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PREMIÈRE PARTIE LE CONTEXTE GÉNÉRAL DE

UN RECOURS THÉRAPEUTIQUE DANS LE CHAMP MÉDICAL BRÉSILIEN

On ne saurait terminer cette présentation générale de l'umbanda sans s'attarder sur une autre de ses grandes caractéristiques - celle qui justement est à l'origine de l'intérêt que nous portons à l'étude de sa dimension thérapeutique et qui le justifie - à savoir le rôle central que jouent la maladie et son traitement dans l'univers et l'activité de cette religion, et la place importante qu'ils y tiennent. La dimension thérapeutique très affirmée de l'umbanda et l'importance qu'elle revêt pour les individus qui se tournent vers cette religion et ceux qui participent à son univers, a conduit certains auteurs à définir l'umbanda comme "une religion à fonction essentiellement thérapeutique" (F. Laplantine, 1989 : 277) ou encore, plus largement, comme un "culte d'affliction" (P. H. Fry et G. N. Howe, 1975 : 75) 114.

113 L'expression "champ médical" est entendue au sens où l'emploie à propos du Brésil, M. A. Loyola (1983 :

10) : l'ensemble des producteurs de soins (du champ d'investigation pris en compte : une société, une ville, un quartier... ) constitue un champ, c'est-à-dire "un espace dans lequel les positions, les pratiques qui leur sont associées (représentations de la maladie et du corps, techniques de soins, etc.) et les qualités que leur occupation requiert, sont pour une bonne part déterminées par la structure objective des relations qui les unissent et par la concurrence qui les oppose". Elle emprunte le concept de champ à P. Bourdieu (1971).

114 Ces auteurs définissent l'umbanda et le pentecôtisme comme des "cultes d'affliction" (par référence à V.

Turner (1972)), dans la mesure où la maladie et la souffrance apparaissent comme des pré-conditions de l'adhésion à ces deux religions.

A São Paulo, comme ailleurs au Brésil, une multitude d'individus se presse aux portes des terreiros umbandistes en quête d'une résolution ou d'une amélioration de leurs problèmes, en quête d'une assurance, d'un soutien, c'est-à-dire, plus généralement, d'une réponse satisfaisant à leurs attentes. Pour la grande majorité des Brésiliens qui se dirigent vers ses lieux de culte, l'umbanda représente un recours face aux diverses difficultés de l'existence et, notamment, face à la maladie.

C'est ce constat que nous nous proposons d'examiner dans le présent paragraphe en répondant à certaines des interrogations qu'il soulève : comment en vient-on à concevoir l'umbanda comme un recours possible et, notamment, comme un recours thérapeutique ? Dans quelles situations, quels contextes, des individus se dirigent-ils vers un terreiro d'umbanda dans l'espoir d'y trouver une solution à leurs problèmes, un soulagement à leurs maux ? Et de quels maux s'agit-il ? Examiner l'umbanda sous l'angle du recours qu'elle constitue, c'est, on l'aura compris, à la fois s'interroger, d'une manière générale, sur les motivations et les conditions qui mènent à l'umbanda et sur la nature des demandes qui lui sont adressées. C'est, aussi, examiner et mesurer, en particulier, l'importance de la demande thérapeutique et la place qu'occupe l'espoir de guérison dans l'ensemble des motivations qui conduisent à l'umbanda.

C'est en nous intéressant de près aux individus concernés et à partir de nos matériaux de terrain que nous tenterons d'apporter les réponses aux questions posées. L'ensemble des personnes qui se rendent dans les terreiros ne constitue toutefois pas une catégorie homogène : parmi elles, il en est qui sont familiarisées avec l'univers de l'umbanda auquel elles participent à des degrés divers et d'autres qui, venant pour la première fois dans un terreiro, ne le sont pas. Il y a donc tout lieu de supposer que le recours à l'umbanda ainsi que les conditions dans lesquelles il intervient et les motivations qui l'accompagnent, présentent des caractéristiques différentes selon les deux groupes. Cela conduit à distinguer deux moments particuliers du rapprochement avec l'umbanda : la "phase de premier contact" et la "phase de participation".

III - 1 - Le recours à l'umbanda dans la "phase de premier contact"

La "phase de premier contact" correspond au moment où des non- umbandistes se dirigent vers un terreiro d'umbanda pour la première fois. Les données sur lesquelles nous nous appuyons ici ont été recueillies à la fois auprès d'individus qui se souviennent de leur rencontre initiale avec l'umbanda et auprès de nouveaux arrivés dont nous avons pu suivre les premiers pas dans le terreiro.

III - 1 - 1 - Les chemins qui mènent à l'umbanda

"Dans l'umbanda, personne n'entre par amour, mais par douleur",

a coutume de dire Dona Dolores qui tire cette constatation de sa longue expérience de mère de saint umbandiste. De fait, il semble qu'à l'origine de toute rencontre effective avec l'umbanda, il y ait dans la vie des individus concernés un ou plusieurs épisodes pénibles et affligeants. Du moins est-ce ce que laissent apparaître les discours et les récits de vie. En témoignent, comme tant d'autres, les propos de Dona Dolores :

"Je suis devenue umbandiste par nécessité. Nous avions une boutique à Vila Formosa 115 et un dépôt de charbon dans le fond du magasin. Il y avait en

face, comme d'ici au terreiro, un autre vendeur de charbon, un peu plus haut dans la rue et il a envoyé une macumba sur mon mari 116. Je travaillais dans la

table blanche 117, j'étais présidente de la table blanche de São Paulo. Mais mes

esprits ne soignaient pas mon mari, il avait comme une infection d'ici à là 118, il

puait comme une vieille charogne. Et il devait travailler, il rentrait le charbon et restait au magasin. Alors une voisine m'a dit comme ça : "Ne le prenez pas mal, je vous dit ça parce que vous êtes une amie. Mais ça c'est une "chose faite" 119.

