêts contractuels, purement compensatoires, et de dommages et intérêts délictuels, destinés à réparer les préju-dices non directement contractuels. La responsabilité contractuelle n’est pas encore morte.

262. Le rôle indemnitaire du fort – Le rôle indemnitaire du porte-fort d’exécution peut être mis en valeur grâce à un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996651. Par contrat à durée déterminée, la société Approchim avait confié à la société Eurocollect le transport de

648 V. ainsi l’exemple, imaginé par É. SAVAUX (art. préc., n° 41), d’une réparation défectueuse effectuée

par un garagiste qui provoque un accident dans lequel le propriétaire subit un préjudice corporel : « Seul le fait d’avoir mal effectué le travail intéresse l’exécution de l’obligation souscrite par le garagiste : réaliser une réparation. La perte du véhicule dans l’accident et le dommage corporel subi par son propriétaire ont leur source dans le fait que constitue la mauvaise exécution de cette obligation.

L’exécution par équivalent oblige alors à distinguer les différents types de “dommages”. Les dommages-intérêts contractuels ne peuvent compenser que la perte subie par le client pour avoir payé une mauvaise réparation le prix d’une bonne. Tout le reste devrait relever de la responsabilité délictuelle. La respon-sabilité contractuelle qui prend en charge l’ensemble des préjudices réalise une simplification opportune en réglant en même temps (et sans distinguer nettement, il est vrai), le problème de l’exécution et celui de la réparation des dommages causés par le fait de l’inexécution ».

649 P. RÉMY-CORLAY, « Exécution et réparation : deux concepts ? », art. préc., p. 28. L’auteur renvoie

en note à un passage de Mme VINEY mais il semble que l’exemple de M. SAVAUX relève également de l’interprétation dénoncée.

650 Ibid.

651 Cass. com., 22 oct. 1996, pourvoi n° 94-15410 : Bull. civ., IV, n° 260 ; RTD. civ., 1997, p. 439, note

P. JOURDAIN ; D., 1997, p. 173, note R. LIBCHABER ; RTD. com., 1997, p. 318, obs. B. BOULOC ; RTD. civ., 1997, p. 123, note J. MESTRE.

produits dangereux, fractionné en 50 voyages, pour un montant forfaitaire. Après 5 voyages, la société Approchim décida de « résilier » le contrat. Elle fut condamnée par les juges du fond à payer la totalité de la somme forfaitaire convenue. Cette décision fut cassée, au motif suivant : « en statuant ainsi alors que le prix, fût-il d’un montant forfaitairement convenu, n’était dû qu’en cas d’exécution de la convention, et qu’elle relevait que la société Approchim avait “résilié le contrat”, ce dont il résultait que, sauf existence d’une clause pénale, elle devait fixer le montant des dommages-intérêts dus par la société Approchim à la société Eurocollect, la cour d’appel a violé [l’article 1184 du Code civil] ».

Il a été reproché à cette décision d’autoriser une résiliation dans le cadre d’un contrat à durée déterminée652. Du point de vue de l’opportunité, cette solution serait critiquable en ce qu’elle ne permettrait pas au contrat de remplir son rôle d’acte de prévision : la société Eurocollect devait pouvoir compter sur la somme forfaitaire stipulée. Un autre auteur analyse toutefois la décision ainsi : « la Cour de cassation semble, en certaines circonstances, assez encline à faire application de la théorie anglo-saxonne de la violation efficace du contrat (efficient breach of contract) en permettant à un contractant de ne pas exécuter le contrat moyennant le paiement, non pas de la dette monétaire souscrite, mais seulement de dommages-intérêts.

L’exécution forcée cédant alors le pas à la réparation »653.

