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Concevoir dans l’existant

9. Recomposer le centre

9.4.3. L'importance du cadre de vie

Durant les années '70 et plus particulièrement dès 1973, les difficultés économiques s'accroissent et la crise incite les pouvoirs publics, ainsi que les collectivités à réviser leur programme et à renoncer à certaines opérations ambitieuses. En d'autres termes, l'arrêt de la croissance économique s'accompagne de nouvelles conditions de production et de gestion de l'urbain.

L'on se met, dès lors, à la recherche d'économies et l'on ralentit les chantiers.

Ces mécanismes s'accompagnent d'un changement de perspective ; l'habitat et l'espace public des quartiers centraux sont appréhendés, par une large majorité, comme des supports de vie collective, des vecteurs d'identification, pouvant offrir une réponse à des besoins non satisfaits par les logements neufs. « La pelle mécanique du démolisseur ne symbolise plus le progrès. (…) Or, ce qui prend valeur aujourd'hui s'appelait hier : taudis, verrue, habitat insalubre. La révélation ressemble à une transmutation de sens ! » (Bourdin, 1984, p. 7-8).

Par ailleurs, la logique de consommation entraîne un besoin diversifié en matière de logements ; l'offre de logements anciens permet de répondre à cette demande. Pour l'industrie du bâtiment, la réhabilitation des immeubles anciens offre un débouché intéressant.

Les visions moderniste et fonctionnaliste, tout comme la perspective économiste et la conception macro des phénomènes urbains sont largement remis en cause : l'on réalise l'importance de la prise en compte des habitants et de leur cadre de vie. L'approche technicienne de la ville est complétée, voire remplacée, par des approches alternatives, prônant la mobilisation des divers

acteurs (privés ou publics), ainsi que la participation des citadins (expériences de certaines villes italiennes comme Bologne, puis en France, Lyon).

Les luttes urbaines se perpétuent, combinant une perspective écologique (préoccupations liées à la qualité de vie) et une perspective culturelle (recherche de nouveaux modes de vie). L'on glisse progressivement d'un type de société vers un autre : du secondaire au tertiaire ; de la production de biens et de services à celle de biens culturels. Enfin, de nouvelles valeurs émergent, liées au vécu et à l'existentiel, en réaction aux valeurs productivistes et rationnelles.

L'accent est porté au local, à l'espace vécu, au quotidien ; la recherche de

« micro-vérités » se manifeste par un engouement face au quartier et à l'aire de voisinage (Joye, 1995). Cette « découverte » du quartier permet d'intégrer les valeurs d'usage, mémoriale, économique du patrimoine relayant, au second plan, la valeur esthétique.

Les politiques urbaines ne peuvent, dès lors, ignorer ces mouvements « par le bas » ; elles se doivent d'intégrer à la fois le contexte environnant du monument (espaces publics, quartiers) et les divers acteurs concernés. Une importante vague de classements et d'inscriptions à l'inventaire d'éléments récents (19e et 20e siècles) a lieu, ceci aussi bien dans les villes centrales que dans des régions plus périphériques.

En parallèle, les espaces publics gagnent en intérêt : ceux-ci ne sont plus considérés comme des creux, vides, mais des éléments à part entière qu'il s'agit de comprendre et de gérer. Ainsi, les opérations d'aménagement d'espaces publics centraux se multiplient, combinant un ensemble de stratégies : reconquête pour les piétons, gestion de la circulation et du stationnement automobile, embellissement urbain ; c'est le début d'actions diverses dont le point commun est la qualité de vie, officiellement reconnue comme demande sociale (Plan urbain, 1988, p. 30).

Le constat des difficultés inhérentes aux opérations de rénovation fait naître un nouveau type d'intervention. La rénovation douce introduit la volonté de réparer et de conserver, ceci avec un souci d'économie (des ressources) ; elle est moins coûteuse que la rénovation proprement dite et permet de préserver le cadre de vie des habitants (logements économiques et lien d'identification maintenus). Enfin, la rénovation douce implique, dans certains cas, la mise en place de procédures de participation (Kreuzberg à Berlin, Grottes à Genève).

Parallèlement et selon une démarche quelque peu similaire, les opérations de réhabilitation8 se multiplient, motivées par un double souci : maintien des

8 La réhabilitation consiste à « rétablir, dans une situation juridique antérieure, en relevant de déchéances, d'incapacités. C'est le fait de restituer ou de regagner l'estime, la considération perdues » (Micoud, 1996, p.137). Depuis 1966, le terme a été étendu à « la remise en état d'habitation de quartiers ou d'immeubles vétustes » (Petit Robert). Pour qu'une réhabilitation

objets-témoins et recherche d'un usage compatible avec les besoins du moment (logements, commerces, activités artisanales), ce qui nécessite parfois des travaux délicats. Si ces opérations visaient initialement une amélioration des conditions de vie du parc ancien de logements, elles concernent par la suite des quartiers dans leur ensemble.

L'atout économique de ces opérations est progressivement démontré : ces dernières sont généralement estimées comme étant moins coûteuses que les restaurations (pas de retour nécessaire à l'état initial) ou les rénovations (démolitions-reconstructions)9. Enfin, les réhabilitations ont l'avantage de préserver la continuité dans l'évolution du tissu urbain, ce que ne font pas les autres types d'opérations. Cependant, ces opérations de réhabilitation ont aussi des effets pervers : elles peuvent être des facteurs de ségrégation, privilégiant certains groupes de population au détriment d'autres.

La réhabilitation devient progressivement mobilisatrice de toute une série d'acteurs : plutôt que d'imposer les opérations, les pouvoirs publics réalisent l'importance des acteurs privés ; leurs actions sont dès lors favorisées à travers la mise en place de certaines procédures (aides aux propriétaires, commerçants et autres acteurs économiques dans leurs démarches administratives et techniques, prêts et subventions) et ils sont considérés comme de véritables moteurs de la politique urbaine.

En résumé, les valeurs économique et d'usage du patrimoine acquièrent de l'importance ; la valeur mémoriale entre parfois en conflit avec la valeur d'usage (adaptation à des besoins nouveaux et évolutifs).

Ainsi, dès la fin des années septante, espaces publics et patrimoine constituent les principaux axes d'intervention des politiques urbaines : le centre et ses quartiers anciens sont considérés comme des entités essentielles, véritable « village » réinvesti des valeurs propres aux couches populaires (sociabilité) et à la société de loisirs (Plan urbain, 1988).

regard, de nouvelles valeurs se substituent. La réhabilitation est donc « une réinterprétation d'un objet pour en faire un nouvel objet estimable » (Micoud, 1996, p. 137).

Ce type d'actions implique concrètement de restaurer des bâtiments ou des îlots, tout en modernisant ou en transformant certains équipements. Il s'agit donc de réutiliser les bâtiments existants, en conservant leurs principales structures (caractéristiques architecturales majeures) et en réadaptant certains aspects à de nouveaux usages. Ces opérations se sont multipliées durant ces deux dernières décennies et ont concerné aussi bien des immeubles d'habitation que des locaux industriels ou artisanaux.

9 Bien que ce dernier argument dépende largement de l'état du bâtiment en question : si celui-ci est trop dégradé, une réhabilitation nécessitera des fonds importants qui dépasseront ceux de la démolition.