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L’enfant répond au message d'accueil : Jamais, parfois, souvent, toujours

LA GOUVERNANCE DE L’ECOLE MATERNELLE

4.1.1. Un pilotage national insuffisamment opérationnel

La manière de piloter l’action pédagogique de l’administration centrale a évolué de manière assez sensible au cours des dernières décennies. À côté du Bulletin officiel de l’éducation nationale qui porte à la connaissance des acteurs de l’école les textes officiels et à valeur organisationnelle (dont la circulaire annuelle de préparation de rentrée), les directions du ministère utilisent de nombreux vecteurs de diffusion de la politique éducative : communication directe du ministre et/ou du directeur général de l’enseignement scolaire, réunions d’information, actions inscrites au programme national de pilotage (aujourd’hui programme national de formation), portails internet qui offrent de nombreux documents accessibles comme Éduscol qui met à disposition de ceux qui le souhaitent les textes réglementaires, les circulaires d’application et des textes d’explicitation ainsi que de nombreux outils147.

La mission d’inspection générale a, d’une part, procédé à l’examen des circulaires annuelles de préparation de la rentrée durant la dernière décennie ainsi que des textes publiés au Bulletin officiel de l’éducation nationale au cours de deux années-témoin et, d’autre part, auditionné les directeurs concernés.

4.1.1.1. Les textes officiels et les ressources d’origine nationale : une faible visibilité de l’école maternelle

Le Bulletin officiel : l’école maternelle entre abandon et éparpillement

Au cours des dix dernières années, les circulaires annuelles de préparation de rentrée, documents de référence très largement diffusés dans l’ensemble du système scolaire, sont restées fort discrètes au sujet de l’école maternelle qui y occupe une place quantitativement réduite. Seule la circulaire n° 2002-075 du 10 mars 2002 relative au premier deg ré148, élaborée de manière thématique, est plus précise :

« À l’école maternelle, le langage oral doit faire l’objet de toutes les attentions avec des niveaux et des formes d’exigence que les nouveaux programme précisent. L’entrée dans la culture du récit suppose le recours à des supports variés et la découverte de livres de qualité, tant pour les illustrations que pour les textes ; elle passe aussi par la lecture à haute voix du maître, les échanges autour des histoires entendues constituant une première forme de travail sur la compréhension des textes. Les

147 Trois exemples de publications mises en ligne sur Éduscol : un document de synthèse déjà ancien : L’école maternelle en France, « Les dossiers de l’enseignement scolaire », mai 2004 ; un document à portée méthodologique destiné aux enseignants, Le langage à l’école maternelle, « Ressources pour la classe », CNDP, mai 2011 ; les outils d’aide à l’évaluation des acquis des élèves à l’école maternelle.

148 Pour la rentrée 2002, le MEN avait publié trois circulaires distinctes (école primaire, collèges, lycées).

jeux sur la langue orale, les essais d’écriture doivent permettre l’accès à la compréhension du principe alphabétique ».

Cette circulaire fait suite au changement de programmes pour l’école primaire et renforce un des messages essentiels en résumant en quoi consiste la priorité accordée au langage ; l’accueil des très jeunes enfants y est considéré comme acquis (« l’accueil des tout petits impose des exigences particulières »). Les circulaires ultérieures reprendront de manière récurrente trois des thèmes relatifs à l’école maternelle présents en 2002 : la place centrale du langage dans les apprentissages, l’importance des outils d’évaluation et la liaison avec l’école élémentaire.

La circulaire préparant la rentrée 2005 est la première publiée à la suite de l’adoption de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école et se situe dans la perspective de la mise en place de la LOLF au 1er janvier 2006 ; dans ce texte, l’école maternelle n’est évoquée que très marginalement149. La suivante, pour la préparation de la rentrée 2006150, rédigée dans la perspective de mise en œuvre du socle commun, insiste particulièrement sur la maîtrise de la lecture à l’école. Le texte met l’accent à plusieurs reprises sur l’importance de la coordination des enseignements dispensés à l’école maternelle avec ceux de l’école élémentaire, ce qui sera repris en 2007.

La circulaire de préparation de la rentrée 2008151 mentionne de manière allusive la question de l’école maternelle, dans la partie intitulée « Clarifier les objectifs de l’école primaire. Mieux apprécier les résultats des élèves » en rappelant la publication récente de nouveaux programmes et en soulignant – une fois de plus – le rôle central du langage et, élément nouveau, l’importance de la grande section.

