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La qualité de l’école maternelle : une conception complexe, une définition et une évaluation qui dépassent le seul système éducatif

L’enfant répond au message d'accueil : Jamais, parfois, souvent, toujours

LA GOUVERNANCE DE L’ECOLE MATERNELLE

4.2.1. La qualité de l’école maternelle : une conception complexe, une définition et une évaluation qui dépassent le seul système éducatif

4.2.1.1. La qualité en éducation : une notion venue d’ailleurs, une préoccupation récente

Le terme de « qualité », aujourd’hui régulièrement utilisé dans un contexte de comparaison internationale en éducation, est largement emprunté au monde industriel où la « démarche qualité » repose sur la notion de certification de normes et d’évaluation des procédures : l’introduction, en 1987, d’ISO 9000163 dans l’industrie répondait au besoin d’assurer la qualité des processus de production

161 Extrait du texte de J. Bennett et M.-J. NEUMAN, Petite enfance, grands défis : examen des politiques d’éducation et d’accueil des jeunes enfants dans les pays de l’OCDE. Actes du colloque international de Genève en 2003, parus dans Perspectives, N° 132, UNESCO, 2004.

162 Cf. points 3.1.2.2. et 3.2.4.2.

163 ISO : organisation internationale de normalisation.

dans un espace international de transaction164. L’expansion du pilotage par la qualité dans le secteur de l’éducation s’inscrit, au plan international, dans un double mouvement : celui de la globalisation des services d’enseignement et de leur entrée dans la compétition mondiale, d’une part, et celui de l’évolution du management public qui se caractérise notamment par l’évolution d’un management par les moyens à un management par les résultats165, d’autre part.

Au-delà de l’enseignement supérieur où cette notion de qualité s’est d’abord développée, en réponse aux défis d’une économie basée sur la connaissance et la concurrence des savoirs166, sa généralisation à tous les niveaux de l’enseignement fait l’objet d’un consensus international. Dès le forum mondial de l’éducation de Dakar en 2000, la qualité est l’un des six objectifs de l’éducation pour tous167. Au niveau européen, en 2002, le rapport sur les indicateurs de qualité de l’éducation et la formation tout au long de la vie168 listait une quinzaine d’indicateurs dont l’objectif était à l’évidence de fournir un cadre de standardisation des données sur les systèmes éducatifs européens. C’est que, depuis les années 1990, la demande croissante d’analyse comparative des systèmes éducatifs mais aussi des établissements conduit à la production d’indicateurs statistiques pour l’évaluation de la qualité. Aux côtés de l’UNESCO et de l’OCDE qui produisent des indicateurs de performance par des programmes internationaux pour le suivi des acquis des élèves (PISA) ou par l’identification de bonnes pratiques, des agences plus ou moins gouvernementales et plus ou moins privées « notent » maintenant les établissements169.

Cependant, comme le soulignent certains auteurs170, la définition même du terme de « qualité » reste souvent floue. L’approche dominante conceptualise peu le choix des critères retenus et fournit plutôt une définition pragmatique de la qualité comme mesure en référence à des standards. Elle se limite souvent à une estimation des résultats des systèmes éducatifs, assortie d’une analyse au moyen de modèles input-output.

4.2.1.2. La qualité des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants : une homogénéisation jusqu’à quel point ?

La préoccupation relative à la qualité en matière d’éducation et d’accueil des jeunes enfants n’est pas toujours exactement de même nature. Concernant les services d’éducation et d’accueil de la petite enfance, le paragraphe 1.3.4.1. présente plusieurs grilles de critères de la qualité, dont aucune ne prend en compte les « résultats ». On peut ajouter la liste énoncée par la Commission européenne en février 2010 dans la communication COM (2011) 66 intitulée en français Éducation et accueil de la petite enfance : permettre aux enfants de se préparer au mieux au monde de demain et diffusée lors

164A. Vinokur, Les nouveaux enjeux de la mesure de la qualité en éducation, Revue inDIRECT, Bruxelles n°12, 2008.

165 G. B. Peters, « Nouveau management public », dans Dictionnaire des politiques publiques, Les Presses de Sciences Po, Paris, 3ème édition 2010, pp. 398-404.

166 Commission européenne, Vers une Europe de la connaissance. L’Union européenne et la société de l’information, N° catalogue NA-40601-989-FR-C, octobre 2002. Dès 1999, la déclaration de Bologne promeut la coopération européenne en matière d’assurance qualité et le processus de Lisbonne, en 2000, retient parmi ses trois objectifs généraux d’accroître la qualité et l’efficacité des systèmes d’éducation et de formation.

