• Aucun résultat trouvé

« Trouver des boussoles qui aident à se fixer pour cap un nouveau modèle de développement, plus soucieux des ressources naturelles et du bien-être humain » (Myriam Cau, vice-présidente du conseil régional Nord-Pas-de-Calais en charge du développement durable, 2003)

Nous venons de voir combien le bien-être est un concept amplement courtisé par les sciences sociales. D’entre elles, l’économie est la discipline où nous avons trouvé le plus grand nombre de publications récentes : elle hisse le bien-être au rang d’élément de métrique alternatif de la richesse d’un territoire. De ce fait, elle crée un lien assez fort entre les notions de bien-être et d’espace géographique, lieu d’expression d’actions sociales, lieu d’exercice de la compétence de l’acteur public. Pour l’économiste Eloi Laurent, il existe au moins deux raisons fortes qui font des territoires (régions, métropoles, départements, villes) « les vecteurs

par excellence de la transition du bien-être et de la soutenabilité ». La première tient à leur

montée en puissance sous le double-effet de la mondialisation et de l’urbanisation. La seconde tient à leur capacité d’innovation sociale.

Nous allons constater dans le tableau présenté en figure 14 le grand nombre d’organisations de différentes échelles (communes, régions, nations, institutions internationales), de différentes cultures (latino et anglo-américaines, européennes, asiatiques) qui, en l’idée de développer le bien-être habitant et l’attractivité du territoire se sont impliquées dans la définition de méthodes et d’outils de sa mesure (« Ce qui ne se mesure pas n’existe pas », s’amusait à répéter le physicien danois Niels Bohr, théoricien de la physique quantique). Ce tableau présente 18 initiatives (majoritairement des expérimentations) qui nous enseignent différents points assez remarquables :

- le premier est que le questionnement sur le rôle du bien-être habitant comme moyen de piloter une politique territoriale, voire comme objectif de cette politique remonte déjà aux années 1970 et trouve ses auteurs dans un lointain petit pays de l’Himalaya (le Bhoutan),

- le second point qui nous est montré est la diversité des acteurs qui ont travaillé sur le sujet du bien-être du territoire : ils n’ont pas toujours relevé de la sphère des décideurs politiques. Il s’est agi parfois de structures associatives issues de la société civile (Italie, France), de milieux Universitaires (Canada, Colombie) ou de groupes de presse (Colombie)

- la troisième chose qui nous semble ici révélée est l’impact des travaux de la Commission Stiglitz (autrement nommée « Commission sur la mesure des

performances économiques et du progrès social ») dont nous rappelons qu’elle a été

mise en place par le Président Sarkozy en janvier 2008 dans le but de développer une « réflexion sur les moyens d'échapper à une approche trop quantitative, trop

comptable de la mesure de nos performances collectives » et d'élaborer de nouveaux

indicateurs de richesse. Nous pensons que la publication de ces travaux (diffusée en septembre 2009 et largement relayée par de grands médias de différents pays) a eu un grand retentissement et a permis une sorte de prise de conscience presque planétaire. À preuve, 9 des 18 actions que nous décrivons dans la figure 14 ont été initiées dans le sillage de ces travaux en 2010 et 2011. Le lien de cause à effet nous paraît lors assez franc,

- la quatrième remarque que nous formulerons est le fait que trois expérimentations françaises (territoires de la commune de Mulhouse, du département de Gironde, de la région de Bretagne), se sont explicitement appuyées sur l’outil méthodologique SPIRAL du Conseil de l’Europe. Cet outil est précisément celui que nous avons retenu en 2011 pour construire notre propre grille d’analyse,

- le cinquième point que nous soulignerons est l’observation du fait que le bien-être dans sa relation au territoire est quasi-exclusivement approché par sa métrique : par les indicateurs, la façon de chiffrer, de tracer, de mesurer. Les auteurs des différents dispositifs présentés ne s’interrogent pas nécessairement ou explicitement sur la façon de générer du bien-être habitant mais plutôt sur celle d’évaluer le bien-être produit : comme si la difficulté d’administrer un territoire bienheureux était en premier lieu un problème de mesure,

- le dernier point que nous relevons est celui de l’ancrage de l’expérimentation aux valeurs du développement durable. Il nous semble que lorsque ces dernières sont revendiquées comme socle ou comme motif de l’engagement de la collectivité à se saisir du sujet du bien-être (cf le cas de la région Île-de-France), alors l’expérimentation conduite a davantage de chances d’aboutir à un résultat tangible et traduire une volonté pérenne de ses porteurs. Le cas de l’expérimentation conduite sur le territoire de la commune de Saint Denis est assez révélateur d’une pratique opportuniste qui n’a pas su s’inscrire dans le temps. Il est vrai qu’elle n’était portée que par une association d’habitants et a manqué d’appuis ou de relais locaux bien qu’elle fut pourtant soutenue financièrement par le Ministère de la Culture, la Région Ile de France et la communauté de communes Plaine-Commune.

