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Section 1. La construction d’une action foncière rurale de proximité

1.2. Le travail public régional entre administration et politique

1.2.2. Le travail politique de l’animateur

La mise en forme des dossiers dessine un espace d’interactions entre élus et techniciens régionaux qui définissent les rôles de chacun en répartissant les tâches assignées.

L’animation de la politique foncière va ainsi être progressivement organisée et hiérarchisée. De 1974 à 1982, elle est caractérisée par une animation souple : les instructeurs des dossiers sont des agents de la SCET mis à la disposition de l’EPR sous la direction administrative directe du chef de cabinet de Gaston Defferre qui cumule les fonctions de directeur général des services et directeur de cabinet. Après la Décentralisation, la situation change puisque la Région voit progressivement reconnaître le droit de recruter des agents publics : une ébauche de hiérarchisation et d’organisation de service est mise en place. Si les agents instructeurs continuent à relever de la SCET, en revanche un service est créé comprenant un chef de service et une assistante à laquelle sont rattachés les trois inspecteurs fonciers de la SCET qui instruisent les dossiers et qui seront intégrés au service après 1986. C’est donc entre 1984 et 1986 qu’une organisation administrative se met en place définissant les rôles de chacun des agents :

« Moi j’avais une équipe Bernadette V. qui était venu de la Caisse des Dépôts après j’ai eu Philippe M. (…) bon je cite que deux y en a eu d’autres mais bon qui étaient des gens enfin qui étaient parfaits pour ça quoi je veux dire un bon contact de bons techniciens machin moi je faisais un peu plus de relations moi je me suis passionné avec ça on était sous l’œil bienveillant du DGS de l’époque qui était J-P.G »418.

L’aspect relationnel auquel fait allusion ici le chef du service foncier J-L.U correspond à des activités proprement politiques caractérisant leur rôle au sein de la configuration de l’EPR. Précisons tout d’abord la nature de ces activités politiques. Au fil des entretiens avec les deux animateurs successifs de cette politique, nous avons identifié trois activités politiques paraîssant relever d’un « domaine réservé » de l’animateur et traçant une frontière entre lui et ses collaborateurs : d’abord en amont des dossiers par la prise de contact c’est-à-dire le relationnel avec les élus locaux, ensuite la gestion des dossiers sensibles,

417 Michel Cattla, op.cit., p. 152.

418 Entretien J-L.U, 12/12/2011, p. 7.

enfin la gestion du lien avec le Président de la Commission Foncière, notamment lors des préparations de sessions.

Le premier rôle s’assimile à l’activité de relayage exercé par les agents de développement des PLAC : il consiste comme le dit J-L.U à faire le VRP auprès des élus locaux :

« Je me réservais des dossiers j’allais sur place ou faire l’exploratoire j’allais présenter la politique foncière une fois qu’on avait trouvé le dossier je refilais ça aux...(…) je faisais VRP et (…) puis une fois qu’on avait choisi le truc moi je filais ça aux chargés de missions (…) qui faisaient une instruction totalement technique ».

Cette activité relationnelle réservée au chef de service fait de lui l’animateur de la politique foncière.

Son précédent poste en tant qu’agent de développement des PLAC est donc une précieuse expérience puisqu’elle lui a servi d’apprentissage de ce rôle d’intermédiaire de l’action publique régionale. Comme l’analyse Michel Catlla, ce travail de relayage est un travail de « déclencheur ».

Les expressions employées pour le décrire sont significatives : pour J-P.G, il s’agissait d’ « allumer la mèche » quand J-L.U parle de « faire une touche ». Il est significatif que l’on soit ici dans un champ lexical qui relève de la stratégie de cour décrite par Goffman419, l’enjeu est bien la captation, par ceux qui se décrivent comme des « VRP », de ceux qu’ils nomment leurs « clients ». Ce rôle est primordial, l’intériorisation de ses contraintes va même chez J-L.U à imposer son choix résidentiel :

« C’est pour ça que je me suis installé à Saint-Maximin parce que à Saint Maximin j’étais au centre de la région je pouvais aller dans les Hautes-Alpes, Haute-Provence, Alpes-Maritimes et puis ... »420.

Le second rôle politique du chef de l’animateur consiste à se « réserver » des dossiers en fonction de leur sensibilité politique. Ainsi, à l’image des hauts fonctionnaires dont parle J-M Eymeri-Douzans421, le chef de service, animateur de la politique, réalise un travail politique de tri entre les dossiers politiques et ceux qui ne le sont pas :

« Moi j’ai fait beaucoup de terrain quand j’étais d’abord je me réservais des dossiers et parce que bon comme ça on allait voir les maires on discutait avec eux que de l’intérêt pour eux dans un temps parfois oui parce que il y avait le problème de l’expro. On avait deux types de dossiers : par amiable et expro »422.

