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Un cadre pluridimensionnel d’analyse de l’institutionnalisation régionale

Section 2. Une approche sectorielle de l’institutionnalisation régionale en Provence-Alpes Côte d’Azur

1. Un cadre pluridimensionnel d’analyse de l’institutionnalisation régionale

Le cadre d’analyse choisi vise à tenir ensemble les deux dimensions d’une sociologie politique des processus d’institutionnalisation d’après Brigitte Gaïti : « d’un côté, revenir sur les modes d’existence sociale des institutions, sur les usages, les investissements pratiques et symboliques qu’elles génèrent et qui la spécifient, tant dans les moments d’invention ou les conjonctures de crise que dans les périodes de stabilisation et de routine. Mais, d’un autre côté et simultanément, il s’agit bien de penser le régime d’existence propre des institutions qui les constitue à l’analyse en vecteurs de contrainte sur les acteurs, sur leurs manières de (se) voir, de (se) penser, de croire et d’agir »169. Pour ce faire, nous suivrons la perspective tracée par Jean-Pierre Gaudin170, en mobilisant la sociologie politique et le néo-institutionnalisme pour construire une grille de lecture combinant approche multiniveaux et analyse méso, centrée sur l’interaction entre des acteurs multi-positionnés et la mise en forme de règles constitutives de niveau régional.

Il s’agit donc en premier lieu d’être attentif au niveau microsociologique de l’individu en s’attachant aux trajectoires biographiques afin de comprendre les engagements pluriels dans le niveau régional.

168 Jean-Pierre Gaudin, « Une approche systémiste du rôle des Régions »,inSylvain Barone (dir), Les Politiques régionales en France, La Découverte, Paris, 2011, p. 281.

169 Brigitte Gaïti, « Entre les faits et les choses. La double face de la sociologie politique des institutions », in Antonin Cohen et al., Les formes de l'activité politique, Presses Universitaires de France « Hors collection », 2006, pp. 39-64.

170 Jean-Pierre Gaudin, « Une approche systémiste du rôle des Régions »,inSylvain Barone (dir), Les Politiques régionales en France, La Découverte, Paris, 2011.

Les travaux d’Olivier Nay ont en effet mis à évidence les représentations floues et imprécises attachées au rôle de Conseiller régional en raison notamment des réseaux multiniveaux dans lesquels sont insérés les acteurs régionaux. Dans ce contexte, « la multiplicité et la diversité des attentes que les élus [régionaux] doivent savoir gérer sur leur territoire politique et au sein de la complexité des systèmes d’alliance politique structurés au niveau local (qui ne reflètent pas forcément ceux du Conseil régional), l’emboîtement des réseaux de pouvoir, les exigences de discipline partisane (plus ou moins bien respectées) » rendent particulièrement difficiles la prescription et l’adoption de rôles cohérents liés au mandat régional171. Ces résultats de recherche convergent avec les travaux sur la gouvernance qui insistent sur l’importance de la multi-positionnalité des acteurs entrepreneuriaux et leur position stratégique entre différents milieux d’action. C’est pourquoi, afin de prendre en compte l’histoire incorporée des acteurs172, on s’attachera à l’analyse des modes pluriels de socialisation à la régionalisation des entrepreneurs d’action foncière. L’investissement des acteurs dans l’action publique régionale sera ainsi analysé comme une ressource pour des carrières aux horizons multiples, particulièrement exemplaire de la relation dialectique entre l’acteur et l’institution. Au prisme de cette analyse, le positionnement sécant d’acteurs entre plusieurs milieux d’action paraît donc particulièrement heuristique pour comprendre les logiques de coordination multiniveaux opérées par ces réseaux d’acteurs au niveau méso.

Toutefois, en second lieu, cette analyse des acteurs multipositionnés sera complétée par une considération particulière pour « l’agencement au plan régional de ce qu’on peut appeler, par différence avec les règles législatives et toutes celles à vocation universelle, des « petites normes » (contrat de projet, démarches de coordination « ouverte », agences de régulation ou de gestion) »173. Ces règles constitutives (normes, ou dispositifs incitatifs) seront analysées comme des mises en forme institutionnelles catégorisant le problème foncier et imposant par-là une qualification légitime174. Elles seront ainsi abordées dans une perspective néo-institutionnaliste comme des instruments d’action publique c’est-à-dire des dispositifs à la fois techniques et sociaux, organisant les rapports gouvernants/gouvernés175. L’instrumentation176, entendue comme le choix et l’usage des outils (des techniques, des moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action foncière régionale sera ici questionnée. Elle contribue en effet de manière décisive à la sélection des acteurs et des pratiques, ou au contraire à leur dévalorisation.

L’instrumentation cadre les apprentissages des mises en relations entre niveaux et dessine par-là

171 Olivier Nay, op.cit., p. 181.

172 Voir la notion d’habitus chez Bourdieu. Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Editions de Minuit, Paris, 1980, p. 96.

173 Jean-Pierre Gaudin, « Une approche systémiste du rôle des Régions »,inSylvain Barone (dir), Les Politiques régionales en France, La Découverte, Paris, 2011, p. 285.