Si l’on se rallie à la première opinion, selon laquelle le débiteur principal aurait dû être amené à payer le prix promis654, il apparaît que cet arrêt fournit un exemple d’obligation principale monétaire qui pourrait faire l’objet d’un cautionnement ou d’un porte-fort d’exécution, avec des résultats très différents dans les deux cas655. La caution aurait eu à se substituer au débiteur principal en cas de défaillance, et aurait eu à débourser le prix de 50 voyages, tandis que le porte-fort aurait eu à indemniser le créancier du préjudice subi : le prix des 5 voyages effectués et, sans doute, les bénéfices attendus des 45 autres voyages, ce qui peut constituer une somme très inférieure au prix facturé. Les problématiques abordées dans le débat sur la responsabilité contractuelle prennent donc une coloration particulière lorsqu’elles sont étudiées sous l’angle des sûretés personnelles. Certains plaideront qu’il est normal, ici, que le débiteur principal puisse avoir à payer l’intégralité du prix promis, en tant qu’il est redevable de cette fameuse « exécution par équivalent » de l’obligation initialement souscrite. Mais il est également permis de trouver sain qu’un garant personnel n’ait pas à faire davantage, en cas de défaillance du débiteur principal, que de payer au créancier une indemnité compensatrice de son gain manqué.

652 En ce sens : P. JOURDAIN, note préc. et R. LIBCHABER, note préc. ; contra J. MESTRE, qui estime

qu’il était possible de voir dans cette affaire « un contrat-cadre, préludant à la conclusion ultérieure de contrats ponctuels de transport », qui pouvait être résilié.

653 P. PUIG, « Les techniques de préservation de l’exécution en nature », RDC, 2005, n° 1, p. 85, n° 22 ;

Adde Y.-M. LAITHIER « La prétendue primauté de l’exécution en nature », art. préc., p. 180 s., qui développe l’hypothèse d’une utilité économique de l’admission des « violations efficaces du contrat

».

654 Remarquons d’ailleurs que dans l’arrêt rendu sur le porte-fort d’exécution par la Chambre

com-merciale, le 18 décembre 2007 (V. supra, n° 229 s.), le pourvoi tentait d’affirmer que « le prix, serait-il forfaitairement convenu, n’est dû qu’en cas d’exécution de la convention ». L’argument, rejeté, se référait clairement à la jurisprudence Approchim. En ce sens : RJDA, 4/2008, n° 365.

655 Cela conformément à ce qu’affirmait M. SIMLER : V. supra, n° 147.

La preuve est faite, semble-t-il, que le porte-fort d’exécution est un mécanisme original même lorsqu’il s’agit de garantir le paiement d’une dette d’argent.

263. Le rôle indemnitaire du cautionnement ? – Toujours afin de contester l’originalité des garanties indemnitaires satisfactoires par rapport au cautionnement, un auteur a cependant fait valoir que le cautionnement lui-même peut présenter un certain caractère indemnitaire, notamment lorsque la caution s’engage de manière indéfinie656. L’article 2293 du Code civil dispose en effet que : « Le cautionnement indéfini d’une obligation principale s’étend à tous les accessoires de la dette, même aux frais de la première demande, et à tous ceux postérieurs à la dénonciation qui en est faite à la caution ». Il faut cette fois-ci imaginer que le créancier a subi un préjudice dont il réclame réparation en plus du paiement de la dette principale. Ces accessoires sont dus par le débiteur principal lui-même, ils seront donc dus par sa caution qui s’est engagée accessoirement et de manière indéfinie. Il s’agit sans doute, d’ailleurs, d’une manifestation de cette fameuse responsabilité contractuelle : le débiteur principal devra verser des dommages et intérêts correspondant à une exécution par équivalent, mais également des dommages et intérêts indemnitaires.

Le porte-fort d’exécution, dans une telle situation, sera redevable de la même somme vis-à-vis du créancier, mais parce que sa dette propre sera liquidée selon le même calcul. Mais deux mécanismes peuvent produire des effets similaires dans certains cas, sans pour autant que leur nature juridique ou leur objet soient identiques657.

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