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Un second élargissement par l’arrêt Effimieff

§ 3e : Une conception diversifiée du caractère public des travaux

C) Un second élargissement par l’arrêt Effimieff

120. L’arrêt Effimieff235 énonce que sont des travaux publics les travaux exécutés par une personne publique ou par son intermédiaire dans le cadre d’une mission de service public236, même lorsque ces travaux sont effectués pour le compte d’une personne privée237. La polémique a longtemps porté sur le fait de savoir si cet arrêt modifiait ou s’ajoutait à la définition de l’arrêt Commune de Monségur, d’aucuns238 estimant correspond à une époque postérieure qui a vu une baisse de la plance des travaux publics dans la définition des marchés.

233 R. CHAPUS, Op. Cit. 15e ed., n° 670 p. 553, fait remarquer que la notion d’intérêt général dans ce cas exclue l’intérêt financier de la personne publique (comme étant un intérêt patrimonial) alors que l’intérêt financier d’une personne publique fait habituellement partie de l’intérêt général.

234 P.-L. JOSSE « Coup d’arrêt à la dégradation continue de la notion de marché de travaux publics », EDCE 1956 p. 34

235 TC 28 mars 1955, Effimieff, rec. p. 617 ; JCP 1955.II.8786, note C BLAEVOET ; Rev. Adm. 1955 p. 285, note G. LIET-VEAUX ; AJDA 1955.II.332, note J.A. ; GAJA 14e ed. n° 74, p. 480.

236 Remarquons ici que l’activité de construction doit servir un service public existant et que l’on ne saurait qualifier de manière tautologique de travaux publics tous les travaux au prétexte qu’un travail public est, en soi et comme le prétendent certains auteurs (Cf. R. CAPITANT « La double notion de travaux publics », RDP 1929 p. 507), une activité de service public.

237 En réalité, cela ne concerne que ces travaux effectués pour le compte d’une personne privée, sinon l’on retombe dans le cas de Commune de Monségur et la condition de la réalisation dans un but de service public est surabondante puisque l’intérêt général suffit en fait.

238 Cf. P. MIGEON Le contenu de la notion de travail public, Thèse Alger 1957 p. 169 ; G-Ph BLOCH La notion de travail public, librairies techniques 1965 p. 6

que les travaux effectués pour le compte d’une personne privée dans un but de service public étaient en réalité exécutés indirectement pour le compte d’une personne publique puisque c’est le service public qui était à l’origine de l’exécution par la personne publique ; d’autres239 estimant que la définition de Effimieff était novatrice du fait du critère du service public qui était plus contraignant que celui de la présence d’un intérêt général.

Or, comme l’a montré le professeur J. DUFAU240, si des solutions proches de celles de l’arrêt Effimieff avaient déjà été prises sous l’empire de la jurisprudence Commune de Monségur, c’est bien un complément distinct à cette définition qu’apporte l’arrêt Effimieff en posant de nouveaux critères (le service public et l’exécution par la personne publique) plutôt que de forcer les critères de la première définition.

L’arrêt Effimieff, dont les critères ont été utilisés à plusieurs reprises par la jurisprudence ultérieure241, est donc bien à l’origine d’une nouvelle extension de la notion de travaux publics et cela même si, comme le remarque le professeur D. TRUCHET242, « des deux [définitions des travaux publics], la première est de loin la plus utilisée. » Cet auteur ne se limite d’ailleurs pas à ces deux branches de la définition des travaux publics et estime que la jurisprudence administrative « recourt parfois à une troisième variante : travail immobilier effectué par une personne publique et dans un but d’utilité général »243. Cette troisième définition est encore une extension de la notion de travaux publics même si la simple présence d’un intérêt général ne suffit jamais à faire d’un travail immobilier un travail public.

121. Pour M. JOSSE244 l’arrêt Effimieff a un rôle primordial : il impose à la personne publique de passer ses contrats par adjudication dès lors qu’ils le sont dans le but de réaliser leur mission de service public, et cela notamment pour les « services nationalisés gérant un service public », notamment industriel et commercial depuis l’arrêt Bac d’Eloka245 de 1921. Force est de constater que cette interprétation de l’arrêt n’a pas eu le temps d’avoir des répercussions débattues : la pratique n’avait pas encore eu le temps de s’adapter que déjà le nouveau Code des marchés publics venait réorganiser l’ensemble et exclure de son champ d’application, dès son article 1er, tous les établissements publics industriels et commerciaux à compétence étatique dont le but est précisément d’encadrer « un service nationalisé gérant un service public ».

239 Il s’agit de la majorité de la doctrine, cf. R. CHAPUS, Droit administratif général, Op. Cit. M. LONG, P. WEIL, G.BRAIBANT,P. DELVOLVÉ,B.GENEVOIS Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Op.

Cit. p. 514.