167 Les six objectifs du forum de Dakar : développer la protection et l’éducation de la petite enfance ; donner à tous les enfants l’accès à un enseignement primaire et gratuit de qualité d’ici à 2015 ; promouvoir l’apprentissage et l’acquisition des compétences de la vie courante par les adolescents et les jeunes ; améliorer de 50% les taux d’alphabétisation des adultes d’ici à 2015 ; instaurer la parité entre les sexes d’ici à 2005 et l’égalité dans l’éducation d’ici à 2015 ; améliorer la qualité de l’éducation.

168 Rapport européen sur les indicateurs de qualité de l’éducation et la formation tout au long de la vie, Commission européenne, Direction générale de l’éducation et de la culture, Bruxelles, juin 2002, consultable sur le site de l’U.E.

169 A. Vinokur, op. cit.

170 C. Bouchard, J. Plante, La qualité : mieux la définir pour mieux la mesurer, Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale, Université de Liège, 11-12/2002.

de la conférence organisée à Budapest à l’occasion de la présidence hongroise en octobre 2010 sur le thème « Excellence and equity in early childhood education and care ». Sont considérés, a priori, comme contribuant à la qualité des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants les éléments suivants :

- parvenir à l’équilibre approprié dans le programme pédagogique entre les aspects cognitifs et les aspects autres que cognitifs ;

- œuvrer à la professionnalisation du personnel : assortir les qualifications aux fonctions ; - prendre des mesures visant à attirer, à former et à fidéliser du personnel qualifié ; - améliorer l’égalité des sexes au sein du personnel ;

- s’acheminer vers des systèmes qui intègrent accueil et éducation et en améliorent la qualité, l’équité et l’efficacité ;

- faciliter la transition des jeunes enfants du milieu familial aux structures d’éducation ou d’accueil et entre les différents niveaux du système éducatif ;

- garantir l’assurance de la qualité : élaboration de cadres pédagogiques cohérents et bien coordonnés associant les principales parties prenantes.

Les conceptions de la qualité sont liées aux conceptions de l’enfance et de sa première éducation dont le premier chapitre du rapport met en évidence la très grande diversité ; elles peuvent, de plus, se révéler fort différentes selon que l’on considère le point de vue des professionnels, des financeurs, des enfants et de leurs parents. Il existe certes des points communs entre toutes les grilles d’analyse comme l’importance de la qualification et de la formation des professionnels auxquels les enfants sont confiés, l’implication des parents dans le fonctionnement des services, mais pas d’absolue concordance : les taux d’encadrement si symboliques ne sont pas toujours pris en compte, la mise en place de curriculums non plus.

Si la qualité de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants est une préoccupation que les organismes internationaux appellent à renforcer, les difficultés que posent sa définition et sa mesure peuvent amener à se demander si la qualité en éducation, quand celle-ci concerne les services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants peut être appréhendée de manière universelle. Comment adapter les stratégies des agences d’assurance qualité de l’enseignement supérieur aux spécificités de l’enseignement primaire et surtout de l’école maternelle ? Le faut-il ?

Et s’il existe, au-delà de la diversité géographique, économique, sociale et culturelle, des convergences entre les stratégies déployées pour améliorer la qualité des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants, peut-on pour autant imposer à tous la même conception de la qualité ? La question peut aussi être abordée sous un autre aspect : quelles seraient les faiblesses des systèmes d’éducation et d’accueil des jeunes enfants dans une évaluation de leur qualité ? Les éléments de réponse donnés dans une publication de l’UNESCO en 2004171 sont les suivants : des services de garde non réglementés ; une place insuffisante accordée à la dimension éducative ; l’emploi d’un personnel sous-payé et peu formé ; le placement des jeunes enfants dans des situations d’apprentissage formel à l’âge de trois ou quatre ans. Il est précisé sur ce dernier point :

« Au cours des années 70 et 80, de nombreux gouvernements ont investi des sommes colossales pour la prise en charge universelle et gratuite de tous les enfants de 3, 4 ou 5 ans. Ce faisant, ils ont eu tendance à conserver les mêmes environnements d’apprentissage (taux d’encadrement, approches pédagogiques et procédures d’évaluation) qu’à l’école, bien que trop rigoureux et parfois néfastes pour les enfants concernés par les structures d’EAJE ».

171 Dans Revue Perspectives, n° 132. UNESCO, Scolariser la peti te enfance ? Colloque international de Genève, 2003. ; J. Bennett et M.-J. Neuman, Petite enfance, grands défis : examen des politiques d’éducation et d’accueil des jeunes enfants dans les pays de l’OCDE.

