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Section 1. La construction d’une action foncière rurale de proximité

1.2. Le travail public régional entre administration et politique

1.3.2. Un rôle d’intermédiaire

La grande variété des thématiques retenues et le système financier très incitatif pour la grande majorité des communes de la région laissent de facto une très grande liberté d’appréciation aux agents instructeurs de la SCET et aux agents de l’EPR qui vont réaliser un important travail d’animation. Dans la perspective des travaux de Michel Cattla, nous nous intéressons ici au travail d’animateur en tant qu’il occupe « une place d’intermédiaire d’une part parce qu’il trouve sa force dans sa position nodale qu’est l’entre-deux, d’autre part parce que l’intermédiarité est l’objet même de son activité »436.

Contrairement au travail de généraliste de JP.G, ce travail d’intermédiation est ici plus mélangé. Si elle emprunte au généraliste par le travail de cadrage des dossiers, elle est cependant d’abord une activité de courtier consistant à « rechercher des solutions acceptables entre des groupes éloignés qui peuvent trouver avantage à coopérer même s’ils ne poursuivent pas les même objectifs et n’ont pas les même intérêts »437. Une grande partie de l’activité d’animation consiste d’une part, en un travail de courtage entre les élus locaux intéressés par des acquisitions foncières et d’autre part, déterminer les lieux décisifs où sont sélectionnés les dossiers fonciers au sein notamment de la commission foncière.

Ce rôle d’intermédiation nous amène à nous intéresser au parcours biographique de celui qui fut l’animateur principal de cette action foncière : J-L.U, devenu chef du service foncier en 1982. Si l’activité d’animation était jusqu’alors exercé directement par les inspecteurs fonciers sous la houlette de J-P.G, les lois de décentralisation de 1982 vont permettre autant que nécessiter la création d’un service foncier spécifique : face au transfert des compétences aux régions, un processus de bureaucratisation de l’institution régionale passant par la spécialisation et la hiérarchisation des tâches se met en place en même temps qu’elle rend possible le recrutement d’un nombre plus élevé d’agents qui était jusque-là limité. J-L.U est donc recruté à ce moment clé de la régionalisation. Son recrutement ne tient pas au hasard. Son parcours est connu de J-P.G, chef de cabinet, qu’il connaît par un réseau d’interconnaissances (« J-P.G tout ça on se connaissait bien on n’avait pas que des moments de travail on était des copains donc souvent on se recevait, etc. »438). De plus, son expérience en matière de montage de dossier foncier était reconnue à l’EPR puisqu’il était jusqu’alors agent de développement

435 Entretien J-L.U, 12/12/2011, p. 3.

436 Michel Cattla, op.cit.,p. 55.

437 Olivier Nay, Andy Smith, Le Gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes del’action politique, Economica, 2002.

438 Entretien, J-L.U 12/12/2011, p. 24 : l’expression de copains, qui emprunte au discours post-68, est récurrente dans le discours des locuteurs. Elle témoigne d’une forme de camaraderie militante mêlant sentiment d’amitié et engagement politique commun attestant d’un milieu d’interconnaissance partageant action publique et liens personnels.

dans le syndicat mixte du Pays du Verdon soutenu financièrement par l’EPR tout en faisant fonction de directeur de cabinet de Maurice Jannetti, sénateur-maire de Saint-Julien le Montagnier :

« De 77 à 82 j’ai travaillé dans le Verdon donc j’étais un client (rire)s moi, je connaissais bien le truc alors je te dis pas ce que j’ai fait dans toutes les communes du Verdon du haut Verdon j’en ai ramassé des opérations foncière »439.

Outre son savoir-faire, c’est donc aussi son réseau d’inter-connaissances (« ça a été un boulot exceptionnel sur le plan de la connaissance du territoire »440) qui explique son recrutement. Son parcours biographique éclaire son activité professionnelle. Fils de cheminots parisiens en ascension sociale (son père, boursier a fini sa carrière comme directeur financier de la SNCF après avoir fait Sciences Po Paris), L.U est licencié en droit avec une spécialisation en finances publiques et science administrative. Cette formation aux savoirs de la réforme de l’Etat, lui permet de devenir de 1970 à 1977 assistant d’étude CNRS à la Cellule Budget-Programme du Ministère de l’Equipement dans le cadre de la politique de rationalisation des choix budgétaires (RCB). Il évolue ainsi au sein d’une équipe mixte aux profils d’expertises variées : diplômés de l’ENA, d’HEC, consultants à Mac-Kinsey, il était :

« Baigné dans un « environnement extrêmement favorable euh de gens qui étaient en marge de l’administration car on mélangeait le privé et le public »441.

