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Paris. 20 février 2015. Le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie (MEDDE) et l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) organisent un colloque scientifique intitulé « Le bien-être territorial en France : de la mesure à l’action,

pour une société plus durable ». On s’y base sur la définition du bien-être décrite dans le

rapport de la « Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès

social » (Stigltiz et al, 2008) : « Le bien-être présent est dépendant des ressources économiques et non économiques, de l’appréciation par les citoyens de leur environnement, de leur action et de leur capacité à agir ». Eloi Laurent (centre de recherche en économie de

Sciences Po) déclare en introduction :

« La qualité du bien-être varie d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, parfois d’un quartier à l’autre dans un même espace physique. Des travaux de recherche de plus en plus nombreux et robustes montrent combien l’endroit où les gens vivent détermine leurs chances dans la vie. Parce que la géographie conditionne ainsi l’histoire, les politiques publiques doivent s’emparer de l’enjeu du bien-être territorial ».

Parmi ces politiques publiques il est bien sûr celle non citée spécifiquement de l’aménagement du territoire et, plus singulièrement, de son aménagement numérique. Pour ce chercheur, les échelons locaux de gouvernement ont souvent un impact immédiat sur le bien- être de la population. Il ajoute :

« Mesurer le bien-être au niveau local peut aider les décideurs à donner la priorité à l’intervention publique là où elle est la plus nécessaire afin de mieux évaluer et contrôler la concentration spatiale des avantages ou des difficultés et d’améliorer la cohérence des politiques en identifiant des synergies dont les territoires peuvent tirer parti. L’enjeu du bien-être territorial est donc considérable »

L’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE137), l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE138), le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET139), le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD140) ont publié différents travaux qui se rejoignent dans une approche commune de nouveaux indicateurs de bien-être et de la soutenabilité. Ces organisations se sont notamment saisies des enjeux révélés par la Commission Stiglitz en cherchant à affiner le système de mesure en deçà de l’échelon national : la finalité est ici de mieux prendre en compte les particularités territoriales au plus près du vécu des habitants.

137

L’OCDE est l’auteur du programme « Comment va la vie dans votre région ? » 138

L’INSEE a élaboré un ensemble d’indicateurs territoriaux de qualité de vie 139

Le CGET est l’auteur en 2014 du rapport « Qualité de vie, habitants et territoires » 140

Le CGDD est l’auteur en 2014 du rapport « L’environnement en France » qui souligne la relation entre les inégalités environnementales et le bien-être

L’OCDE observe ainsi que la plupart des dimensions de son baromètre interactif du bien-être dépend de choix de politiques publiques et de pratiques bien ancrées au niveau local : ainsi la perception du risque environnemental est à la fois un enjeu mondial mais aussi le résultat d’arbitrages rendus par les pouvoirs publics locaux. L’objectif que poursuit l’INSEE quand il élabore ses indicateurs territoriaux de qualité de vie est de travailler à l’échelle de la commune et permettre ensuite des agrégations à de niveaux supra-communaux. Une telle approche autorise le suivi de territoires « mouvants » dans le temps : selon l’évolution de leur structure administrative ou des compétences que leur confère le législateur (en référence à la réforme territoriale en cours, que dicte la loi NOTRe). Les travaux sur le bien-être que conduisent ces différentes institutions mettent en lumière les inégalités locales en matière de santé, d’accès à l’emploi, de préservation de l’environnement : autant de disparités qui sont à prendre en compte par l’autorité publique de proximité au sein d’un projet de territoire qui épouse ses caractéristiques morpho-éco-démo-sociologiques. Une vision homogène, normative de l’espace vécu est ainsi dépassée, favorable à une nouvelle conception de politiques publiques que la société numérique peut aider à bâtir :

- parce qu’elle est davantage participative (les habitants expriment volontiers leurs avis et idées),

- parce qu’elle permet une fine connaissance du besoin des habitants,

- parce qu’elle autorise de moduler / adapter une offre de services publics aux attentes que les citoyens ont exprimées.