Se trouve ici résumée la critique majeure adressée à l’école maternelle française par l’OCDE au terme de l’étude comparative dont les résultats ont été publiés en 2006 et qui n’était pas intégralement positive. D’autres enquêtes internationales classent cependant la France en bonne position172. La relativité de la qualité mise en évidence dans les différentes déclinaisons qui en sont faites selon le pays doit inciter à la prudence pour statuer sur la qualité de l’école maternelle française. La recherche de la qualité doit obligatoirement conduire à définir clairement et au préalable ce qui est souhaité car il ne s’agit pas d’améliorer la qualité de l’école mais d’améliorer l’école pour qu’elle atteigne la qualité souhaitée173.

4.2.1.3. Une qualité à la française ?

En France, la problématique de la qualité a été et est peu mise en avant dans l’enseignement scolaire. L’approche qualité concerne quelques établissements de formation professionnelle du second degré et s’attache alors au fonctionnement de l’établissement dans son environnement174. De la même manière, les GRETA (groupements d’établissements pour la formation des adultes) sont entrés dans la démarche qualité depuis 2000 : les apports des normes ISO sont intégrés dans les dispositifs de formation continue et certains GRETA sont certifiés ISO175. Pour les autres niveaux de l’enseignement scolaire, que ce soit le second degré d’enseignement général, l’école élémentaire ou l’école maternelle, cette approche, si elle a pu être expérimentée ici et là (notamment dans l’académie de Caen il y a une dizaine d’années), est cependant relativement ignorée.

Dans l’analyse qu’ils font de cet état de fait s’agissant de l’école maternelle, certains sociologues et psychologues de l’enfance176 apportent deux éclairages : d’une part, le fait qu’il y ait des normes, des règles nationales est souvent donné a priori, ainsi qu’on l’a vu plus haut, comme facteur de qualité (ce qui, d’une certaine manière, dispense de s’interroger) et, d’autre part, l’État étant prescripteur, il est responsable et garant du bon fonctionnement des institutions qu’il met en place.

En s’appuyant sur la revue des situations dans d’autres pays et sur l’enquête effectuée, la mission considère que notre système a des atouts reconnus qu’il doit préserver mais qu’un certain nombre de progrès peuvent être faits pour améliorer la qualité de l’école maternelle ; les préconisations énoncées au chapitre 5 prennent en compte certains des critères de qualité de la Commission européenne.

Mais même si le cadre national est amélioré, si des critères de qualité sont formellement pris en compte pour organiser mieux le service aux jeunes enfants et à leur famille, le ministère ne peut s’en tenir aux intentions : qui attestera, in fine, que le service fonctionne comme il le devrait ? La qualité de l’école maternelle procède de contributions multiples : l’État, la commune ou la structure intercommunale, les parents, etc. Il reste à être imaginatif quant aux procédures participatives par lesquelles pourrait être examinée la question de l’évaluation de la qualité effective du service rendu.

Une évaluation d’école associant, pour partie de son déroulement, des acteurs extérieurs à l’Éducation nationale serait peut-être une bonne formule.

172 Cf. bilan INNOCENTI 8, 1.3.4.1.

173 C. Bouchard, J. Plante, op.cit.

174 Depuis 2005, le label Lycée des métiers « qualifie une démarche qualité accessible à tout lycée professionnel ou polyvalent (…) qui offre des formations et des services conformes à des critères obligatoires »174. Ces critères de labellisation sont regroupés dans un cahier des charges national qui s’impose à tout établissement sollicitant le label.

175 Un label GretaPlus est créé en 2000 qui se fonde, depuis 2009, sur le référentiel de bonnes pratiques AFNOR (Association française de normalisation : institution française affiliée à l’ISO).

176 E. Plaisance, S. Rayna, « L’éducation préscolaire aujourd’hui : réalités, questions et perspectives », dans Revue française de pédagogie, n° 119, 1997 : pp. 107-139,

4.2.2. L’école maternelle est-elle efficace ? 4.2.2.1. Les doutes

Divers rapports ont semé le doute sur l’efficacité de l’école maternelle dans les dernières années, ceci d’autant plus que l’institution, comme on le verra plus loin177, ne dispose pas effectivement d’indicateurs de « performance » à ce sujet.