L’expropriation, par la situation conflictuelle qu’elle génère entre propriétaire et puissance publique, par les moyens financiers et juridiques qu’elle nécessite, apparaît ici comme le critère de distinction entre dossier politique et dossier « normal », elle définit ici la sensibilité politique du dossier. Le traitement des dossiers d’expropriation transforme le travail « technique » de mise en forme des dossiers en travail politique comme le confirme J-P.G dans la mesure où il s’agit d’un travail de conviction :

419 Erwing Goffman, L’arrangement des sexes, La Dispute, Paris, 2002.

420 Entretien J-L.U, 12/12/2011, p. 5.

421 Jean-Michel Eymeri-Douzans, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute administration à la production du politique », in Jacques Lagroye, dir.,La politisation, Paris, Belin, 2003.

422 Entretien J-L.U, 12/12/2011, pp. 3 et 4.

« (…) Il y avait un travail de conviction à faire de temps en temps. Il m’est arrivé de convaincre des maires qui ne voulaient pas : « Monsieur le maire vous n’allez pas quand même laisser partir ce terrain ! Regardez… le marché financier n’est pas important, vous avez quand même 80% de subvention…». Bon, parce que quelque fois on a exproprié c’est-à-dire que dans de nombreux cas des maires sont allés jusqu’à l’expropriation. Donc vous savez que pour un maire, exproprier, ce n’est jamais très simple. (…) Je crois que dans un cas sur dix, ou deux cas sur dix, les maires allaient jusqu’à l’expropriation. Et on leur apportait le soutien technique, juridique avec la SCET pour qu’ils puissent monter leur dossier »423.

Comme l’illustre le dossier de Pourrières que nous développerons ultérieurement, la sensibilité politique de ces dossiers entraîne également l’intervention des techniciens du cabinet régional qui suivent de près ces expropriations comme en attestent les échanges de courriers trouvés aux archives régionales.

Enfin, le troisième rôle politique de l’animateur de la politique foncière réside dans la gestion des liens avec le Président de la Commission foncière et s’exerce lors de la préparation des sessions de la Commission foncière, du Bureau et de l’Assemblée Régionale lors de l’élaboration des dispositifs. Ces liens sont particulièrement étroits au point que l’on puisse parler de « couple »424 animateur/élu comme en témoigne J-P.G, le premier animateur de la politique foncière :

« Didier [Président de la Commission foncière]moi je l’avais au téléphone deux fois par mois, pour lui indiquer comment ça allait, les dossiers qui avançaient, les marchés financiers, où on en était au niveau foncier, et puis ensuite il présidait la Commission, et voilà, donc on avait des relations très directes et très chaleureuses et de confiance, avec Emile Didier »425.

Les relations avec le politique ne s’organisent donc pas avec le Président ou un Vice-Président. C’est bien le Président de la Commission foncière qui apparaît comme le personnage politique de premier rang, l’élu décideur. Il s’agit là d’une caractéristique très importante de l’EPR comme en témoigne J-P.G :

« Gaston Defferre (…) avait laissé la gestion de la Région aux Présidents de Commission, le Président de la Commission foncière a toujours été Emile Didier, qui était Sénateur des Hautes-Alpes, (…) Donc Defferre avait fait beaucoup de marges de manœuvre aux équipes techniques et aux élus auxquels il avait délégué les présidences de Commissions. (…) Moi je le voyais une fois par mois, je préparais donc les délibérations puisque c’était moi qui maîtrisais effectivement la préparation des délibérations du bureau et l’Assemblée Régionale. Je le voyais deux jours avant pour lui présenter les délibérations, lui indiquer les sujets un peu compliqués, difficiles, pourquoi choisir telle délibération, et puis il présidait le bureau, je le voyais pour le rapport sur le budget. Bon, Defferre ne passait pas 90% de son temps à la Région, il y passait peut-être 5% de son temps mais, par contre, il a laissé se mettre en place, même s’il ne l’a pas fait directement, il a laissé se développer une technostructure et un appareil politique qui a pris la Région en mains et qui en a fait à l’époque une des Régions un peu pionnières dans beaucoup de domaines politiques ».