Il nous faut noter que ces différentes expériences ont été conduites comme autant d’actions isolées, sans qu’aucune organisation ne s’attachât à valoriser les résultats de l’une au profit de tous, à capitaliser la connaissance acquise pour enrichir un savoir partagé. Les Nations Unies se cantonnent à un rôle de prescripteur qui stimule l’action première, le Conseil de l’Europe s’est impliqué dans le développement d’un outil méthodologique et a créé un site Internet où les collectivités utilisatrices peuvent prendre l’initiative d’échanger entre elles et montrer leurs résultats. L’Union Européenne aurait probablement pu se positionner comme l’organisation qui eût impulsé, rassemblé, lié et fédéré les initiatives, facilité les échanges, favorisé les mutualisations, aidé à en graver les résultats dans une mémoire collective et accessible de tous.

Au final, nous identifions des initiatives qui se ressemblent souvent mais ne se rejoignent jamais tout-à-fait, des travaux qui se répètent alors qu’ils auraient pu s’inscrire dans une continuité et pour partie se trouver mutualisés : quand bien-même les terrains d’applications soient différents, une réflexion stratégique aboutissant à une approche méthodologique partagée pouvait être conduite.

On sent bien à tout niveau de gouvernance des territoires que l’association du bien-être et de l’espace habité fait sens. Le bien-être en ce cas pourrait être entendu comme un attribut, un paramètre descriptif et singulier du territoire.

Année Initiateur Initiative Finalités

1972 Royaume du Bhoutan

Indice du Bonheur National Brut (BNB)

Mettre en œuvre une « façon de penser située entre le matériel et le spirituel » (selon Dorji Wangdi, Ministre du Travail) se définissant en neuf dimensions (bien-être psychologique, santé, éducation, utilisation du temps, diversité culturelle, gouvernance, vitalité de la vie démocratique, diversité écologique, niveau de vie et 33 indicateurs qui servent à mesurer le niveau de satisfaction d’une personne et son état de bonheur)

1998 Chambre de commerce de Bogota, Université pontificale Javeriana, journal El Tiempo, fondation privée Corona

Projet Bogota : como vamos ? (Bogota : comment allons-nous ?)

Créer un observatoire « programme de contrôle citoyen qui évalue l’évolution de la qualité de vie à travers une batterie d’indicateurs techniques et de perception ». Il promeut trois objectifs : une plus large participation des citoyens à la vie publique, l’influence des réseaux sur le thème de la qualité de vie, le développement d’une gouvernance transparente et efficace. La notion de qualité de vie est ici perçue comme l’accès aux biens et services jugés nécessaires au développement social et personnel des individus.

2002 Collectif

d’associations et ONG citoyennes d’Italie

Indice di Qualità Regionale dello Sviluppo (Index régional de qualité du développement)

Déployer un index comportant 45 variables environnementales, sociales et économiques, regroupées en sept valeurs synthétiques d’égale importance : environnement (estimation de l’impact environnemental de la production, de la distribution et de la consommation, efforts réalisés pour réduire les impacts négatifs), économie et travail (conditions de travail et salaires garantis par le système économique et les politiques de redistribution), droits et citoyenneté (inclusion sociale des jeunes, des personnes âgées, des personnes en situation précaire et des immigrés), égalité des chances (absence de discrimination sexuelle dans la vie économique, politique et sociale), éducation et culture (participation au système scolaire, qualité du service, éducation de la population, demande et offre culturelle), santé (qualité et efficacité du service, proximité, santé de la population), participation (participation politique et sociale des citoyens).

