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Section 1. La construction d’une action foncière rurale de proximité

1.4. Quand la Région vient aux communes rurales : la commission foncière en quête de légitimité

1.4.3. Le courtage des élus départementaux

L’analyse de la logique de courtage des élus régionaux a été bien étudiée par Olivier Nay,467 nous en rappellerons au préalable les principales conclusions. Pour Olivier Nay, les rôles endossés par les représentants politiques dans l’exercice du mandat régional restent largement déterminés par les conditions de leur intervention sur des territoires politiques infra-régionaux. La sensibilité des élus aux demandes territoriales varie selon les publics : forte à l’égard des équipes politiques qui contrôlent l’allocation des ressources publiques et la distribution des mandats électifs dans les départements, forte également vis-à-vis des électeurs et des représentants d’intérêts particuliers présents sur le territoire, faible à l’égard des instances locales des partis qui ne parviennent guère à contrôler les attitudes de leurs élus dans les Conseils régionaux. Par ailleurs, la négociation collective, loin de se limiter au jeu des affrontements partisans, s’appuie sur des tensions et des compromis exprimant des intérêts territoriaux.

C’est cette activité d’intermédiation qu’il nomme courtage : « L’une des exigences fondamentales associées à l’exercice du mandat régional consiste en effet à assurer une médiation pratique par laquelle l’élu s’efforce d’obtenir des ressources financières du Conseil régional susceptibles de profiter à ses interlocuteurs territoriaux »468. Cette exigence de l’élu fait de lui un « broker » qui exerce son activité essentiellement dans le fonctionnement ordinaire de l’institution régionale, par les discussions avec les services. Cela permet d’abord de s’assurer du bon traitement des dossiers de financement et ensuite de sensibiliser l’administration à certaines questions « naturalisant certains problèmes qui feront l’objet d’une attention particulière par les services instructeurs »469. L’institutionnalisation d’un rôle de représentant d’un territoire se fait essentiellement à l’échelle départementale : « C’est principalement dans le département que se structurent les entreprises politiques, que se consolident les réseaux de pouvoirs, et que s’organise la compétition entre leaders territoriaux »470. Cela implique un certain nombre de contraintes ou d’avantages pour les élus régionaux traduisant la diversité de leur statut : allégeances politiques pour les élus de second rang qui seront attentifs à préserver des liens d’appartenance locale pour conserver leurs position au sein de l’équipe dont ils sont issus ou bien cumul des mandats pour les leaders politiques dont l’entourage clientélaire l’incitera à la distribution des avantages financiers qu’il peut mobiliser dans son activité régionale. Au total, d’après Olivier Nay, c’est la combinaison des positions occupées simultanément dans l’hémicycle régional et le département qui, au-delà des équilibres internes à l’assemblée, construit l’autorité politique des élus au sein des conseils

467 O. Nay, L’institutionnalisation de la région comme apprentissage des rôles. Le cas des conseillers régionaux. Politix, 38, 1997 ; Olivier Nay, La région, une institution, L’Harmattan, Paris, 1997.

468 Olivier Nay, La Région, une institution, op.cit., p. 169.

469 Olivier Nay, Andy Smith, Le gouvernement du compromis. Courtiers et généralistes de l’action politique, Economica, 2002.

470 O Nay, La Région, une institution, op.cit., p. 170.

régionaux. La situation optimale est de cumuler des responsabilités exécutives au niveau régional et départemental, l’élu pouvant alors discuter directement des intérêts de son Département ou de sa Ville avec le président de Région. En d’autres termes, la multi-positionnalité dans l’espace politique local et régional, parce qu’elle place les élus cumulant à la frontière de plusieurs univers institutionnels emboîtés, permet à ces derniers de se poser en relais entre le territoire et leur assemblée.

Cette analyse s’applique pleinement à la politique foncière. Sans revenir sur le travail d’inter-médiation effectué par l’animateur et sur les liens unissant animateur et élu référent, on se focalisera ici sur l’analyse de l’institutionnalisation du courtage départementalisé au sein de la commission foncière.

En effet, rappelons-le, les conseillers régionaux de l’EPR ne sont alors que les mandataires d’autres institutions et notamment des institutions communales (rappelons que tous les membres de la commission foncière sont des maires) et départementales. Parlementaires ou élus locaux, les leaders politiques sont incontestablement les notables départementaux et plus spécialement les Présidents de Conseils généraux. A l’exception de Jacques Médecin, engagé dans une opposition institutionnelle et territoriale avec la Région, tous les Présidents de Conseils généraux sont ainsi membres de l’Exécutif et/ou président une des huit commissions. Or, comme nous l’avions souligné précédemment, la configuration de l’EPR donne aux Présidents de Commission une très grande marge de manœuvre.