La configuration de l’EPR est donc caractérisée par la dépendance d’élus en situation de cumul de mandats locaux et nationaux peu investis dans l’institution régionale envers de jeunes techniciens qui jouent du même coup un rôle éminemment politique. On se souvient du rôle d’entrepreneur joué par JP G. dans l’élaboration de la politique foncière lors de la présentation du contre-budget régional en 1974.

423 Entretien J-P.G, 31/05/2012, p. 22.

424 Michel Catlla, op.cit., p. 62.

425 Entretien J-P.G, 31/05/2012, p. 11.

Ce lien est donc discontinu : il peut être intense lors de l’élaboration des dispositifs ou bien plus espacé en période ordinaire où ce lien est peu intense, puisque J-P.G parle d’une fréquence de deux contacts par mois avec le Président de la Commission Foncière, ce qui est faible. Il s’agit alors simplement de faire le suivi des dossiers qui avancent, ce qui nous renseigne sur le suivi politique dont fait l’objet le montage des dossiers. Cette relation témoigne de la confiance accordée par le Président de la Commission Foncière à son animateur, à l’image de celle entretenue entre le Maire et son Directeur général des services tel que l’a analysé Olivier Roubieu426. Toutefois, le rôle joué par l’animateur brouille ici davantage les frontières entre le politique et l’administratif compte tenu de la faible implication des élus au sein de l’EPR. Nous reprenons donc à notre compte les conclusions faites par Rémy Le Saout : à propos de l’intercommunalité : « Tout tend à montrer que quand le Maire est moins influent au sein de l’intercommunalité, soit parce que son investissement dans l’activité politique n’est pas permanent, soit parce que son positionnement partisan ne lui donne pas accès à l’ensemble des arènes décisionnelles, la porosité entre le politique et l’administratif est plus présente et les liens avec le DGS se renforcent »427 . En l’espèce, c’est donc la présence intermittente des élus au sein de l’institution régionale qui renforce cette porosité. Le « devoir d’engagement »428 relevé par Jean-Michel Eymeri à propos des hauts fonctionnaires est donc ici total puisque, comme nous l’avons vu à propos de J-P.G, itinéraire militant et professionnel sont imbriqués. J-L.U parlant pour sa part de sa « passion » pour son métier.

Si le montage des dossiers implique un travail de traduction qui objective les projets locaux, en les technicisant, cela ne doit pas occulter le rôle politique que l’animateur joue dans une configuration caractérisée par la dépendance des élus de l’EPR envers les techniciens.

1.3. Un mode d’intermédiation privilégié avec les élus locaux : le « guichet mobile » L’action foncière se présente sous la forme d’une politique de guichet. Nous entendons par là l’expression forgée par Vincent Dubois afin de qualifier un certain type de politiques publiques : « Le guichet n’est donc pas seulement le point de contact nécessaire entre les politiques et les populations qu’elles visent (les politiques au guichet). Il constitue aussi le lieu sur lequel repose le mode opératoire d’une intervention publique visant à réguler ces populations (les politiques du guichet) »429. Bien que le terme ait été forgé à propos des réformes des politiques de prestation de l’Etat Providence, nous proposons ici d’en importer l’usage en l’adaptant aux spécificités de notre terrain d’où l’expression de guichet mobile. Les agents instructeurs jouent ici en quelque sorte le rôle assigné à la « street level

426 Olivier Roubieu, Des cadres gouvernants. Les hauts fonctionnaires des collectivités locales, Thèse en science politique, Université Paris I, 199.

427 Rémy Le Saout, « Recomposition institutionnelle et encadrants publics. L’intercommunalité comme révélateur des liens entre le directeur des services municipaux et le maire », 14e journée d’étude du GDR Cadres, Encadrer sous contrainte : Les encadrants des organisations publiques, Annecy-le-Vieux, 6 et 7 déc. 2007.

428 Jean-Michel Eymeri-Douzans, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute administration à la production du politique », in Jacques Lagroye(dir.), op.cit.

429 Dubois Vincent, « Politiques au guichet, politique du guichet », in Olivier Borraz et Virginie Guiraudon, Politiques publiques 2, Changer la société, Presses de Sciences Po, 2010, p. 280.

bureaucracy » dans le modèle de Lipsky430 puisque ce mode de gouvernement régional « s’opère au cours des interactions directes avec les street-level bureaucrats qui en constituent des rouages essentiels : c’est en ce sens également que l’on peut parler de politiques du guichet »431.

Cette qualification de politiques du guichet vise d’abord à caractériser le dispositif d’action foncière mise en place par l’EPR à destination des communes ou des structures intercommunales (syndicats) ; elle caractérise ensuite le travail réalisé par les animateurs de cette action foncière.

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