240 J. DUFAU « À propos de l’arrêt Effimieff et de la notion de travaux publics », CJEG 1983 p. 1

241 CE 20 avril 1956 Ministre de l’agriculture c/ Consorts Grimouard, rec. p. 168 ; CE 12 avril 1957 Mimouni, rec. p. 262 ; CE 30 mai 1962 Poplin, rec. p. 359 ; CE 6 mars 1970 Ville de Paris, rec. p. 165

242 D. TRUCHET Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’État, Paris, LGDJ Coll. Bibliothèque de droit public, Tome 125, 1977 p. 72.

243 D. TRUCHET cite les arrêts CE 1er juillet 1959 Ministre des affaires étrangères, rec. p. 417 ; CE 9 juillet 1949 Ville d’Ajaccio, rec. p. 365 (sic) et CE 12 octobre 1966 Association des entrepreneurs de Metzwiller et a., rec. p. 1124. On peut se référer aussi par exemple pour un arrêt plus récent et ne touchant pas à la reconstruction à CE 22 avril 1992 Association syndicale autorisée des irrigants de la vallée de la Lèze, syndicat intercommunal d’aménagement de la Lèze c/ M Gaillard, rec. Tables. p. 1346

244 P.-L. JOSSE « Coup d’arrêt à la dégradation continue de la notion de marché de travaux publics », EDCE 1956 p. 34, spé. p. 38.

245 TC 22 janvier 1921, Société commercial de l’ouest africain, rec. p. 91, GAJA, 14e ed. n° 38 p. 229 ; Dalloz 1921.3.1, concl. P. MATTER ; Sirey 1924.3.34 concl. P. MATTER

122. Conclusion : La notion de travaux publics a donc fait l’objet d’une double évolution jusqu’aujourd’hui : d’une part, elle est devenue une notion juridique fixée et relativement claire, dont les éléments de définition se sont détachés d’autres notions du droit public pour devenir autonomes. D’autre part, ces éléments ont eux-mêmes subi une évolution constante dans le sens d’un élargissement des travaux publics à des cas toujours plus nombreux : les immeubles largement entendus, le travail réduit à peau de chagrin et le caractère public des travaux dont la définition multiforme englobe la quasi-totalité des travaux d’intérêt général, dès lors qu’une personne publique a un rôle quelconque dans leur réalisation.

Les marchés passés pour l’exécution des « travaux publics », ainsi définis de manière extensive, ont été qualifiés de « marchés de travaux publics » et tout un régime particulier, à l’origine d’une grande partie de notre droit des contrats administratif, leur a été appliqué. Pourtant, les procédures de passation qui constituent le cœur de notre droit actuel des marchés publics n’avaient pas la force juridique qu’on leur connaît aujourd’hui.

Ainsi, le droit des travaux publics était un droit centré sur l’exécution, alors que le droit des marchés publics qui naît avec le Code est un droit centré sur la passation.

Il faut y voir deux raisons : en amont du marché, la personne publique n’était pas obligée de respecter les procédures de passation prévues par les ordonnances puisque le juge refusait de contrôler le choix d’une procédure de gré à gré même illégale au regard de ces textes jusqu’en 1909246. En conséquence, le faible nombre de recours contre la signature du contrat ou le choix de la commission ne permettait pas, à cette étape, la qualification du contrat en marchés de travaux publics. En aval, dans l’exécution du contrat, tant la répartition des contentieux (au sein de la juridiction administrative comme entre les deux ordres de juridictions) que le régime de l’exécution du contrat (en cas de résiliation unilatérale, de fait du prince, de responsabilité…) se fondaient sur la présence de travaux publics pour appliquer au contrat en cause un contentieux et un régime de droit public. Si lors de ces contentieux il y avait souvent une qualification du contrat en

« marché de travaux publics », la circonstance que le contrat avait ou n’avait pas été passé dans les conditions des ordonnances de 1836 et 1837 ou du décret de 1882 n’était même pas examinée. Seule la présence de travaux publics suffisait à cette application du droit public.

Le Code des marchés publics a radicalement inversé cette tendance en recentrant le Code sur le régime de la passation grâce à une utilisation des marchés publics comme une catégorie contractuelle autonome, tout en conservant les avancées précédentes en matière de régime d’exécution. Ce recentrage a obligé à une redéfinition des travaux

246 On a dit que les procédures de passation n’étaient édictées que dans l’intérêt des personnes publiques et que par conséquent elles pouvaient ne pas les appliquer sans conséquences sur la légalité des contrats. Cette situation bien étonnante à notre époque justifie aussi la difficulté de trouver des jurisprudences à cette époque. Cf. supra pour de plus amples développements sur l’arrêt CE 5 février 1909 Barla, rec. p. 134, RDP 1910 p. 61 note G. JÉZE.

dans le cadre de ces nouveaux marchés, redéfinition qui est encore une fois allée dans le sens d’une extension du nombre de travaux soumis à un régime de droit public.

S

ECTION

2

E

:

L’

EXTENSION DE LA NOTION DE

«

TRAVAUX

»,

DEUXIÈME

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