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Dire du terreiro qu'il est le lieu dédié au culte umbandiste, signifie en premier lieu qu'il constitue un espace social distinctif à l'intérieur des limites duquel s'exprime un univers particulier et se déroule une activité spécifique, garantis tous deux par l'existence même de ces limites. Lieu de célébration et d'actualisation de l'umbanda, le terreiro est un espace constitué à partir d'une séparation établie avec les autres espaces qui, en milieu urbain, l'environnent : si on le prend comme point de référence, on peut dire que tout ce qui est au-delà de ses limites est au-dehors, c'est-à-dire se constitue

comme extérieur par rapport à lui 134. Les terreiros d'umbanda sont d'abord

des lieux que leurs limites physiques circonscrivent spatialement. C'est donc au terreiro, en tant qu'il est un espace physique présentant des caractéristiques particulières, que nous allons, dans un premier temps, nous intéresser.

Eparpillés dans les rues de São Paulo, les terreiros umbandistes ne se révèlent pas au promeneur par une apparence extérieure particulière. Il n'y a pas une "architecture umbandiste" qui permette de les reconnaître de manière systématique dans le paysage urbain. C'est généralement une pancarte accrochée à un mur ou à une grille qui signale au passant leur présence à cet endroit-là en même temps que leur nom : "Tente du Cabocle Tupinambá", "Temple des Sept Ondines", etc. Et encore n'est-ce pas systématique : comme celui de Dona Dolores, il est de nombreux terreiros dont rien n'indique la présence. D'ailleurs, lire les pancartes n'est pas forcément apercevoir les terreiros qui, souvent, se dérobent à la vue.

La première particularité de ces lieux de culte est donc le caractère discret de leur visibilité sociale, particularité qui est sans doute à mettre en rapport avec le jugement social globalement défavorable dont l'umbanda fait toujours l'objet, malgré les efforts de ses codificateurs. Elle n'a pas obtenu l'entière reconnaissance de la société qui l'abrite et n'occupe pas au sein du champ religieux une place aussi légitime et socialement valorisée que d'autres religions dont les lieux de culte présentent une grande visibilité dans la géographie urbaine (églises catholiques, temples protestants).

La seconde particularité des terreiros, liée à la première, est la variété des espaces qu'ils peuvent investir : on les rencontre aussi bien dans les pièces d'une maison (c'est le cas du terreiro de Duílio), qu'à l'arrière d'une habitation, dans une baraque au fond de la cour ou du jardin (c'est le cas du terreiro de Dona Dolores). La maison ou le terrain qui abritent le terreiro sont

134 L'espace dans lequel se déroule l'activité rituelle umbandiste peut occasionnellement être établi hors les

limites fixes du terreiro et investir d'autres lieux, dans le milieu urbain comme dans le milieu rural. Des cérémonies et des rituels sont en effet réalisés sur la plage (a praia), à la campagne et dans la forêt (o mato), auprès de chutes d'eau (as cachoeiras), de cimetières (os cemitérios), dans les carrefours (as encruzilhadas). Quand des cérémonies sont réalisées en plein -air, l'espace investi par le terreiro est souvent séparé de l'espace environnant par l'établissement de limites matérielles, mêmes ténues. Ainsi son périmètre peut-il être marqué par des piquets, plantés en terre ou dans le sable, entre lesquels des ficelles sont tendues, ou encore par des traits faits sur le sol.

généralement le lieu de résidence du père de saint ou de la mère de saint qui le dirige. On peut aussi les trouver dans un appartement ou encore dans une bâtisse construite spécialement à cet effet (c'est le cas du terreiro de Renato).

Les dimensions des terreiros sont par conséquent très variables : il en est quelques-uns de grands et beaucoup de petits. Celui de Renato est un bâtiment important qui abrite plusieurs pièces. Sa salle de cérémonie peut facilement contenir un public d'une soixantaine de personnes ; par contre, ceux de Duílio et de Dona Dolores se réduisent à deux pièces, et leur salle de cérémonie ne peut guère accueillir plus d'une vingtaine de personnes.

A vrai dire, l'endroit où le terreiro établit ses marques et la taille de l'espace qui lui est imparti, dépendent généralement moins de la volonté de son dirigeant que des multiples contraintes auxquelles ce dernier se trouve confronté. On peut comprendre les caractéristiques que présentent les lieux de culte umbandistes à la lumière de certains éléments déterminants.