Année Initiateur Initiative Finalités

2003 Région Nord-

Pas-de-Calais

Indice de développement humain IDH-2, décliné de celui adopté pat le PNUD en 1990 (IDH)

Présenter une cartographie des performances des communes. Elle s’appuie sur trois variables qui composent l’IDH-2 : la capacité à bénéficier d’une vie longue et saine (espérance de vie à la naissance), la capacité d’accès à l’éducation et aux connaissances (pourcentage de la population adulte diplômée) et la capacité d’accès aux ressources matérielles indispensables pour atteindre un niveau de vie décent

2006 Ville de

Mulhouse

Indicateurs de mesure du bien-être de tous

Offrir à la mairie des outils de mesure de la situation de mieux-être et de progrès sociétal, lui permettre de repenser l’organisation du territoire, de développer sa capacité à assurer le bien-être de tous (générations d’aujourd’hui et de demain), d’élaborer les indicateurs nécessaires à sa mesure

2007 Région Île-de- France

Indice global de qualité de vie et de bien-être

Permettre de qualifier et comparer des territoires à un moment donné, de suivre leur évolution, de fixer des objectifs de bien-être et de cibler les secteurs et acteurs qui aideraient à les atteindre, de faire des simulations en faisant varier tout ou partie des indices constitutifs, d’orienter ou évaluer une politique de développement local.

2008 Région de

Bretagne

Projet Indicateurs Sociétaux de Bien-Être Territorialisés (ISBET)

Élaborer des indicateurs de bien-être et de progrès social sur le territoire breton. Les résultats de ces travaux ont été présentés aux Élus pour définir et mettre en œuvre les politiques publiques locales intéressant les contrats de territoire 2010-2013. Un bilan de la méthode de travail participatif a été réalisé pour tirer les enseignements théoriques et analytiques de ces expériences et codifier des procédures permettant de faire travailler ensemble des acteurs dont les intérêts, objectifs et connaissances peuvent souvent différer. Le projet ISBET a reçu le prix de la meilleure contribution pour un travail mené avec les citoyens lors du Forum mondial de l’OCDE qui s’est déroulé à Busan, Corée du Sud, en 2009

2009 Ville de Mulhouse Première rencontre internationale des territoires de coresponsabilité

Créer un réseau international de territoires de coresponsabilité, nommé Together for territories of coresponsability. Ce réseau s’est réuni en février 2015 à Bordeaux, invité par le Conseil départemental de Gironde. Ses membres représentent plus de 200 territoires répartis dans 17 pays

Année Initiateur Initiative Finalités

2009 Gouvernement du Grand Duché du Luxembourg

Création d’un indice composite PIBien-être destiné à mesurer sur le long terme les progrès de la société et du bien-être

L’objectif déclarée est de proposer un système d’indicateurs qui reflète les préoccupations de la société civile et « permet de guider les autorités publiques dans leurs choix et actions », qui s’inspire des réalisations et jeux d’indicateurs de quatre pays pionniers dans la mesure du progrès sociétal : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Irlande

2010 Gouvernement du Royaume Uni

Mise au point d’un indice de bonheur intérieur brut pour mesurer le bien-être psychologique et

environnemental de la population britannique

Créer une « roue du bien-être national » constituée de plus de quarante indicateurs regroupés selon dix dimensions, mêlant à la fois une approche quantitative et qualitative du bien-être : bien-être personnel, bien-être relationnel, santé, utilisation du temps, cadre de vie, conditions économiques du ménage, grands indicateurs économiques, éducation et compétences, gouvernance et environnement.

2010 Région des pays de la Loire

Publication d’Indicateurs d'action caractérisant les différentes richesses de la région

Construire collectivement des outils de dialogue et de mesure du bien-être territorial. Trois éléments clé (ou ambitions) sont avoués : arriver à une définition collective et partagée de nouveaux indicateurs de richesse (en opposition à une définition qui viendrait d’experts ou d’acteurs et expériences étrangers au contexte des pays de la Loire), dépasser l’idée de bien- être individuel pour privilégier une approche sociétale, adopter une vision des indicateurs telle qu’ils seraient des outils de dialogue territorial plutôt que d’analyse ex-post ou de moyens de comparaison entre territoires. Les indicateurs en ce cas sont des objets entrant dans le discours et le raisonnement des élus en contact quotidien avec le terrain et non seulement dans l’argumentation ou le calcul de consultants. Au final, une très forte mobilisation a été constatée : plus de 160 débats ont été organisés auxquels ont participé près de 2000 personnes. Elles ont exprimé 7000 contributions qui ont abouti à 27 indicateurs. 2011 Nations Unies Résolution du 19 juillet