Parmi les attributs qui leur sont réservés notons qu’une fois le dossier retenu, la proposition de subvention fait l’objet d’un envoi à la commune qui comprend une lettre signée du Président de la Commission foncière avec le montant de la subvention proposée, le Président du Conseil régional envoyant par la suite une lettre de notification, une fois prise la délibération du Bureau. C’est donc le Président de la Commission foncière qui se réserve le privilège d’annoncer la bonne nouvelle aux élus, et donc le succès du courtage. Les commissions sont donc le lieu du pouvoir au sein de l’EPR. Il n’est donc pas étonnant de voir institutionnaliser la pratique du courtage départemental à ce niveau. Ainsi, au sein de la Commission Foncière, l’examen des dossiers se fait par un rapporteur départemental qui défend les dossiers de son territoire :

« Alors on avait mis au point un système c’était un rapporteur départemental ça veut dire que les (…) conseillers régionaux donc tu sais ils se répartissaient par département à l’époque il y en avait un ou deux représentants par département et les dossiers étaient devant la commission étaient défendus par les représentants des départements quelle que soit leur couleur politique mais c’était un mode de fonctionnement assez particulier qui mouillait les élus »471.

On retrouve là le mode consensuel de gestion des dossiers : comme la logique intercommunale analysée par Desage et Guéranger472, il s’agit ici d’une logique de négociation intergouvernementale comme en témoigne J-P.G :

471 Entretien J-L.U, 12/12/2011, p. 4.

472 Fabien Desage et David Gueranger, La Politique confisquée-Sociologie des réformes et des institutionsintercommunales, Paris, Editions du Croquant, 2011.

« (…) Vous savez Emile Didier était un sénateur radical de gauche, qui dit radical de gauche dit le sens du consensus et du compromis hein donc… (…) Non, non, il n’y a jamais eu de traçabilité politique au sein de la Commission Foncière, ça a toujours été la commune »473.

Si cette posture pragmatique est favorisée par la personnalité du Président de la Commission Foncière, le radical Emile Didier, cette situation résulte d’abord de l’institutionnalisation de l’EPR qui doit être envisagée comme une forme de confédération départementale. Les rapports de force ne sont pas des clivages politiques et partisans mais sont étroitement dépendants des relations entre exécutifs territoriaux en situation de concurrence et tenus de coopérer. Il s’agit là d’une situation d’ « associés-rivaux »474 qui oblige à un certain équilibre des forces :

« Alors la commission moi j’avais une liste de demandes qui était parfois déjà un peu explorée etc. et puis (…) c’est la commission qui décidait : on lançait la constitution du dossier technique et alors là ça donnait lieu à des équilibres départementaux machin comment on essayait voilà c’est déjà en soi c’est politique ».

Les élus de la Commission Foncière s’assurent donc des équilibres départementaux dans la répartition financière des ressources qui alimentent leur clientèle. Les communications écrites réalisées à la fin de chaque année, faisant le bilan de la politique foncière, et parfois reprises dans la presse locale, portent aussi le témoignage de ces équilibres puisque le montant des acquisitions foncières est systématiquement présentée par département.

Toutefois, ainsi que l’a analysé Olivier Nay, ce travail de courtage peut intervenir au cours de l’instruction départementale. C’est notamment le rôle des représentants départementaux qui jouent le rôle de broker entre le service foncier et leur clientèle locale : « le courtage exercé par les élus politiques constitue incontestablement la voie privilégiée par les responsables politiques locaux pour aider à suivre leur dossiers tout au long du cheminement administratif et politique du Conseil régional, et éviter notamment qu’ils soient refusés ou « mis en veille » par les services administratifs chargés de leur instruction »475. Ainsi en témoigne J-L.U, animateur de la politique foncière :

«Moi quand je me rendais dans j’accompagnais les conseillers régionaux et ils se déplaçaient parce que parfois y avaient des subventions costauds donc les mecs ils poussaient le dossier »476.

L’expression même de « conseiller régional départemental » traduit ici la logique départementaliste qui préside à ce courtage qui permet de « pousser » les dossiers, autrement dit pour reprendre l’expression d’Olivier Nay, pour s’assurer de leur bon « cheminement ». Toutefois, si elles visent à s’assurer de clientèles locales, ces pratiques d’intermédiation de proximité sont indissociables d’une quête de légitimité.

473 Entretien J-P.G, p. 14.

474 Albert Mabileau, Le Système local, Paris, L’Harmattan, 2003.

475 Olivier Nay, La Région, une institution, op.cit., p. 170.

476 Entretien, J-L.U,12/12/2011, p. 4.

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