174 Vincent Dubois, La politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’action publique, Paris, Belin, 1999.

175 Pierre Lascoumes et Patrick Le Gales, Gouverner par les instruments, Presses de Sciences Po, Paris, 2005.

176 Charlotte Halpern, Patrick Le Gales, Pierre Lascoumes, « L’instrumentation et ses effets, débats et mises en perspective théoriques », in Charlotte Halpern, Patrick Le Gales, Pierre Lascoumes, L’instrumentation de l’action publique, Presses de Sciences Po, 2014, p. 17.

même les juridictions des communautés d’expertise et de pratiques. On s’efforcera donc de mettre en lumière les types de ressources et de groupes sociaux valorisés par la cristallisation de ces arènes professionnelles par une analyse fine du travail public régional attentive aux processus de professionnalisation et de clôture savante177.

Le choix de ce cadre d’analyse à l’intersection de ces deux niveaux a donc déterminé celui de nos terrains d’enquête. Nécessairement réductrice en ce qu’elle oriente le regard et contribue à construire l’objet observé, notre recherche repose donc sur un choix d’unité d’analyse centrée d’une part, sur le niveau régional et d’autre part, sur la comparaison de monographies locales. Si le contexte professionnel dans lequel nous avons réalisé ce travail a facilité l’accès au niveau régional comme nous le détaillons en fin d’introduction, en revanche le choix d’une démarche comparative par confrontation de trois monographies contemporaines et de deux études de cas historiques a nécessité de délimiter le champ de la comparaison. Pour ce faire, nous avons privilégié dans chaque séquence historique une confrontation limitée à deux ou trois cas ce qui permet de formuler des hypothèses et, dans une certaine mesure, de les tester, tout en rendant possible une étude empirique approfondie de chaque cas sur la base de matériaux variés. Selon Mattéi Dogan et Dominique Pélassy178, l’analyse binaire permet en effet de réaliser une confrontation détaillée et, par conséquent, de trouver un bon équilibre entre le « général » et le « particulier ». Nous avons donc pu dans ce cadre affiner nos analyses tout en dégageant certaines régularités avec une économie de moyens permise par l’accessibilité des matériaux d’enquête. Le même type de données recueillies sur le même type de terrain ont ainsi été soumises à la même grille d’analyse sur la base d’une sélection d’études de cas découlant de notre objet d’étude. Outre qu’ils été identifié pour des raisons pragmatiques de disponibilités de données, ces terrains d’enquête ont été retenu car ils présentaient en premier lieu des caractéristiques différentes en termes de systèmes fonciers179 entendus comme des groupes d’intérêts en interdépendance, des comportements stratégiques et des compromis territorialisés, formels et informels, stabilisés dans le temps, autour d’un programme d’action foncière entre propriétaires, élus, techniciens administratifs et professionnels. La variété de ces terrains permet ainsi d’analyser la pluralité des modes d’investissement dans le processus d’institutionnalisation régionale. Toutefois, ils ont en second lieu pour caractéristique commune l’existence de programmes d’aménagements fonciers conséquents. Leur analyse constitue donc une clé d’entrée sur le terrain

177 Andrew Abbott, The system of professions. An essay on the division of expert labor, The University of Chicago Press, Chicago, 1988.

178 Mattéi Dogan, Dominique Pélassy, Sociologie politique comparative : problèmes et perspectives, Paris, Economica, 1982, pp. 128-135.

179 Nous nous inspirons librement des travaux du programme Liteau III : Ministère de l’Ecologie, de l’Energie et du Développement durable et de l’Aménagement des Territoires, programme Liteau III, « Propriété, conflits et dynamiques foncières sur le littoral : les grands domaines et le camping caravaning sur parcelles privées (PROCODYF), Rapport final, novembre 2012, Clotilde Buhot, Yann Gérard, Johan Vincent, Catherine Herrera, Sylvie Duvillard, Frédéric Rousseaux, Elise Turquin, Marion Bizien, Vincent Renard, Céline Tritzen. Nous complétons cette analyse par les travaux de Françoise Jarrige, Emmanuel Négrier, Marc Smyrl, « La ressource foncière comme ressource politique. Une comparaison entre Denver (Colorado-USA) et Montpellier (Languedoc-Roussillon-France », Pôle Sud, 2015/1, n°42, pp. 43-62.

afin de mesurer le contrôle de l’agenda politique local et la capacité des élus, techniciens administratifs et professionnels de l’action foncière à élaborer des projets et à les mettre en œuvre, la mesure de cet écart étant révélateur de capacité d’action de la coalition ou à rebours de sa remise en cause par une action collective. Cette sélection vise ainsi à identifier des modes de régulations intermédiaires, « des méso-ordres locaux [qui] organisent une mise en relation entre le macro-politique et le micro-décisionnel, via la diffusion de normes, la concrétisation de dispositifs incitatifs et l’interaction en réseau d’acteurs multipositionnés »180. Cette perspective permet ainsi de remettre l’individu et l’institution dans son environnement institutionnel, c'est-à-dire dans une perspective relationnelle dessinant un certain rapport de forces.

Toutefois, cette comparaison de monographies locales s’inscrit dans le cadre général d’une monographie sectorielle mettant en perspective ce processus d’institutionnalisation.

2. Une option méthodologique : la monographie du foncier comme secteur d’action publique

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