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Introduction

Nous allons, en cette partie de la thèse, poser longuement notre regard sur le territoire d’étude qui a été choisi.

Il nous sera pardonné de légèrement modifier son orthographe en substituant à sa lettre initiale, le « Y », un « e- » homophone. Ce « e- » est un préfixe que l’on voit aujourd’hui appelé dans toute prose dès lors qu’il s’agit de désigner la dématérialisation d’un usage ou d’un service offert à l’habitant. Ainsi parle-t-on désormais :

- d’e-learning pour adresser la technique d’apprentissage à distance par voie électronique,

- d’e-commerce pour pointer cette nouvelle forme de consommation qui évite à l’acquéreur d’avoir à se déplacer,

- d’e-administration pour évoquer l’ensemble des services électroniques que l’administration met à disposition de chacun en besoin d’un acte ou d’un document administratif (passeport, permis de conduire…).

L’intention est ici d’identifier, du point de vue des habitants, ce que le numérique apporte de plus ou de mieux au bien-être ressenti sur un territoire francilien réputé privilégié.

Les Yvelines sont un espace intéressant à questionner : en quelque sorte un entre-deux, ni tout-à-fait urbain, ni tout-à-fait rural, ni vraiment totalement dans l’étreinte du Grand Paris mais néanmoins polarisé par la Capitale (nombre de ses communes sont incluses dans l’unité urbaine de Paris178).

Elles sont un département (puisque l’usage local est de parler des Yvelines au féminin) qui défend la qualité de ses espaces naturels (on entend très souvent dire qu’elles illustrent le

poumon vert de l’Île-de-France), dont les habitants (au moins ceux avec qui nous avons été en

contact) apprécient l’existence paisible qu’il est possible d’y mener… et elles sont en même temps un département qui accueille un grand nombre d’entreprises industrielles (armement, automobile, aéronautique…).

En une situation si contrastée, il peut être difficile de concevoir et mettre en œuvre une politique d’aménagement numérique qui paraisse cohérente à tous ses bénéficiaires, qui réponde aux attentes très différentes qu’ils peuvent affirmer (plus ou moins explicitement), reflet de la variété des espaces géographiques, économiques et ressentis qu’ils occupent :

- doit-on privilégier une attractivité du territoire qui viserait plutôt les entreprises au motif qu’elles sont en mesure de créer des emplois mais qui vont dans le même temps exercer des pressions, des contraintes sur l’environnement (artificialisation des sols,

178

Selon l’INSEE, l’unité urbaine de Paris regroupe 412 communes dont 89 des 262 communes des Yvelines

pollutions, déchets) ?

- doit-on plutôt développer une attractivité à l’adresse des habitants ? N’oublions pas que ces derniers sont également en capacité de créer de la valeur économique par le travail à distance, le jeu des partenariats qu’ils peuvent nouer avec des entreprises locales, l’économie présentielle qu’ils contribuent à favoriser par leurs consommations.

Les Yvelines sont aussi le département où je réside et travaille : il était donc plus facile de l’appréhender, le parcourir, interroger celles et ceux qui le façonnent tous les jours, qui dessinent ou décident son évolution.

Dans le chapitre 6, « Le portrait des Yvelines, un territoire francilien hétérogène », nous décrirons notre terrain d’étude par la lecture que fait l’INSEE de ce département quand il y mesure ce qu’il appelle une « qualité de vie objective ».

Les chapitres 7 et 8 présentent deux enquêtes que nous avons réalisées : deux consultations des habitants des Yvelines sur deux sujets différents et complémentaires. La première d’entre elles, intitulée « Un état des lieux des usages » a comme finalité de dresser un portrait instantané de la relation que les habitants entretiennent avec ce que nous appelons génériquement le numérique (équipements, durée de connexion quotidienne, état des pratiques, degré de dépendance ou d’addiction) et d’identifier les façons dont ils entendent faire évoluer leurs propres usages (l’utilisation qu’ils auront demain d’Internet).