Le texte publié à l’occasion de la rentrée 2009 rappelle ces programmes en insistant sur leurs objectifs et les progressions annexées ; la mission propédeutique de l’école maternelle y est soulignée de manière très explicite : « Premier temps de l’acquisition des savoirs, l’école maternelle remplit une mission essentielle : préparer l’enfant à l’autonomie nécessaire afin d’assurer les apprentissages de base »152. Le texte annonce la création d’un « pôle pédagogique spécifique dans chaque département, pour mieux appuyer les équipes pédagogiques et valoriser l’école maternelle au plan local ».

La circulaire publiée pour la rentrée 2010153 évoque le rôle de l’école maternelle dans un développement consacré à l’enseignement scolaire placé sous le titre général suivant « Principe directeur 1 : Maîtriser les fondamentaux et ancrer l’éducation artistique et culturelle ». La mission de l’école maternelle est condensée en une définition : « L’école maternelle prépare les élèves à l’apprentissage de la lecture… La priorité de l’école maternelle est donc le développement soutenu du langage en lui transmettant [à l’enfant] un lexique large ».

Dans la circulaire de préparation de la rentrée 2011154 centrée essentiellement sur la notion « d’école du socle », l’école maternelle ne fait l’objet d’aucun développement spécifique. Elle n’est mentionnée qu’à l’occasion de trois paragraphes, le premier consacré à « la maîtrise de la langue française et des mathématiques », le second à « la sensibilisation précoce à la première langue vivante » et le troisième « aux évaluations nationales pour jalonner le parcours des élèves ». « Dès l’école maternelle, comme le prévoit le plan de lutte contre l’illettrisme […], les objectifs principaux sont l’appropriation du langage et la découverte de l’écrit ». Dans le cadre du suivi en continu des progrès

149 « Consolider la mise en œuvre des programmes, la maîtrise de la langue, la rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école, veiller au choix des outils de travail scolaire, organiser les dispositifs et ressources du soutien scolaire ».

150 Circulaire n°2006-051 du 27 mars 2006.

151 Circulaire n°2008-042 du 4 avril 2008.

152 Circulaire n°2009-068 du 20 mai 2009.

153 Circulaire n°2010-30 du 16 mai 2010.

154 Circulaire n°2011-071 du 2 mai 2011.

des élèves, la circulaire rappelle l’existence des outils d’aide à l’évaluation en ligne pour « mieux suivre les progrès des élèves au cours de la grande section ».

Au total, les passages consacrés à l’école maternelle apparaissent particulièrement lapidaires dans les circulaires de rentrée, quelle que soit l’approche adoptée pour structurer ces textes155 à l’exception des années où la mise en œuvre de nouveaux programmes conditionne le contenu de la circulaire.

Cette forme d’effacement, accompagnée d’une certaine répétition des injonctions et d’une centration sur la section de grands, conforte une représentation de l’école maternelle française au service de l’école élémentaire.

La lecture des bulletins officiels parus au cours de la dernière année scolaire et cinq ans plus tôt pour comparaison renforce ces premiers constats ; il n’a été publié aucun texte traitant de manière spécifique de l’école maternelle. Celle-ci n’est évoquée que de manière allusive au cœur de développements qui concernent globalement l’école primaire. L’essentiel de ces textes – peu nombreux – traite du niveau élémentaire ; seule la grande section est explicitement mentionnée.

En 2010-2011, les textes publiés dans la rubrique « Enseignement scolaire » traitent presque exclusivement du second degré. Seuls deux textes évoquent l’école maternelle. La circulaire sur la natation (enseignement 1er et 2nd degré) n° 2010-191 du 19 octobre 2010 qui reste la conique sur son rôle : « Apprendre à nager à tous les élèves est une priorité nationale, inscrite dans le socle commun de connaissances et de compétences. Cet apprentissage commence à l’école primaire et lorsque c’est possible, dès la grande section de l’école maternelle », et la note de service relative aux actions éducatives, n°2011-108 du 17 août 2011, qui indique que l’action pédagogique intitulée « Le dictionnaire des écoles » peut rassembler « des classes de la maternelle au cours moyen »156.

