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Le contexte actuel : vers une conservation intégrée De l’ensemble au paysage

Concevoir dans l’existant

9. Recomposer le centre

9.4.5. Le contexte actuel : vers une conservation intégrée De l’ensemble au paysage

Progressivement, l'intérêt porté aux ensembles se transforme et c'est le site ou le paysage qui sont privilégiés, ceci du moment que des logiques multiples

10 Voir en France la création des ZPPAU, zones de protection du patrimoine architectural et urbain, ceci autour des monuments historiques, mais aussi dans les quartiers et sites à

(urbaine, architecturale, paysagère, etc.) se combinent et que la lisibilité de l'espace (perspectives, axes, unité du quartier, bâtiments repères, relief, zones d'approches, etc.) devient primordiale. « Un site urbain est un ensemble, une totalité, un paysage dont la personnalité, l'unicité fait tout l'intérêt : si dans un ensemble, l'essentiel reste l'effet de rassemblement, le site, lui se montre plus exigeant. Véritable totalité, il évoque aussi la nature. Ensemble et site expriment une transformation complète de l'idée de monument et de celle de protection, qui avec eux, sont toujours envisagées par rapport à un environnement, à une globalité » (Bourdin, 1984, p. 28). En d’autres termes, la prise en compte du rapport entre espace construit et espace public devient fondamentale, l’espace à aménager ne pouvant être envisagé que de façon globale.

En parallèle, la ville en tant qu'ensemble entre dans le champ de protection patrimonial (Charte internationale de Tolédo, ICOMOS, date), à contre-courant du processus d'urbanisation dominant (Choay, 1992, p. 139).

Les perspectives de conservation du patrimoine deviennent ainsi progressivement plus paysagères et plus « identitaires » ; des entités naturelles, telle la montagne ou l'eau, peuvent être considérées comme un patrimoine à sauvegarder ; il en est de même de certains éléments immatériels, comme les langues, les coutumes, les savoir-faire.

L’on se met à parler de conservation intégrée ; ce type de sauvegarde

« consiste à traiter (conserver, restaurer, réhabiliter) les constructions et ensembles anciens pour les rendre utilisables pour la société moderne et à les intégrer dans les plans d'aménagement urbains et ruraux, de l'échelon de l'îlot à celui de territoire » (Merlin, Choay, 1988). C’est donc d’une volonté de coordination entre politique du patrimoine et aménagement du territoire et d’une urgence à gérer les nouveaux patrimoines (patrimoine contemporain par exemple) qu'il s’agit avant tout.

En 1992, les documents récapitulatifs des résolutions du Conseil de l’Europe (Malte) soulignent ainsi « qu’il s’agira dans le futur de mieux exploiter les dimensions sociales de la conservation en les intégrant aux politiques du logement et de l’emploi ». La prise en compte de la valeur d’usage du patrimoine, ainsi que la nécessité d'associer conservateurs et aménageurs et de développer des approches participatives sont, dès lors, démontrées. Cependant, certains problèmes restent posés, du fait notamment qu’aménagement et conservation présentent des finalités divergentes : comment dégager une cohérence ou une ligne de conduite commune ? Comment gérer, de façon globale, espace public et espace bâti ? Comment prendre en compte les impératifs fonctionnels, esthétiques, sociaux que les divers domaines d'action impliqués sous-tendent ?

En outre, les besoins contemporains sont à envisager selon une perspective de développement durable (Conseil de l'Europe, déclaration d'Amsterdam,

1975)11 : la Charte de Cracovie (2000) précise ainsi que « toute intervention implique des décisions (…) en rapport avec le patrimoine dans son ensemble, y compris les éléments qui n'auraient pas de signification spécifique aujourd'hui, mais qui peuvent en avoir une dans le futur ».

Au niveau des valeurs présentes, la conservation intégrée souligne la nécessité de combiner valeur mémoriale et valeur d'usage : il s'agit de faire émerger des interventions permettant de concilier ces deux dimensions, ce qui revient à instaurer une dialectique entre passé et présent/futur. Quant à la valeur signalétique, elle tend à acquérir une importance croissante, ceci à tel point que certains auteurs (Choay, 1992) affirment qu’elle pourrait même remplacer la valeur mémoriale.

Ainsi, les valeurs du patrimoine relèvent d'une extrême complexité, elle-même liée à la multiplicité des acteurs et des intérêts en présence. Cette difficulté à choisir les objets dignes d'être conservés peut être comprise comme une conséquence de la post-modernité : nous sommes entrés dans l'ère du

« tout se vaut », les fondements de la modernité s'étant effondrés. En d’autres termes, « on se trouve actuellement dans l'ordre de la valeur et de l'équivalence, dans le ravalement total de toutes les singularités » (Baudrillard, 2000, p. 39).

Aucune valeur ne s’impose donc d’elle-même, ne se présentant comme assurément supérieure à d'autres : tous les objets semblent valables, de façon équivalente, et il devient extrêmement difficile de choisir, d’évaluer et de distinguer le juste du faux, le beau du laid, le bien du mal. Selon cette perspective, tout peut devenir patrimoine et potentiellement conservable, menant inévitablement à des polémiques autour des critères de sélection.