Cette partie de l’enquête a demandé à chacun des répondants un effort d’imagination : il est difficile de projeter ses pratiques dans le futur pour la raison que les offres de service à venir ne sont pas connues et qu’elles commanderont très certainement de nouveaux usages auxquels nul ne pense aujourd’hui. Plutôt que la seule volonté ou imagination des internautes, ce sont les services qui existent et sont disponibles maintenant qui définissent les clôtures du champ des possibles. Nous avons comptabilisé plus de deux mille réponses à ce questionnaire dont nous détaillons la structure en annexe n°2.

La deuxième enquête, intitulée « La vision exprimée du territoire connecté » a pour but de dessiner la e-commune des répondants : la commune irriguée de fibre optique et distributrice de nouveaux services qu’attendent de manière plus ou moins confuse ses habitants. Comment chacun l’imagine-t-elle ? Qu’en espère-t-il ? Nous avons exploré la nature de ces attentes dans sept des neuf dimensions que le Conseil de l’Europe a retenues pour structurer le référentiel SPIRAL que nous avons adopté comme grille de lecture d’un territoire bienheureux. Cette deuxième enquête nous a permis de collecter les réponses de 146 personnes.

Enfin, dans le chapitre 9 intitulé « Élus et habitants regardent-ils vers le même horizon des

possibles ? », nous nous attarderons sur quelques propos particuliers mais représentatifs que

nous ont tenus divers habitants et quelques maires. Il s’agira de voir si tous ces acteurs sont bien en phase les uns avec les autres, si les revendications d’aspirer à un mieux-être habitant

sont bien entendues et prises en compte par les élus qui, au final et malgré le pouvoir qui leur a été confié, ne sont pas moins « consomm’acteurs » du territoire que leurs administrés. Mais d’abord attardons-nous un instant sur ce que sont les enjeux du numérique en région Île- de-France. En nous appuyant sur les données publiées par l’INSEE et le Conseil économique, social et environnemental régional d'Ile-de-France179, présentons ce territoire en quelques chiffres clés puis regardons-le sous l’angle du numérique.

Figure 39 :: La région IDF comparée au reste de la France (source : INSEE, 2012)

Selon l’INSEE (cf figure 39) :

- la région Île-de-France affiche en 2011 un PIB moyen par emploi de 101 065 € (74 556 € pour la France métropolitaine),

- en 2012, son taux d’activité est de 61,40 % (55,6 % en province),

- 29,60 % de sa population est titulaire d’un diplôme de 2e ou 3e cycle universitaire (16,50 % en province),

- 29,20 % des salariés sont cadres (14,10 % en province),

- l’impôt moyen sur le revenu par foyer fiscal est de 4 005 € (2 320 € en France métropolitaine),

179

Le CESER Île-de-France est une instance constituée de 128 conseillers. Il représente la société civile francilienne. Le CESER émet des rapports et des avis (réflexions, idées, préconisations) sur les grandes orientations de politique régionale. Il défend en quelque sorte l’intérêt régional de manière indépendante et complémentaire de celle des conseillers régionaux. Il est considéré comme une deuxième assemblée régionale

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 PIB par emploi (K€) Taux d'activité Diplôme (%) Cadre (%) Impôt moyen (K€) Enseigneme nt sup. (%) Dépenses R et D (%) Chercheurs (%) France IDF

- en 2012, 27 % des élèves de l’enseignement supérieur sont en Ile-de-France,

- en 2011, 40,80 % de la dépense intérieure de recherche et de développement est effectuée en Ile-de-France (soit 18 393 M€),

- en 2011, 37,40 % du personnel travaille dans la recherche et le développement (R&D) et 40 % des chercheurs sont franciliens.

Voici donc une région plutôt riche, active et attractive, où résident des foyers relativement aisés, qui investit fortement dans l’enseignement, dans la recherche et le développement, une région dont on pourrait être amené à penser qu’elle est exemplaire dans le domaine du numérique : une des composantes de sa Stratégie régionale de développement économique et d’innovation (SRDEI). Cette dernière est présentée comme un outil d’aide au développement solidaire des territoires au service de la performance durable180 :