En 2005-2006, deux textes portent, marginalement, sur l’école maternelle. La circulaire n° 2006-095 du 9 juin 2006157 présente en début d’année scolaire le dispositif national d’évaluation diagnostique qui repose sur la réalisation d’évaluations obligatoires en CE1 et en sixième et sur la mise à disposition d’une banque d’outils d’aide à l’évaluation pour les classes « de la grande section à la classe de seconde ». La circulaire n°2006-003 du 31 janvier 2006 met l’acce nt sur l’apprentissage de la lecture et insiste sur le rôle de l’école maternelle dans le processus :

« À l’école maternelle, l’enfant a commencé à s’approprier le patrimoine de la langue française. En parlant et en découvrant le monde de l’écrit, il s’est chaque jour nourri de mots nouveaux. Par l’attention patiente de sa maîtresse ou de son maître, il a compris que ces mots se composaient de sons. Il a commencé aussi à saisir que, par des lettres que l’on voit et qui se répètent, on peut porter sur le papier la trace d’un son que l’on entend. »

Les ressources diffusées au niveau national : un développement certain

La navigation sur les sites du ministère permet d’infléchir cette impression d’abandon. La question de l’évaluation des élèves y est largement traitée. On y trouve des ressources en particulier dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, mais ces éléments sont dispersés et leur utilisation par les enseignants nécessite un travail de synthèse important. En outre, ces informations disparates ne permettent pas de dégager de repères précis sur la conception institutionnelle actuelle de l’école maternelle. Enfin, la consultation de ces fragments d’information aboutit à la construction d’une conception officielle qui survalorise la grande section présentée comme propédeutique du cours

155 Selon les années, le plan du texte diffère dans son économie. Certaines circulaires présentent une structuration calquée sur celle du système (primaire/collège/lycée), d’autres recourent à une organisation en thèmes transversaux et d’autres encore adoptent un double système.

156 Ce texte concerne de fait l’année scolaire à venir.

157 De fait, cette circulaire annonce le programme pour l’année 2006-2007.

préparatoire et qui ne dit rien quant à la petite et la moyenne sections. Les textes officiels complétés par les ressources proposées en ligne ne permettent pas aux acteurs locaux, qu’ils soient inspecteurs, directeurs ou enseignants d’extraire des éléments suffisamment nourris pour organiser et structurer leur action au niveau préélémentaire. Cette absence de lisibilité explique sans doute la « modestie » des directives et injonctions portées en matière de scolarité préélémentaire par les autorités académiques. La réorganisation d’ÉDUSCOL, en septembre 2011, répond partiellement au problème de lisibilité.

Ces ressources ne sont que peu connues des enseignants des écoles maternelles qui, dans les entretiens que la mission a eus avec eux, ne s’y réfèrent pas alors qu’ils disent recourir à de nombreux sites personnels d’enseignants.

4.1.1.2. Un sujet essentiel de politique pédagogique mais un sujet mal relayé dans la communication et au plan logistique

L’école maternelle jugée déterminante pour l’atteinte des objectifs en fin de scolarité obligatoire

Il ne fait aucun doute que l’institution attend beaucoup de l’école maternelle. La dernière valorisation de sa place fondatrice se lit dans le rôle que lui confère le « plan pour prévenir l’illettrisme et susciter le goût de la lecture », lancé le 29 mars 2010 :

«Tous les spécialistes s’accordent sur un point : une prévention efficace de l’illettrisme est une prévention précoce qui traite le mal à sa racine, dès l’école maternelle. Dès la première étape de la scolarité. Celle des premiers apprentissages. Celle de la préparation aux apprentissages fondamentaux. Cette étape constitue, j’en suis convaincu, un moment clé pour agir contre l’illettrisme.

Pourquoi ? Parce que c’est à l’école maternelle que les élèves s’approprient progressivement la langue et découvrent l’univers de l’écrit. Mon objectif premier est donc de conforter le rôle de la maternelle comme véritable école. L’appropriation de la langue doit être son objectif essentiel. 158» Plus globalement, la politique pédagogique portée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) pour l’école primaire prend en compte l’école maternelle sans ambiguïté, qu’il s’agisse de la priorité donnée à la maîtrise du langage, condition de la réussite scolaire, ou de la personnalisation des parcours : la maternelle constitue le « terrain d’amorce » de cette logique et l’aide personnalisée doit y être plus développée, en particulier en grande section. Dans la revitalisation de la logique des cycles, le rôle de la grande section est très fortement valorisé, on l’a vu. La question de l’évaluation en fin d’école maternelle s’inscrit dans ce contexte.

