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Les 23 et 24 septembre 2004, l’UMR « Espaces et Sociétés » organisait à Angers un colloque intitulé « Peut-on prétendre à des espaces de qualité et de bien-être ? » Selon la géographe Annabelle Morel-Brochet122, son auditoire était essentiellement composé de la trentaine d’intervenants qui y participaient, venant de l’anthropologie, de la sociologie, de l’économie et de la géographie sociale.

On y constatait que le concept de bien-être appelait bien peu de travaux en Europe et offrait donc encore un vaste espace de recherche à investir. Le géographe Sébastien Fleuret posait la question de savoir quelles étaient les qualités premières qu’un espace devait posséder pour être facteur de bien-être. On y répondait d’abord par des traits morphologiques et matériels et

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In « " Peut-on prétendre à des espaces de qualité et de bien-être ? ". Compte rendu de colloque (Angers, 23-24 septembre 2004) », pp. 332-334

des considérations de géographie urbaine (manière de penser un espace public nécessairement modulable, donnant leur place aux différents usages qui en sont faits, favorisant un certain type de rapports sociaux : relation de voisinage, sentiment d’intégration locale, participation des citoyens dans le processus de décision). Venaient ensuite des propositions liées à l’ambiance du lieu : ses caractéristiques sensorielles (olfactives, visuelles), le sentiment de beauté qu’il pouvait susciter.

« Le bien-être est fonction de différents facteurs : satisfaction des besoins primaires, représentations individuelles et sentiment d’accomplissement, conditions d’existence et qualité de vie. Il ne s’agit pas d’une notion absolue mais très relative. Elle doit être étudiée sous trois angles : celui des conditions de vie qui renvoie à la satisfaction des besoins, celui du cadre de vie qui renvoie à l’aménagement de l’espace et celui des habitudes de vie qui renvoie aux perceptions individuelles et aux dimensions subjectives » (Fleuret, 2006123)

Pour le géographe Antoine Bailly, le bien-être est une notion globale qui, reposant sur une vision d’ensemble de l’homme et de la société ne saurait être dissociée de l’espace : il n’y a de planification spatiale véritable qu’à condition d‘intégrer les concepts de rentabilité sociale et de qualité de vie.

« Le bien-être est le résultat des relations entre l’Homme, la société et le milieu, entre le Moi et l’extérieur, entre l’individu et le groupe (…) entre le mythe subjectif et le monde externe, entre les traits visibles et invisibles de la société »124

Antoine Bailly précise l’ambition de ce que serait la géographie du bien-être : celle de contribuer à la conception d’une politique spatiale cohérente en étudiant les équilibres et les déséquilibres dans la qualité de vie et le bien-être, les variations des aspirations des habitants.

« C’est un des objectifs de la géographie du bien-être que de donner cette image à la fois utile pour l’aménageur qui conçoit les structures du développement futur et pour l’habitant qui prend conscience des référentiels majeurs de son groupe social » (Bailly, page 25)

Si certains auteurs tels Antoine Bailly ne distinguent guère les notions de qualité de vie et de bien-être tant elles paraissent voisines, d’autres tout au contraire marquent net le distinguo qui les séparent. Ainsi le géographe André-Frédéric Hoyaux125 :

« Le terme de qualité de vie relève d’une objectivation des conditions par un collectif ; celui de bien-être, découle, quant à lui, de sa représentation ou de sa subjectivation par l’habitant. L’un s’institue sur des critères scientifiques censés être stables et partageables de la qualité intrinsèque des conditions de vie nécessaires pour l’existence humaine ; l’autre se construit à travers des représentations, une sensation

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In « Espaces, Qualité de vie et Bien-être » p. 317 124

In « La géographie du bien-être », p. 18 125

instable car fondamentalement situative et générative pour chacun d’entre nous autour des valeurs que nous avons incorporées »

S’agissant de conventions verbales (il ne peut exister aucune définition formelle, consensuelle et définitive de ce qu’est la qualité de vie), ce propos nous paraît tout-à-fait discutable et, d’ailleurs, vient s’opposer au point de vue de Joseph Stiglitz et d’Amartya Sen (tous deux Prix Nobel) que nous décrivons au paragraphe 3.2 (page 118). De même nous mettons en doute la validité de la notion de « critères scientifiques » qui définiraient la « qualité

intrinsèque de condition de vie » au seul motif que ce qui paraît être une contribution évidente

à la qualité de vie d’un habitant ne saurait l’être nécessairement pour son voisin. L’auteur va plus loin encore dans une relative forme de radicalité de ses propos :

« Les publicitaires sont alors amenés à un double travail : le premier, rendre confus la différence entre qualité de vie et bien-être ; le second, inventer l’inutile en instituant des critères et des mesures de la qualité de vie (logement HQE) en insistant sur le fait que ces critères et ces mesures constituent des éléments nouveaux mais essentiels du bien-être » (Hoyaux, 2016)

Certains chercheurs sont plus mesurés dans leurs prises de position et constatent126 :

« Un flou certain perdure dans l’usage des termes « qualité de vie » ou « bien-être », notions qui sont pourtant de plus en plus mobilisées lorsque sont envisagées des perspectives alternatives de mesure économique et sociale » (Jany-Catrice, 2016)

Annabelle Morel-Brochet conclut en ces mots son compte-rendu de colloque :

« De ces journées, on gardera l’impression d’une toile sur laquelle se côtoie une multiplicité de petites touches variées, encore trop disséminées pour que se dessine avec netteté un tableau. Les contours de la – jeune – notion de bien-être restent flous. Cette rencontre n’en a pas moins permis de montrer son intérêt, pour les sciences sociales notamment. Mais elle a aussi mis en évidence l’impérieuse nécessité que soit consenti un effort de conceptualisation et de théorisation pour qu’elle soit en mesure de construire un champ de recherche » (Morel-Brochet, 2004)

Mais pour quelle raison, singulière ou plurielle, la géographie tarde-t-elle autant à s’intéresser au bien-être comme motif d’étude ou comme moyen de décrire un espace habité ? Le bien- être n’est pourtant pas un objet nouveau : il décrit l’homme depuis aussi longtemps que ce dernier existe…

Nous pensons trouver une réponse dans les écrits d’un des pères de la géographie des TIC, Henry Bakis127 (p. 659) :

126

in « La mesure du bien-être territorial. Travailler sur ou avec les territoires ? », Revue de l'OFCE, 1/2016 (n° 145), p. 63-90

127

« Les géographes pour leur part font généralement peu de place, dans leurs travaux, aux télécommunications. Il semble que l’on pourrait parler d’une sorte d’occultation du ‘’phénomène télécommunication’’ en géographie. L’une des raisons principales de ce manque d’intérêt peut être cherchée dans l’aspect immatériel et caché du phénomène. Homme de terrain, le géographe aime à prendre un contact quasi-charnel avec son objet d’étude. Alors que les infrastructures des transports sont visibles, bien ancrées dans le paysage, tangibles même, il n’en va pas de même pour les infrastructures de télécommunications qui ne s’imposent pas à l’observateur quand elles sont visibles et sont même souvent en dehors du champ d’observation (câbles enterrés » (Bakis, 1980)