Pour y parvenir, il faut partir du commencement : un terreiro naît de la division d'un autre terreiro. Car tout médium qui se trouve sous l'autorité du père de saint qui dirige le lieu de culte auquel il appartient est potentiellement conduit à le quitter pour devenir, quand il se considère "préparé" (preparado), le père de saint d'un terreiro qu'il va fonder et diriger à son tour. Il doit trouver l'endroit où l'établir et se trouve alors confronté à des difficultés de divers ordres.

Dalmo et Maya, sont mari et femme. Il est psychothérapeute et possède son propre cabinet ; elle est psychologue dans une institution publique. Jusqu'alors médiums du terreiro de Renato et d'un autre terreiro, le "Temple des Sept Ondines", ils ont décidé d'ouvrir leur propre terreiro dont Dalmo sera le père de saint. Dans une lettre qu'ils m'ont écrite en 1993, ils relataient les difficultés qu'ils ont rencontrées dans leur quête d'un endroit où installer le nouveau lieu de culte. J'en cite un extrait car les problèmes qu'ils évoquent sont tout à fait représentatifs de ce type de situation, et il va nous permettre de les identifier. La lettre est écrite par Maya :

"Tu sais que l'on faisait partie du temple des Sept Ondines, que l'on avait aidé à construire. Et bien, nous avons quitté l'endroit avec sept fils 135 pour

monter le nôtre. Au début, on a travaillé dans une salle d'attente de huit mètres carrés attenante au bureau de l'une des filles, dans une maison qui se trouvait proche de chez nous et nous nous sommes mis à chercher une grande pièce à louer. Tu ne peux pas imaginer les obstacles que nous avons rencontrés. Nous avons cherché partout mais nous nous sommes confrontés à des difficultés importantes et inattendues, la plupart d'entre elles liées au prix des loyers et au préjugé contre l'umbanda car les propriétaires ont le sentiment de dévaloriser leur bien quand ils le louent pour ce type de finalité. Tu sais bien que lorsqu'on parle de "terreiro d'umbanda", ça évoque immédiatement la vision d'une bande de nègres qui tapent sur des tambours et qui ont des convulsions dans leur bel immeuble dont ils s'imaginent qu'il va les tirer du trou financier dans lequel nous sommes nous aussi, comme tant d'autres. Ajoute à cela qu'ils s'imaginent que

s'ils augmentent le loyer tu vas leur faire une macumba 136 et qu'au moment où tu

vas quitter les lieux, tu vas saccager la maison et leur laisser quelque chose d'enterré dans le jardin. Bon, je te vois rire, l'umbanda c'est sûr est à l'intersection de préjugés et d'idéalisations de différents ordres (y compris d'auto-idéalisation) et il est vrai aussi que tous les umbandistes ne sont pas purs et angéliques (d'ailleurs, bien au contraire, grâce à Dieu). Le fait est que nous avons résolu finalement de nous dissimuler derrière le masque de "centre spirite" qui évoque l'image d'un tas de vieux bigots qui croient aux fantômes, à la réincarnation, lisent des ouvrages ennuyeux et discutent avec les esprits. Bon, ces gens-là ont au moins la réputation d'être plus soigneux avec la propriété d'autrui, mais... ils sont vieux et décrépits, et ni moi ni Dalmo n'avions le physique convaincant pour correspondre à la représentation "centre spirite" (je suis grosse certes, mais pas vieille encore !). Si bien que, pour abréger l'histoire, nous avons prospecté toute la zone ouest sans rien trouver, pas même un vieux garage, pas même pour le prix exorbitant que les plus pragmatiques osaient nous demander! Alors

évidemment, nous avons recouru à l'aide des guides 137. Le cabocle 138 nous a dit

135 "Fils" indique que les médiums que ce nom désigne, travailleront sous l'autorité de Dalmo qui sera le père

de saint du nouveau terreiro auxquels ils vont appartenir.

136 Macumba désigne ici un travail de sorcellerie.

137 Le terme générique de "guides" (guias) désigne l'ensemble des êtres spirituels - esprits et saints (ou

orixás) - auxquels les umbandistes rendent un culte. Ces diverses dénominations - "guides", "esprits",

"saints", " orixás" - sont examinées au Chapitre 3, II- 2, de cette seconde partie.

de travailler trois lunes, nous avons fait appel à Exu, enfin nous avons demandé de l'aide à tous les orixás, et nous sommes partis nous battre! Le jour de la fête des vieux-noirs, le 13 mai 139, le vieux-noir 140 nous a dit de faire une neuvaine à