2011 « Le bonheur : vers une approche globale du développement »

Inviter les États membres « à élaborer de nouvelles mesures qui tiennent davantage compte de l'importance de la recherche du bonheur et du bien-être afin d'orienter leurs politiques de développement »

Année Initiateur Initiative Finalités

2011 Université de Waterloo (Ontario, Canada)

Indice canadien du mieux- être (ICME)

Cet indice, né d’un dialogue national organisé par les réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, a été suivi de nombreuses consultations sur l’ensemble du territoire. La conclusion de cette longue concertation a été la définition du mieux-être touchant aux huit domaines suivants : participation démocratique, dynamisme communautaire, éducation, environnement, santé, loisir et culture, niveaux de vie, aménagement du temps. Une dizaine d’indicateurs accompagne chacun des domaines.

2011 Conseil de l’Europe Publication du guide méthodologique Spiral (Societal Progress Indicators and

Responsabilities for All )

« Construire le progrès sociétal pour le bien-être de tous avec les citoyens et les communautés ». Ce guide de 255 pages est publié après cinq années d’expérimentation dans différentes structures (municipalités, acteurs locaux, entreprises, écoles, services publics, autorités régionales, instituts statistiques, universités, ONG ) de 15 pays (Belgique, France, Roumanie, Italie, Ukraine, Russie, Cap Vert, Gabon, Australie, Brésil, Canada, Colombie, États-Unis et Japon)

2011 Groupement d’associations de la ville de Saint-Denis

Projet Bonheur brut collec- tif (BBC)

Les objectifs que poursuit le projet sont de nature sociale : développer la citoyenneté de chacun, travailler sur le vivre ensemble (tout en démontrant qu’il peut exister d’autres moyens de définir la richesse, d’accéder au développement d’un territoire et de ses communautés), proposer et pratiquer un nouveau modèle de média citoyen, conçu et construit de manière participative, s’appuyant sur des débats avec les habitants de la ville 2012 Nations Unies Publication de la première

édition du World Happiness Report qu’elles ont

commandé au Earth Institute de l’Université de Columbia

Mettre en exergue la nouvelle demande, perceptible dans le monde entier, d’une plus grande attention au bonheur et à l’éradication de la misère. Ce document de 158 pages destiné au grand public est rédigé par des scientifiques reconnus (qui demeurent les auteurs de son édition 2016) : John Helliwell (professeur émérite d’économie à l’Université de Colombie Britannique), Sir Richard Layard (économiste, fondateur du Centre for Economic performance à la London School of Economics), Jeffrey Sachs (économiste, Directeur du Earth Institute de l’Université Columbia)

Année Initiateur Initiative Finalités

2012 Région Poitou- Charentes

« Indicateur de Bien-Être Régional (IBER) »

Doter la région d’un indicateur composite réalisé à partir des 26 indicateurs qui servent à évaluer le développement durable en Poitou-Charentes. L’IBER retient trois dimensions qui regroupent chacune regroupant entre 7 et 10 indicateurs : la dimension économique (pouvoir d’achat, dynamisme économique actuel / futur, exclusion professionnelle, inégalités économiques, pauvreté monétaire, sécurité économique), la dimension sociale (état de santé, offre de santé, développement culturel, intégration professionnelle, solidarité redistributive égalité hommes / femmes, lien social, dynamisme sociétal, sécurité physique et matérielle services publics), la dimension environnementale (protection de la biodiversité, sécurité et santé, protection environnementale, cadre de vie, risques naturels, santé publique)

2012 Région Rhône- Alpes

« Indicateurs de Bien-Être Soutenable Territorialisé (IBEST) »

« Les enjeux sont de penser ensemble les disparités voire les inégalités repérables sur les territoires et la soutenabilité des niveaux de vie, les notions d’équité territoriale et de bien- être social comparé. Il s’agit de voir en quoi la façon dont les individus utilisent les ressources à leur disposition (capital social, relationnel, services publics, aménités urbaines...) est à la fois durable (stable, solide, peu dépendant de paramètres non maîtrisés) et profitable ou non pour le territoire (rapport individuel / collectif). »

Figure 14 : Une synthèse de quelques actions et expérimentations qui ont été conduites sur le sujet du bien-être habitant dans sa relation au territoire (source : JL Forêt, 2016)