L’expression de cette logique de politique éducative semble actuellement peu audible, sans doute parce que la communication met l’accent sur la globalité du parcours (le socle commun) et l’aboutissement (les résultats terminaux). Hors scolarité obligatoire et placée en tout début de cursus, l’école maternelle semble négligée, ou soumise à l’emprise des étapes qui lui succèdent. Les représentations que se font les acteurs de terrain – qui parlent d’« abandon », d’« espace en friche » – sont plus confortées que combattues par cette forme de communication.

Le rôle éminent de l’école maternelle non conforté par la gestion des ressources humaines

158 Extrait du discours du ministre Luc Châtel lors de l’inauguration du salon du livre le 29 mars 2010

Ce sujet essentiel est peu pris en compte par les directions logistiques du ministère. Pour la direction générale des ressources humaines (DGRH), l’école maternelle n’est pas un sujet spécifique : ses enseignants sont des professeurs des écoles comme les autres, l’école primaire étant pensée globalement. Dans la gestion des inspecteurs de l’éducation nationale et la conception de leur formation qui sont sous sa responsabilité directe, les signes d’attention à l’école maternelle ne sont pas évidents, même si les dernières années ont été plus favorables. Le plan de formation des inspecteurs chargés des circonscriptions du premier degré (IEN-CCPD) ne comprend rien de spécifique à l’école maternelle, le sujet n’ayant été abordé que par l’inspection générale de l’éducation nationale. En ce qui concerne les inspecteurs sur emploi préélémentaire, la direction générale n’a réalisé aucun bilan ; la circulaire qui avait été en préparation à la demande du ministre n’a jamais été publiée. La direction prend acte de la diminution du nombre de poste dédiés, les responsables locaux (recteurs ou IA-DSDEN) ayant demandé à disposer des postes qui n’étaient pas pourvus dans plusieurs académies. Ces IEN ont bénéficié de trois séminaires organisés conjointement par l’ESEN et la DGESCO avec la participation de l’IGEN depuis leur nomination en septembre 2009 ; un site de ressources en ligne permet une mutualisation de ressources entre ces IEN.

En ce qui concerne la formation initiale des enseignants, la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (DGESIP) donne un avis sur des projets, ce qui entraîne la mise en œuvre des moyens nécessaires aux projets validés ,mais n’entre pas dans le détail des contenus d’enseignement. La mission de l’enseignement supérieur est de préparer à un concours de professeur des écoles ; il n’a jamais été formulé de commande spécifique sur l’école maternelle ; pour la DGESIP, cette approche ressortit, ce qui semble d’ailleurs légitime, de la partie pratique dont la pleine responsabilité incombe aux acteurs locaux. Dans les 550 maquettes de formation déposées en juin-juillet 2010, s’agissant de l’école maternelle, trois « profils » différents avaient été identifiés : une prise en compte de manière explicite dans une « unité d’enseignement de différenciation » optionnelle, une absence apparente dans les unités qui structurent la formation mais une réelle intégration dans les contenus de formation (liens avec un laboratoire Sciences du langage par exemple) et les stages et, enfin, un effacement total quand le plan est organisé en fonction d’une approche générale des problèmes d’éducation. Pour la DGESIP, l’IUFM est réputé très actif sur la partie professionnalisation en relation avec recteurs et inspecteurs d’académie.

4.1.1.3. Un partenariat interministériel encore inexistant

Le rapport de l’inspection générale de 2000 préconisait déjà d’encourager par un texte interministériel les liaisons entre l'école maternelle et les diverses structures de la petite enfance. Ce texte aurait permis de mettre l'accent sur le rôle spécifique de l'école maternelle, mais aussi de favoriser une réflexion commune à l’échelle locale.

Aujourd’hui, la DGESCO souhaite que le ministère se situe par rapport à la politique de la petite enfance selon une doctrine qui peut être résumée par la formule du directeur général : « pas d’ingérence, pas d’indifférence ». La scolarisation dès deux ans dans les quartiers difficiles ne résume pas la problématique qui rendrait nécessaire un partenariat.

Force est de constater que l’école maternelle reste largement étrangère à la politique de la petite enfance et réciproquement, même si le problème de l’accueil des enfants de deux à trois ans induit des rapprochements.

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