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Un lieu de rencontre Pratiques et comportements

Concevoir dans l’existant

7. L'espace public aujourd'hui

7.1.4. Un lieu de rencontre Pratiques et comportements

Comment l'espace public est-il habité, approprié ? Quelles sont les interactions sociales ou les formes de vie qui caractérisent l'espace public des villes contemporaines ? Ces interrogations impliquent notamment une réflexion sur les modalités de constitution du lien social, lien social qui, rappelons-le, constitue à nos yeux le fondement de l'urbanité.

11 Il est important de relever que la plupart des transports publics constituent en eux-mêmes

Les interactions sociales peuvent être de divers types : relations directes ou indirectes, relations passives, nouvelles formes d'interactions marquées par les moyens techniques.

Goffman (1963) et Loftland (1973) sont les deux auteurs qui ont initié les théories de la vie publique, ainsi que les recherches sur la sociabilité ; ils examinent en détail les rituels de présentation de soi et les codes de conduite permettant aux passants de communiquer entre eux, ceci tout en préservant leur solitude : regards, contournements, excuses, etc.

Goffman s'intéresse ainsi aux modes de gestion de la co-présence dans les lieux publics en les qualifiant de « civil inattention » (inattention polie) : chacun montre aux autres, à travers des signes visuels, qu'il se rend compte de leur présence, ceci tout en limitant l'attention accordée afin de signifier qu'ils ne constituent pas un sujet de curiosité particulier. Les liens sociaux qui réunissent les passants anonymes se distinguent des relations de voisinage et de quartier : ils se caractérisent par le silence, des façons de voir et de se montrer particulières, une coordination des mouvements dans l'espace permettant les croisements. Goffman montre que ces comportements en public, apparemment marqués par l'indifférence mutuelle, ont en réalité une signification sociale précise ; en d'autres termes, il souligne que toute vie publique implique une certaine forme de vie sociale, même si elle est minime.

Dans le même ordre d'idées, Joseph (1984) évoque « l'art des façades (la politesse comme masque de l'indifférence, la réserve comme prévention contre l'éparpillement) et la parole de circonstance », les jeux de rôles et d'apparences, enfin la mondanité propre à la vie au sein l'espace public contemporain.

Hall (1966) souligne, quant à lui, l'importance de la culture dans le façonnement des comportements en public ; il montre par exemple que les relations en public des Européens et des Américains diffèrent largement de celles pratiquées ailleurs dans le monde.

La sociabilité12 qui caractérise l'espace public n'est ainsi pas nécessairement une fraternité ou une communication directe et intense avec les autres. Elle s'exprime à travers un ensemble de dynamiques souvent fluides, spontanées ou a-structurelles, prenant parfois des formes infimes : côtoiements, frôlements, regards furtifs ou appuyés, clins d’œil, échanges de salutations, d’excuses, demandes de renseignements et d’informations. Enfin, la sociabilité peut être réelle ou potentielle : le fait de savoir qu'un espace public

12 Une multitude de termes sont analogues à celui de sociabilité : relations sociales, interactions interpersonnelles, liens sociaux ou de solidarité, « vivre ensemble ». De façon générale, ils servent à qualifier cette « communion » qui unit les consciences individuelles (le je) avec les autres (le nous).

permettant la rencontre existe, suffit parfois à la satisfaction des citadins, même s'ils ne s'y rendent qu'occasionnellement.

Nous retenons que les diverses formes de sociabilité –mêmes minimes - sont essentielles : elles constituent des facteurs de cohésion et d'identité. Car ce sont en effet ces interactions sociales qui font qu'un espace devient véritablement public. Selon cette perspective, l'espace public est conçu comme le lieu dans lequel le rapport avec autrui peut émerger, rapport fondé sur des règles de conduite et des codes particuliers. Cette manière d'être citadin, de se comporter en ville renvoie à la notion d'urbanité évoquée précédemment.

L'espace n'est public qu'en « fonction de ce qui s'y joue, que s'il autorise une vie publique » (Ghorra-Gobin, 2001, p. 6).

La notion d’identité est sous-jacente à notre propos : en permettant

« l’exposition de soi », l’espace public constitue le lieu même d’individualisation d’une part, de confrontation avec les autres, d’autre part.

Cependant, l'espace public constitue l'un des paramètres de la vie sociale, la rendant possible, mais non évidente. En ce sens, Hancock (2001, p. 199) montre que, pour que les échanges aient lieu, un degré minimum de communauté et un fondement culturel commun sont indispensables ; enfin, c'est le désir d’être ensemble qui sous-tend toute forme de sociabilité.

Lieu de mise en scène

En tant que lieu de visibilité, l'espace public est fréquemment comparé à une scène de théâtre. Goffman (1963) montre ainsi, en s'appuyant sur la société américaine des années '50, à quel point nous nous déguisons pour entrer en scène dans l'espace public ; selon s’il s’agit de faire des courses, de se promener, de jouer, de « draguer », on se construit une attitude et un

« attirail » appropriés, dont les effets sont les plus divers. Lieu de mise en scène qui combine un espace abstrait, celui des rapports sociaux et un espace concret, celui de la présence physique des individus, « c'est un lieu (l'espace public) où s'effectue la mise à distance autant que le rapprochement de l'autre ; le sujet, porté par la dynamique urbaine, y entre en interaction avec d'autres comme sur une scène où tous auraient à la fois à affirmer leurs appartenances, à s'en acquitter en les jouant, comme à les déjouer en se référant aussi à d'autres rôles » (Pellegrino, 2000, p. 207).

L'espace public (ou vie publique, sociabilité) se constitue, selon Sennett (1972), par l'intermédiaire d'un « agir dramaturgique », ou théâtralité du comportement ; celle-ci implique la présence de lieux qui se distinguent, selon s'ils servent de scènes ou de coulisses. En Italie, cette théâtralité est particulièrement ritualisée : entre 18 et 20 heures, l’on se promène, se montre, se met en scène. A cette présentation individuelle de soi, s'ajoutent les diverses manières de s'exposer collectivement au sein de l'espace public : défilés de protestation, commémorations, fêtes, etc.

Cependant, cette métaphore théâtrale a ses limites : dans l'espace public, la distance entre l'acteur et l'assistance (théâtre) est abolie et c'est de confrontations réelles, d'échanges, de sociabilité qu'il s'agit.