Posons le regard sur les zones rurales. On assiste depuis les années 1970 à la lente reconquête de certaines régions dont le solde migratoire, déficitaire pendant des décennies, s’est aujourd’hui inversé. Cette évolution démographique s’accompagne d’une dynamisation de ces territoires jusque-là en voie de désertification. Les territoires à dominante rurale attirant non seulement dans l’imaginaire mais aussi de plus en plus dans la réalité des populations en quête de meilleures conditions d’existence :

« Ces migrants parfois englobés dans la catégorie des néo-ruraux forment un groupe hétérogène d’un point de vue social, économique, considérant leur âge ou leur origine géographique Il y a des retraités, des ‘’immigrés de l’utopie’’, des personnes déplacées pour des motifs professionnels ou familiaux, individus ou familles en situation précaire (… ). Tous sont portés par un même rejet, une même quête : la fuite du milieu urbain et de son cortège de nuisances, la recherche d’un mieux vivre, d’un bien-être ou d’un être bien qu’incarne un espace rural imaginé comme l’antithèse de la ville. La qualité de vie mais aussi la volonté de se sentir plus en phase avec ses valeurs à travers un autre rapport à l’environnement, à autrui, au travail ou à la consommation » (Bonini, 2004)141

Nous verrons à l’examen de nos enquêtes en deuxième partie de cette thèse, que les personnes s’installant dans les Yvelines rurales ne tentent pas nécessairement de s’inscrire en rupture

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avec le mode de vie urbain qui était le leur auparavant, mais plutôt à marier les qualités de deux espaces : la tranquillité et l’apparente douceur du paysage rural d’un côté, l’activité fébrile et la variété des usages que permet la ville connectée de l’autre ; ce que le géographe Serge Schmitz relève en ces mots142:

« Le paradoxe de l’habiter à la campagne : on en rêve pour la qualité de l’environnement, on en souffre sur les questions de l’accessibilité aux commerces, aux écoles et aux transports publics » (Schmitz, 2006).

Plus près de la ville, dans cette zone intermédiaire qu’est l’espace péri-urbain, le besoin d’un accès à l’univers Internet n’est pas moins faible, comme le note Philippe Vidal :

« (Les TIC) sont désormais perçues le plus souvent comme une condition du bien-être pavillonnaire périurbain. Ceci est particulièrement notable pour les ménages les plus récemment installés correspondant à une génération pour laquelle ces technologies se sont banalisées (Bakis, Vidal 2007) et complètement intégrées dans la quotidienneté. Ces derniers ont considéré la capacité du lieu à proposer un bon niveau de connectivité comme un critère décisif de l’installation. Cette appropriation numérique contribue à donner à l’habiter périurbain un surcroît d’intérêt, conférant à la maison périurbaine une plus grande valeur d’usage. Les TIC améliorent le confort de l’habitation en diversifiant ses fonctions et en préservant voire en décuplant « le bien- être pavillonnaire ». Les usages les plus fréquemment évoqués ne sont pas principalement liés comme on aurait pu s’y attendre à la question du télétravail. Certes, cette possibilité figure parmi la liste des usages potentiels, en particulier chez ceux qui ont rejoint ces espaces récemment (Ortar 2009). Mais d’autres pratiques, au premier rang desquelles le commerce électronique, les téléprocédures administratives, ou encore les sociabilités virtuelles (Facebook) s’intercalent de façon plus systématique dans les modes d’habiter périurbain. Les TIC s’invitent désormais dans la configuration décrite par Daniel Pinson et Sandra Thomann d’une maison périurbaine définie comme le centre d'un « système de lieux » (Pinson, Thomann 2002) : un « hub » (Hjorthol R., Gripsrud M., 2009) à partir duquel l’habitant fait l’expérience de toute une série de téléactivités » (Vidal, 2011143, p. 149)

Si les TIC contribuent effectivement au confort de vie dont parle cet auteur (ce qui nous rapproche de la notion de bien-être habitant), elles sont aussi appelées par les élus ruraux comme outils d’évolution et de recomposition de leurs territoires, comme ressource nécessaire pour obtenir le développement de l’économie présentielle. Laurence Barthe et Johan Milian notent :

« Ce premier aspect fait écho à la préoccupation permanente sur les conditions d’attractivité de ces espaces : l’équipement en TIC est ainsi considéré comme un