Ainsi le Haut conseil de l’éducation titrait-il pour un des chapitres de son rapport sur L’école primaire :

« L’école maternelle ne met pas tous les enfants dans les conditions de réussir à l’école élémentaire »178. Est-ce pour autant que l’école maternelle n’a pas fait progresser ses élèves ? N’est-elle pas malgré tout bénéfique pour beaucoup d’enfants qui, sans N’est-elle, seraient dans une situation plus défavorable pour commencer les apprentissages systématiques et structurés du cours préparatoire ? Le fait qu’il y ait des écarts entre enfants signifie-t-il que les moins avancés sont en difficulté ? Sait-on expliciter les acquis des élèves et, au cours préparatoire, les prendre en compte ? Le regard sur la maternelle, les attentes ont changé : parce qu’elle parvient à doter les plus avancés d’une somme de connaissances et de savoir-faire que l’on n’aurait jamais espérée il y a trente ans, le risque est que l’on trouve naturel – ou presque – que les élèves sachent déchiffrer en quittant la section de grands. Nous l’avons dit, un des tests utilisés dans le bilan de santé de la sixième année doit être ré-étalonné parce que « le niveau monte », ce qui traduit une évolution des acquis (en moyenne) des enfants et peut être mis, au moins pour partie, au crédit de l’école maternelle179.

4.2.2.2. Les difficultés de la preuve

L’institution manque d’indicateurs pour rendre compte de l’efficacité de la première scolarisation. Dans les années 60, le raisonnement était relativement simple puisqu’il suffisait de comparer le parcours scolaire de ceux qui sont allés à la maternelle (un an, deux ans, trois ans) et des autres pour prouver l’influence de la scolarité maternelle sur le déroulement de la scolarité élémentaire ; aujourd’hui, alors que tous les enfants ou presque fréquentent la maternelle, il est bien plus difficile de mettre en évidence sa contribution.

Quand on s’interroge sur la mesure de l’effet des interventions précoces, des spécialistes de la question répondent aujourd’hui qu’il faut se méfier des modèles linéaires, que de nombreuses variables peuvent renforcer ou contrecarrer l’effet des stimulations et qu’il est plus pertinent de penser que la scolarisation précoce a certes des effets, mais des effets partiels sur la réduction des inégalités, invitant même à une « révision critique des illusions pédagogistes »180. C’est aussi le sens des conclusions du rapport de l’OCDE en 2007 reprises par la Cour des comptes dans le rapport déjà cité de 2008 :

« Il ne serait pas raisonnable d’attendre des programmes en faveur de la petite enfance – même les meilleurs – qu’ils garantissent la réussite personnelle ou l’égalité sociale. Même si la petite enfance est une étape importante du cycle de la vie, un bon départ peut être rapidement affaibli par une éducation primaire médiocre, une situation familiale défavorable, une communauté qui connaît des troubles ou un préjudice social ou sur le marché du travail. En somme, il est plus réaliste de considérer l’accueil et l’éducation de la petite enfance du point de vue de la société comme une

177 Cf. 4.2.3.

178 L’école primaire, Haut conseil de l’éducation, Bilan des résultats de l’école, 2007.

179 Même si l’indicateur concerne des compétences très « scolaires » (découverte du principe alphabétique et acquisition de la conscience phonologique), il n’est effet pas exclu que des enfants reçoivent, dans certaines familles qui ont compris l’importance de ces acquis, un complément d’enseignement à ce qu’apporte l’école.

180 E. Plaisance, S. Rayna, « L’éducation préscolaire aujourd’hui : réalités, questions et perspectives », dans Revue française de pédagogie, n° 119, 1997 : pp. 107-139.

variable petite mais importante des systèmes complexes et interdépendants qui régissent les résultats des individus, des économies et des sociétés ».

D’un point de vue méthodologique, pour produire des données fiables, et d’autant plus avec de jeunes enfants qui ne sont pas autonomes à l’écrit et pour lesquels le langage oral reste un objet d’évaluation important, les problèmes techniques sont importants. La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) souligne les aléas de mesure qui entacheraient les données si l’on mettait en œuvre des protocoles de même nature que ceux qui sont utilisés à l’école élémentaire, et le coût que représenteraient des procédures totalement rigoureuses, contrôlées. Son directeur considère que le repérage des élèves à aider constitue un enjeu de plus grande importance que la mesure de l’efficacité de l’école maternelle, et qu’à cet égard l’évaluation qualitative nécessaire ne pose pas les mêmes problèmes.

C’est donc vers les acteurs locaux que la responsabilité d’évaluations adaptées est renvoyée, le niveau national (DGESCO et DEPP associées) pouvant fournir des outils dont il serait souhaitable qu’ils aient fait l’objet, sinon d’un étalonnage au sens le plus rigoureux de la psychométrie, au moins de « tests » auprès d’échantillons.

4.2.3. L’école maternelle dans le cadre du dispositif de performance du programme 140 -

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