Puis, après une mission sur le projet de métro marseillais et suite à une évolution de son poste de travail vers une dimension plus opérationnelle, il décide, suite à un pari entre « copains » de descendre en Provence où « on venait en vacances ». Cette rupture biographique se réalise grâce aux ressources de réseaux partisans socialistes et syndicaux à la CFDT. C’est dans ce cadre qu’en 1977 il rencontre Maurice Janetti, président du SIVOM du Verdon :

« j’ai été embauché alors sur un contrat financé par la Région comme dans le cadre des PLAC442 au syndicat mixte du pays du Verdon détaché auprès de Maurice Janetti qui était à l’époque président du SIVOM du Verdon adjoint au sénateur du Var Pierre Baudin maire du Luc et mon salaire était pris en charge par la Région ».

Ce travail est ainsi pour J-L.U une période d’apprentissage des politiques de développement local et du fonctionnement du pouvoir local :

« Me voilà à la fois secrétaire général du syndicat un peu directeur de cabinet enfin je m’occupais de tout et donc bon ce bonhomme (…) maîtrisait le territoire quand même on en parle encore et donc j’ai passé sept ans avec lui et j’ai beaucoup appris mais il m‘a beaucoup fatigué »443.

On retrouve ici le « surmenage des innovateurs »444 identifié par Gilles Jeannot qui caractérise les animateurs aux « métiers flous » : flous par leur objet (le développement local), leur position (secrétaire

439 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 1.

440 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 25.

441 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 23.

442 Les PLAC : Plan Locaux d’Aménagement Commun (PLAC) était une des politiques de développement local de la Région consistant à soutenir financièrement des postes d’ingénieries dans les syndicats intercommunaux, à l’image des politiques de Pays aujourd’hui.

443 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 24.

général du syndicat et directeur de cabinet), leur emploi (J-L.U est contractuel) et leur métier (intermédiaire au sens de courtier). Ainsi que le note Jean-Pierre Gaudin, la fragilité de ce statut pousse l’agent sans cesse à se saisir d’opportunités « les nouveaux porteurs de projet et de négociation sont peut-être les héros fragiles de l’innovation, mais ils sont également attachés à enrichir la portée de leur travail ; ils souhaitent exister (ou survivre) professionnellement et élargir leur sphère d’influence sociale. Leur intéressement les convie donc à participer au travail d’accréditation des pratiques de la nouvelle action publique »445. Le réseau d’inter-connaissance joue dès lors un rôle majeur dans l’accompagnement du parcours de J-L.U :

« J-P.G que je connaissais bien qui m’a dit eh bien si tu veux je te prends avec moi tu prendras la politique foncière est-ce que ça t’intéresse ? Bon moi comme j’avais envie de dégager j’ai dit oui tout de suite donc »446.

Dès lors, J-L.U va devenir l’animateur de la politique foncière pendant plus de dix ans. Comme l’analyse Michel Cattla à la suite de Gilles Jeannot, ce travail d’animation est caractérisé par une situation de flou :

« des prescriptions ouvertes ; des objectifs visés hétérogènes qui nécessitent des interventions adaptées et souvent de nature expérimentale ; la nécessité de composer avec des partenaires multiples, ce qui implique une posture de l’entre-deux. ». Cette posture nécessite que l’animateur dispose de marges importantes d’autonomie qui contrebalancent par ailleurs en gratifications son statut précaire :

« Je voyais le maire dans l’après-midi ou le déjeuner à midi il venait avec moi c’était une période extraordinaire et l’image de la région c’était quelque chose voilà ça m’arrivait je faisais deux dossiers parce que parfois c’était un peu loin donc si ça se passait le matin le midi on était invités à bouffer par le maire et puis le soir il y avait des maires qui m’invitaient au conseil municipal tu vois un peu je faisais un peu plus que le foncier je faisais un peu de pub pour la région tu vois »447.

Par le biais de l’animateur, c’est donc la Région qui se déplace : la politique foncière est une vitrine des dispositifs régionaux, par ses taux de subventionnement qui la rendent très attractive auprès des élus locaux, elle joue le rôle d’un dispositif d’enrôlement448 aux politiques régionales. On reprend ainsi volontiers à notre compte la formule de Michel Cattla qui parle de « guichet unique » ou de « guichet mobile » à propos d’un dispositif régional équivalent : « la logique de guichet se fond à une logique de service dans laquelle les services publics cherchent à se rapprocher de ceux qu’ils servent »449. La déclaration du Président de la commission foncière lors des dix ans de politique foncière régionale est à cet égard éloquente :

444 Jeannot, Gilles, Les métiers flous. Travail et action publique, Octares, sept. 2005, p. 107.

445 Jean-Gaudin, Gouverner par contrats, op.cit., p. 151.

446 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 24.