« Notre responsabilité est d’accroître le potentiel numérique du territoire dans un esprit de structuration et de mutualisation, en encourageant le déploiement des infrastructures de très haut débit et l’équipement des lieux publics. En effet, la généralisation du très haut débit pour tous représente un enjeu industriel majeur pour notre pays, un levier pour la compétitivité des entreprises et surtout, un facteur essentiel d’aménagement des territoires et de développement de nouveaux services innovants, tant pour les entreprises que pour les acteurs publics et les citoyens. L’État a été jusqu’à présent particulièrement absent sur ce plan de l’aménagement numérique en Ile-de-France, alors même que la Région et les collectivités partenaires ont investi plus de 75 millions d’euros au cours des cinq dernières années »

Les enjeux identifiés par l’INSEE autour du numérique sont assez considérables et quasi- exclusivement concentrés sur la partie des infrastructures (négligeant donc celle des usages). En dépendent :

- la place de l’Île-de-France comme première région du pays dans les domaines économique, universitaire et ceux de la recherche publique et privée,

- son attractivité en matière culturelle et touristique.

La région est sillonnée de 16 500 kilomètres de fibre optique de réseau de collecte dont : - 10 000 km dus à l’opérateur historique, qui relient ainsi la totalité des centraux

téléphoniques (517 unités)

- 4 000 km déployés par les opérateurs alternatifs (Bouygues, Free, Colt, Completel…) - 2 500 km par les collectivités territoriales, au travers des sociétés d’économie mixte

(SEM), telle la SIPPEREC en petite couronne, avec une délégation de service public (DSP) à la société IRISE (642 kilomètres) ; ou encore le conseil départemental (CD) de Seine-et-Marne, avec une DSP (1 300 kilomètres) ou le conseil départemental des

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in « Les réseaux Très haut débit, instruments de développement économique, d’emploi et d’attractivité pour l’Ile-de-France », p. 5

Yvelines, avec une DSP à Eiffage (205 kilomètres).

On relève que les opérateurs ont marqué un premier et grand intérêt pour les zones très denses (99 communes). Ils ont cependant répondu à l’Appel à Manifestation d’Intentions d’Investissement (AMII) et vont couvrir 320 communes franciliennes qui regroupent, avec la zone très dense, 88,54 % des foyers. Il reste 862 communes n’ayant pas fait l’objet d’intentions d’investissements de la part du secteur privé et que les collectivités locales auront sans doute des difficultés à équiper. Des inégalités risquent alors de perdurer, plaçant quelques territoires en position de fracture potentielle …

Zone concernée Taux de couverture en 2020

Paris 100 % Hauts-de-Seine 100 % Val-de-Marne 98 % Seine-Saint-Denis 93 % Yvelines 85 % Val-d’Oise 78 % Essonne 75 % Seine-et-Marne 54 % Ile-de-France 89 %

Figure 40 : Taux de couverture THD par département francilien (source : ARCEP, 2013)

Comme on peut le lire en figure 40, les situations sont assez contrastées d’un département à l’autre :

« Du conseil départemental de Seine-et-Marne, précurseur ayant des réussites évidentes, à celui des Yvelines, également précurseur mais malheureux quant aux résultats181, en passant par celui de Seine-Saint-Denis globalement en zone dense, les départements font ce qu’ils peuvent. Ils sont dépendants de décisions plus ou moins aléatoires liées aux jeux du marché (rachat de SFR par Numéricâble qui n’a pas la même stratégie, non atteinte des objectifs par les entreprises bénéficiant des DSP, quelles qu’en soient les raisons), mais aussi aux flous artistiques qui semblent prévaloir ces dernières années dans l’appareil législatif et réglementaire comme par exemple l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) qui modifie en cours de route les définitions des zones de densité, ce qui n’implique pas les mêmes obligations pour les opérateurs réseau classiques, inégalités des droits et devoirs entre secteur privé et secteur public » (CESER, 2015)

Au final, sur 4 millions de logements éligibles au THD, il n’y a que 920 000 abonnés. Même si le rythme de déploiement s’accélère, le manque de coordination réelle entre opérateurs

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Un différend avec la société Eiffage, titulaire d’une DSP que lui a confié le Département, est à l’origine d’importants retards et surcoûts qui ont obligé la collectivité à revoir une bonne partie de ses engagements (réécriture du SDTAN en 2015)