Venez avec moi au terreiro, si vous aimez vous restez, vous fréquentez, si ça ne vous plaît pas, vous vous en allez, il n'y a pas de problème". Au début, j'ai refusé

115 Quartier de São Paulo.

116 Cette expression signifie que son mari a été victime d'un travail de sorcellerie dont le commanditaire était

le vendeur de charbon.

117 "Travailler dans la table blanche" signifie être médium d'un centre spirite. 118 Dona Dolores montre sa jambe de haut en bas.

puis finalement j'ai accepté ; je voyais bien que la table blanche ne donnait pas de résultat, alors j'ai accepté. Et ils m'ont conseillée. C'était une chose si simple à

faire : ils ont envoyé mon mari à Santos 120, il a passé sept vagues et a laissé son

chapeau dans la mer. Quand il est sorti de l'eau, il est sorti complètement sain. Alors j'ai laissé la table blanche. Je suis devenue umbandiste. Et ce ne fut pas difficile, parce que je recevais déjà les esprits. (...) Je préférais vraiment la table blanche à l'umbanda, comme je travaillais, c'était beau. Malheureusement j'ai dû laisser tomber, pour les raisons que je t'ai dites. C'était la nécessité. Quand il a été guéri mon mari a dit qu'il voulait ouvrir un terreiro, celui-ci c'est lui qui l'a fait. Il a dit "Afin que tout aille bien, afin que les choses s'améliorent". Parce qu'à l'époque on n'avait pas tout ça, on avait tout perdu, on n'avait plus rien, seulement de l'eau et la grâce de Dieu. Rien à mettre sur le feu avec trois enfants. Il voulait ouvrir un terreiro et j'ai accepté de me préparer pour ouvrir le

terreiro, de faire ce qu'il voulait. Alors c'est une mission que j'ai jusqu'à ma mort."

Le malheur et la détresse ne sont certes pas l'unique voie d'accès au terreiro umbandiste. Il en est d'autres. Citons-en brièvement quelques-unes, parmi les plus récurrentes.

Certaines personnes affirment que c'est la "curiosité" (curiosidade) qui les a poussées à se rendre pour la première fois dans un terreiro umbandiste. D'autres disent devoir leur premier contact avec l'umbanda à une rencontre - bien souvent amoureuse - avec un(e) umbandiste. Ainsi Gustavo (34 ans, commerçant), médium chez Renato, raconte que l'umbanda est entrée dans sa vie avec sa seconde femme, Maria Helena :

"C'est grâce à Maria Helena que j'ai découvert l'umbanda. Elle était déjà médium quand je l'ai rencontrée. Elle me demandait souvent de venir avec elle au terreiro. Je n'en avais pas tellement envie mais un jour je me suis décidé à l'accompagner (...). C'était dans le Temple "Cabocle Sept Pierres" (...). C'est là concrètement que j'ai fait mes premiers pas. Avant, quand je pensais à l'umbanda, j'avais dans l'idée - l'umbanda et les cultes afro-brésiliens en général - que c'était quelque chose de funèbre, de sombre, une chose laide et triste. Mais quand je suis entré dans le terreiro et qu'ils ont ouvert ces rideaux, j'ai vu qu'il y

avait des tambours, de la danse, qu'il y avait beaucoup de couleurs, de la joie, de la nourriture, j'ai senti que le doigt de dieu avait touché mon coeur".

Quelques individus, comme Vicente (45 ans, vendeur de vêtements d'occasion, petit père chez Duílio), rapporte l'origine de leur rencontre avec l'umbanda à un évènement tout à fait insolite :

"Je suis devenu umbandiste pratiquant en 1967 dans la ville de Campinas. A l'époque j'étais mormon (...). Je me rappelle être sorti un mercredi pour aller à l'église et m'être réveillé dans un terreiro de macumba. Nous les mormons on ne disait pas umbanda, on disait macumba. Ça a commencé ce mercredi, je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ce terreiro, mais je me suis réveillé là avec ma bible sous bras, exactement. Et c'est de là qu'a commencé mon initiation. Ils m'ont dit ce que je devais faire et c'est exactement ce que j'ai fait. Quand la présidence de l'église a connu la situation, j'ai été expulsé. "

Enfin, citons le cas de ces individus qui n'ont pas à proprement parler rencontré l'umbanda puisqu'ils l'ont toujours connue : comme ils le disent eux-mêmes, ils sont "nés et ont grandi dedans" car elle était déjà la religion de leurs parents ou des personnes qui les ont élevés.

Les chemins qui mènent à l'umbanda sont donc divers. Ceci posé, le malheur apparaît néanmoins comme la voie d'accès privilégiée à cette religion : il draine vers les terreiros umbandistes une proportion imposante d'individus qui espèrent trouver là une solution à leurs problèmes. Ces derniers, qui sont multiples et nombreux, peuvent être caractérisés comme relevant globalement de trois domaines : la santé, la vie matérielle et sociale, la vie relationnelle. Le tableau suivant présente succinctement les problèmes qui, dans chacun de ces domaines, font le plus communément l'objet d'une demande d'aide :

Tableau n°2 - Les divers problèmes,

objets d'une demande d'aide adressée à l'umbanda