447 Entretien, J-L.U, 12/12/2011, p. 4.

448 Michel Callon, « Eléments pour une sociologie de la traduction La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », Année sociologique, 36, 1986.

449 Michel Cattla, op.cit.

« Nous ne sommes pas une banque de tous les terrains de notre région. Nous n’avons pas non plus l’intention maline qu’on nous a donnée quelque fois de vouloir nous approprier au profit des communes toutes les terres. Notre politique est de rendre service aux communes, et la carte que vous trouverez dans le dépliant et la lettre vous prouvera combien de petites communes ont déjà pu bénéficier de l’action de la Région. Nous nous promenons dans la Région pour voir à la fois ce qu’il est advenu des terres achetées et ce qu’on nous propose (…) Applaudissements »450.

Outre le fait que la notion de prestation de services au profit des petites communes est revendiquée comme telle, la volonté de se rapprocher de ce que l’animateur nomme lui-même les « clients »451 de la politique foncière est éloquente sous un double point de vue : d’abord par le recours à l’instrument de la carte, ensuite par les itinérances de la commission foncière. Concernant le premier point, il est intéressant de souligner, comme nous le verrons ultérieurement, que la création d’un service d’analyse spatiale producteur de cartes au sein de la Région dans les années 1980 est née de la rencontre entre un informaticien spécialisé dans la cartographie et la volonté politique et administrative de spatialiser les subventions. La carte, très utilisée au sein des services régionaux, est un instrument de rapprochement avec le territoire. Concernant le second point, retenons à ce stade, que l’itinérance de la commission foncière, est l’illustration de la disposition des élus régionaux à intervenir comme mandataires d’intérêts locaux et donc à se rapprocher de leurs clientèles locales ainsi que l’analyse Olivier Nay452 et que nous développerons également ultérieurement. Il s’agit bien d’un guichet mobile pour atteindre les élus locaux. Les propos de l’entrepreneur de la politique foncière, J-P.G, sont explicites :

« Moi j’y tenais beaucoup, j’avais dit à Didier [Président de la Commission foncière]: « Il faut vraiment se déplacer pour aller rencontrer les élus, aller à leur écoute, et puis acter sur le terrain l’intervention de la Région ». La Région avait un problème de notoriété, bon, il fallait qu’elle assume très rapidement son existence et son rôle, donc il fallait aller au plus proche des décisions qu’elle prenait ».

Ce rapprochement des élus locaux se traduit notamment par le fait de « prendre en considération les demandes et les contextes de chacun pour ajuster la règle aux situations singulières »453 Comme le relève Michel Cattla, la personnalisation des traitements dont témoignent les relations personnelles de l’animateur avec les élus locaux, l’intégration des demandes et des spécificités transforment la prescription de la règle en en une prestation de service :

« Si vous voulez,(…) il n’y avait pas de hiérarchie entre les cinq axes, c’était en fonction de la demande, des communes, ou alors il nous arrivait de provoquer la demande (…) C’est-à-dire qu’il arrivait que le CNJA [Centre National des Jeunes Agriculteurs] du coin, ou un groupement d’agriculteurs nous appelle en nous disant : « Voilà, on a un problème, il y a un alpage à vendre, il va être vendu à des Hollandais ou des Allemands, il faut maîtriser… » donc, on appelait le Maire : « Monsieur le Maire, bon ben voilà, il y a un truc chez vous à vendre, il faut maîtriser, donc on est prêt à vous

450 Conférence de presse avec Michel Pezet, les membres de la commission foncière et les journalistes de la presse régionale, le 11 décembre 1984, Archive Régionales.

451 « Les gros clients c’était les petites communes les communes moyennes, c’était pas les grosses collectivités » Entretien, J-L.U 12/12/2011, p. 4.

452 Olivier Nay, op.cit.

453 Jean-Marc Weller, L’Etat au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation de l’action administrative des services publics, Paris, Desclée de Brouwer, Coll Sociologie économique, 1999, p. 9.

aider, est-ce qu’on peut vous voir ? », et on le voyait. Donc on ne faisait pas que répondre à la demande, on était aussi des fois des initiateurs des demandes ».

La politique foncière est donc un espace d’interactions privilégié entre techniciens régionaux et les élus locaux. On retrouve là aussi une des caractéristiques de la politique de guichet décrite par Jean-Marc Weller : le guichet est un « espace de médiations liant une organisation bureaucratique et un public, des innovations managériales et des valeurs morales, des pratiques professionnelles, des préoccupations gestionnaires et des principes de justice »454.

1.4. Quand la Région vient aux communes rurales : la commission foncière en quête

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