Saint Antoine, qu'il était très fort et qu'il nous aiderait. Si nous obtenions la grâce, nous devions lui donner un petit cochon de lait à engraisser. Bon, on a récité trois Ave-Maria par jour, et à la fin de la neuvaine, Armelle, très exactement le dixième jour, on a trouvé l'endroit ! Ça a coïncidé avec la fin des trois lunes dont avait parlé le cabocle. Ainsi, non seulement le propriétaire n'a rien contre l'umbanda mais en plus, il vient recevoir des passes. Le prix du loyer est raisonnable par rapport à ce qui se fait localement, 100.000 cruzeiros, c'est-à-dire 300 dollars par mois, réajustable trimestriellement 141. C'est cher mais l'endroit est parfait. Il se

trouve au Jardim Arpoador, au quatorzième kilomètre de la Rodovia Rapôso Tavares, à vingt minutes de la maison quand il n'y a pas d'embouteillages (quand il y en a, il faut compter quarante-cinq minutes). Il est dans une grande rue bien tranquille et en face, de l'autre côté de la rue, il n'y a que des usines entourées de grands pins et d'eucalyptus. C'est de toute beauté! Comme le terreiro est au coin de la rue, nous n'avons qu'un seul voisin qui travaille uniquement la journée et repart chez lui le soir. L'endroit fait 175 mètres carrés : une grande salle couverte de 80 mètres carrés, deux salles de bains, et un immense jardin entouré d'un mur de quatre mètres de haut. Là autour, nous n'avons découvert aucun autre

terreiro. Avant c'était une fabrique de matériel sportif. Dalmo sera le père de saint.

Le terreiro va s'appeler "Temple d'Umbanda Etoile d'Oxalá" ".

La cherté des loyers et des locaux à vendre à São Paulo exerce une contrainte importante sur la taille de l'espace et sur l'endroit consacrés au terreiro par ceux qui les dirigent. C'est pourquoi l'implantation dans tel ou tel quartier de la ville ainsi que les dimensions des terreiros, sont des éléments qui, associés à d'autres, renseignent fréquemment sur le niveau de vie et l'appartenance sociale du père ou de la mère de saint, des médiums et des fréquentateurs du terreiro (ainsi que sur leur nombre). Ainsi, pas un seul des grands terreiros indépendants des lieux d'habitations des pères ou mères de saint que j'ai fréquentés dans les quartiers centraux de la ville, n'étaient

139 Jour anniversaire de la libération des esclaves brésiliens, le 13 mai 1988.

140 Esprit de l'umbanda. Les vieux-noirs sont examinés au Chapitre 3, II - 2 - 2 - 2, de cette deuxième partie. 141 A l'époque, les loyers étaient réajustés périodiquement à cause de l'inflation.

dirigés et fréquentés majoritairement par des individus appartenant aux couches défavorisées de la population. De même, il m'a rarement été donné, dans les quartiers riches de São Paulo, de découvrir un terreiro au détour d'une petite maison miteuse. Il en est des terreiros comme des appartements : ils sont de différents "standings".

Cependant les dimensions du terreiro et sa localisation (dans l'une des pièces d'un lieu d'habitation, dans le fond d'un jardin, dans une bâtisse indépendante, dans tel quartier, etc.) ne dépendent pas seulement de facteurs socio-économiques mais aussi de contraintes spatiales. En effet, l'amoncellement des constructions dans la ville et surtout dans les quartiers centraux, réduit considérablement l'espace disponible pour l'établissement des terreiros qui en viennent à occuper fréquemment une pièce attenante à l'habitation du père ou de la mère de saint. Dans ces cas-là d'ailleurs, les limites établies entre les lieux réservés aux occupations proprement religieuses et ceux réservés aux occupations proprement domestiques (lieux d'habitation de la maison) sont assez ténues. Il arrive même que ces deux types d'activités se partagent un espace identique. Il en va ainsi, par exemple, de la cuisine dont l'usage est double : elle est à la fois le lieu de préparation des repas quotidiens et le lieu de préparation des repas cérémoniels et des offrandes.

Enfin, indépendamment des facteurs socio-économiques et spatiaux qui participent à l'établissement du terreiro dans un endroit plutôt qu'un autre, il est très fréquent que l'intolérance des voisins et des propriétaires vis-à-vis de l'umbanda et du bruit agissent de manière contraignante sur le choix du père de saint d'établir son terreiro ici ou là. Il évitera également de l'installer dans la proximité immédiate d'autres terreiros umbandistes qui se sont déjà fait une clientèle dans le quartier.

CHAPITRE 2