« Désormais, pour que réussisse le dispositif, dans un contexte où les valeurs se heurtent, se contredisent, se dissolvent, sans qu'aucune ne domine véritablement, même celles d'efficacité ou d'adaptation, il faut qu'interviennent l'imaginaire et ses capacités de mobilisation affective » (Bourdin, 1984, p. 22). Ainsi, les opérations doivent, pour déboucher, prendre nécessairement appui sur la réalité « vécue » et sur les représentations. C’est ce que nous tenterons de démontrer dans notre partie empirique.

Figure 12 : Tableau synthétique : la reconquête des centres

9.4.6. Synthèse

Ce chapitre a permis de retracer les étapes de la requalification du centre-ville ; reprenons les dimensions qui sous-tendent ces processus :

- Des acteurs de plus en plus diversifiés sont présents et revendiquent une participation aux processus de production et de gestion de l’espace, ce qui débouche inévitablement sur une situation de gouvernance urbaine.

- Les échelles de référence et d’intervention se sont largement modifiées et une volonté d’intégrer des espaces de plus en plus englobants s’est fait sentir.

- L’affranchissement de la prise en compte exclusive des critères d’ancienneté, esthétique et mémoriale du patrimoine implique un intérêt pour les divers types de patrimoines, dont le patrimoine récent et mineur.

- L’on est passé, dans une certaine mesure, d’une pratique de conservation (restaurations, rénovations) à une pratique de gestion (réhabilitations, conservation intégrée) du patrimoine.

- Enfin, les enjeux poursuivis sont devenus de plus en plus complexes, la quête d’une urbanité « perdue » d’une part, les pressions économiques d’autre part, étant les principaux noyaux.

9.5. LES ENJEUX ACTUELS : A LA RECHERCHE DES QUALITÉS DE LA VILLE ANCIENNE

Quelles sont les manières dont les politiques urbaines actuelles recomposent le centre, mettant « en scène » les vides et les pleins ? Nous avons souligné que les rapports dedans/dehors (ou espace privé/espace public) s'étaient progressivement inversés. Postulons ici que c'est la réinversion de ce rapport, ainsi que l'imaginaire lié aux diverses époques de structuration de la ville qui sous-tendent, motivent en quelque sorte les opérations actuelles (hypothèse quatre).

« L'espace public est un espace de représentation, mais de représentation d'un monde possible autant que d'un état existant » (Pellegrino, 2001,b, p. 203).

En requalifiant le centre des villes, les politiques urbaines sont ainsi porteuses d’un discours particulier : les actions déployées sont censées générer un sentiment d'urbanité « perdu » et renouer, de ce fait, avec les qualités de la

ville ancienne. Ces interventions allient donc, de façon implicite, dimensions morphologiques et sociales, introduisant des relations de causalité12.

Ainsi, pour les décideurs, ce ne sont donc guère les villes anciennes dans leur réalité qui importent, mais les mythes qui leur sont liés ; la cité athénienne est, par exemple, abondamment évoquée comme modèle exemplaire de démocratie, ceci en faisant abstraction du fait que seule une portion réduite de la population (les citoyens) bénéficiait du droit de cité et participait aux affaires publiques, en exclusion des étrangers, des esclaves et des femmes.

Périodes Qualités recherchées Stratégies élaborées Antiquité

Agora grec Forum romain

Sphère de débats, dispositif démocratique Ville de loisirs et de culture

Concertation avec les habitants/usagers

Actions et équipements socio-culturels

Moyen-Age Mixité et convivialité Zones piétonnes Renaissance Embellissement et lisibilité Mobilier urbain

Recherche d’équilibre entre minéral/végétal

Figure 13 : Des idéaux-types à l’aménagement contemporain

En se basant sur ces idéaux-types, il est possible de définir cinq types d'enjeux, présents dans de nombreuses interventions actuelles :

1. Rendre à la ville son caractère mixte et éviter la ségrégation, ceci en privilégiant la dimension publique de l'espace. Sous-jacente à cet enjeu se trouve l’idée d’une ville plus conviviale, permettant la rencontre.

2. Désencombrer l'espace public de la circulation, afin de le rendre aux piétons.

3. Embellir la ville en intégrant l’art dans l’espace public.

4. Générer de la lisibilité, l'organisation de l'espace devant apparaître de façon explicite.

5. Créer des zones de verdure reliées entre elles, zones qui se combinent de façon équilibrée avec l'espace minéral.

12 Face au déterminisme entre les niveaux morphologique et social, précisons notre position : nous estimons que les formes peuvent encourager, susciter certains comportements, mais en aucun cas ne les déterminent. Nous les considérons par conséquent comme des « possibles ».

Les professionnels de l’espace combinent fréquemment ces enjeux : ainsi, la mixité et la piétonnisation vont souvent de pair, tout comme l’élaboration de sentiments d'appartenance et de solidarité (enjeux 1 et 2). L’embellissement urbain est, quant à lui couramment associé à la lisibilité et à la recherche d'un équilibre entre minéral et végétal (enjeux 3, 4 et 5).

Ces divers enjeux et les représentations qui leur sont liés feront l’objet d’une analyse détaillée dans notre partie empirique. Mixité et piétonnisation sont deux thématiques centrales, au fondement de nombreuses interventions (genevoises notamment). Nous leur consacrons les paragraphes suivants.