142

In « Espace, bien-être et qualité de vie », p. 158 143

élément indispensable autant pour encourager l’installation, le retour ou le séjour (…). Le numérique a parallèlement été érigé comme un moteur de la capacité de performance, d’innovation, de créativité, qui accompagne les processus de développement territorial et permet aux acteurs locaux de s’organiser et de se singulariser dans leurs démarches et leurs initiatives » (Barthe et Milian, 2011144, p. 296)

Ce serait donc plutôt en ces espaces périurbains et ruraux que le numérique et le bien-être habitant se marieraient le mieux ou pour le moins trouveraient un contexte des plus favorables à leur union et développement : les TIC y sont attendues comme moyen de transformer la société grâce notamment aux mutations qu'elles autorisent dans les relations sociales (pensons aux outils collaboratifs, aux réseaux sociaux) ou dans la valorisation du capital culturel du territoire (base de données vidéo, visites virtuelles d’un lieu en 4 dimensions, présentation « augmentée » d’une collection)

« Ce scénario propose un visage de ce que pourrait être la société numérique de demain, où les univers dématérialisés et les technologies virtuelles sont partout présents dans le quotidien des pratiques. Le stéréotype de ce scénario est celui d’un univers de télétravailleurs évoluant dans des « espaces intelligents » (logement, transports, loisirs). Dans des espaces qui se reconfigurent essentiellement sous la forme de zones fonctionnelles plus que de territoires au sens plein du terme, on peut imaginer une dématérialisation complète de nombreux services (E-santé, E-formation, E-administration…). Omniprésentes et accessibles, les TIC y conditionnent même le quotidien des pratiques, en estompant la proximité physique autrefois caractéristique des modes d’habiter du rural. Elles se placent alors certes au service de la population mais sans constituer des équipements structurants du territoire puisqu’il n’y en a plus en tant que tel » (Barthe et Milian, 2011, p. 311)

Figure 21 : La corrélation entre le taux d'équipement et le degré de bien-être ressenti (source T Pénard, R Suiez, N Poussing, 2011)

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In « Les TIC et la prospective sur les territoires ruraux. Retour sur le programme Territoires 2040 », pp. 291-314

Chapitre 5 - Un exemple de contribution du numérique au bien-être

habitant : les tiers-lieux

« Mais habiter ne se cantonne pas à l’intérieur des murs du logement ou de la clôture du jardin. Habiter étant avant tout le fait de se sentir bien en des lieux, de s’y sentir chez-soi, d’autres espaces peuvent s’ajouter aux territoires de l’habiter. Nous les nommons territoires intimes. Ainsi, un parc, une voie de cheminement, un lieu de travail peuvent faire partie de ces territoires s’ils permettent aux habitants de se reconnaître en eux et de s’en imprégner pour se constituer » (Herouard, 2014145)

Arrivant au terme de la première partie de notre thèse qui décrit une certaine histoire de la société de l’information, qui aborde quelques-uns de ses enjeux majeurs, qui évoque l’extrême variété des questions, des contradictions, des débats que suscite cette société auprès de ses multiples parties prenantes il nous paraît opportun d’interroger un exemple de ce que les techniques qui font le berceau de la société numérique peuvent très concrètement apporter au territoire et au bien-être habitant.

Nous choisissons ici de traiter le cas des tiers-lieux et du travail à distance sur le territoire de l’Île-de-France à partir d’une enquête que nous avons conduite auprès de différents acteurs impliqués dans la création et l’animation de ces outils d’aménagement du territoire. Nous verrons notamment que les gains les plus importants des tiers lieux sont attendus dans les parties les plus reculées, les plus rurales de ce territoire. L’économie numérique y offre des opportunités de développement d’activités marchandes réalisables à distance.

« Les jeunes originaires du territoire qui ont fait des études supérieures y trouvent difficilement un emploi, ce qui entraîne un mouvement permanent de fuite des compétences et favorise le vieillissement. Pour enrayer ce mécanisme, l'économie créative doit prendre sa place dans ces territoires, au côté du secteur primaire, de l'industrie, en complément de l'économie résidentielle qui ne doit pas devenir une mono-activité » (Moriset, 2011)146