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Des matériaux multiples issus d’une enquête réalisée en contexte professionnel

Section 2. Une approche sectorielle de l’institutionnalisation régionale en Provence-Alpes Côte d’Azur

3. Des matériaux multiples issus d’une enquête réalisée en contexte professionnel

Cette perspective de recherche étant précisée, il s’agit désormais de préciser les conditions particulières de réalisation de cette enquête menée en contexte professionnel et les méthodes de collecte et d’exploitation de données.

Comme le relève Dominique Vial, faire de l’institution où l’on exerce son activité professionnelle son terrain de recherche et construire son objet à partir des problématiques qui la traversent, appelle des précautions méthodologiques191. Passé par la section service public d’un Institut d’Etudes Politiques puis lauréat du concours externe d’administrateur territorial, il a ainsi fallu mettre à distance les prescriptions et contraintes de rôles auxquelles cette carrière nous a socialisés192. Il a été nécessaire également de se départir des règles et des pratiques incorporées de l’institution régionale ainsi que du discours des acteurs avec qui nous étions en proximité personnelle et professionnelle.

Ce rapport à l’objet ne permet pas ainsi d’avoir une approche déductive : le terrain n’a pas été choisi pour tester une hypothèse mais comme espace d’observation qui a permis ensuite de conduire l’analyse à la faveur d’une prise de distance. Disons le tout de suite, cette mise à l’écart n’a pas été simple, elle n’a pu être possible qu’au prix du choix d’un éloignement du lieu de travail qui a permis

190 Jacques Lagroye, Bastien François, Frédéric Sawicki, Manuel de sociologie politique, Paris, Presses de la FNSP, 2012, pp. 553 et suivantes.

191 Dominique Vial, op.cit., p. 23.

192 Florian Pocquet, La construction sociale du rôle d’administrateur territorial, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2009.

de rompre avec la proximité du terrain permettant la construction de l’objet et la problématique de recherche193 (encadré ci-dessous).

Encadré N°0. Les modalités d’un travail de recherche en alternance

Pour mener à bien cette recherche, un accord a été conclu avec notre employeur et nous-mêmes visant à organiser les modalités d’une alternance entre le temps de travail consacré à mon poste au sein du service Etudes, Observation et Prospective de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et le temps consacré à la recherche à proprement parler.

Si le principe de cet accord a été fixé dès 2009, en revanche ses modalités ont varié dans le temps, s’ajustant en fonction de l’avancement de mon programme de recherche. Au cours des deux premières années, l’alternance a pris la forme d’une décharge de fonction à raison de 20 h/mois à compter de décembre 2009 et jusqu’en novembre 2011. A compter du 1er novembre 2011, nous avons alors bénéficié du dispositif de congé formation, d’abord à temps plein jusqu’en juillet 2012, puis à temps partiel jusqu’au 30 avril 2013. A partir de cette date, nous avons alors fait le choix de prendre nos congés annuels à raison d’un jour par semaine, adossé aux week-ends, pour étaler la rédaction jusqu’en juillet 2015.

Toutefois cette contrainte constitue également une ressource par l’accessibilité aux données que procure la connaissance pratique du milieu d’action du foncier en région. Ce savoir pratique nous a exonéré de la phase préalable d’apprentissage du contexte par laquelle passe tout jeune chercheur et a simplifié l’accès aux données pertinentes. Celles-ci sont constituées de trois types de matériau :des entretiens semi-directifs et retranscrits ; d’une exploitation de documents d’archives (qui ont concerné essentiellement la période de 1974 à 1998) ; enfin, de l’observation directe non participante. Ces méthodes de collecte de données relèvent ainsi de trois grandes approches : ethnographique, sociohistorique et sociologique.

L’approche ethnographique, liée à notre immersion au sein de l’institution régionale tout au long de la recherche, nous a permis de mieux appréhender le fonctionnement de l’institution, la structuration des interrelations et les discours et représentations des acteurs. Elle a consisté essentiellement en une observation directe et non-participante dans la mesure où notre activité professionnelle le permettait, c'est-à-dire chaque fois où la séance de travail à laquelle nous participions ne nécessitait pas de prise de position directe en tant qu’agent du service Etudes, Observation et Prospective. Nous avons pu ainsi grâce à notre statut d’agent régional assister à des réunions de travail restreintes comme par exemple des comités de pilotage d’études foncières, ou bien certains conseils d’administration de l’Etablissement Public Foncier PACA. Toutefois, l’essentiel de l’apport de cette situation réside dans les discussions informelles, conversations de couloirs, échanges de mails ou téléphoniques, qui permettent d’avoir accès aux coulisses de la politique et de pénétrer ainsi son économie informelle194. Enfin, cet accès privilégié au terrain, s’est traduit par une proximité des acteurs lors de mes entretiens, certains se comportant en alliés privilégiés ou en interlocuteur central, encourageant

193 Voir sur ce sujet, Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Editions de Minuit, 1984 ; Howard Becker, Les ficelles du métier, comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, coll. Grands repères, éd. française, 2002 ; et Luc Albarello, Apprendre à chercher, l’acteur social et la recherche scientifique, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 3e éd., 2007.

194 Nous entendons l’expression au sens que lui attribuaient Michel Offerlé et Laurent Le Gall : c’est-à-dire « les formes, les pratiques, les activités, les expressions qui, faute de bénéficier d’une reconnaissance et d’une légitimité de la part des prescripteurs et des agents les plus influents du champ, sont « rejetés » en dehors de ce champ quand bien même elles participent, pleinement ou accessoirement, à sa constitution », Laurent Le Gall, Michel Offerlé, Franz Ploux (dir), La politique sans en avoir l’air, 2012, PUR, coll. Histoires, p. 99.

les acteurs interviewés, notamment les élus, à une liberté de parole contraire à leur prescription de rôle.

Notre positionnement dans le secteur de l’aménagement du territoire et l’intermédiation privilégiée de notre chef de service auparavant en situation de direction au Service Foncier, Habitat, Urbanisme de la Région, nous a ainsi rapproché d’une position d’ethnologue disposant d’un interlocuteur, informateur central incontournable pour nous dans cette enquête195, du moins pour la période contemporaine, l’approche socio-historique s’imposant pour la genèse de la politique foncière.

L’approche sociohistorique, principalement à partir d’archives mais aussi d’entretiens semi-directifs, offre en effet un point de vue longitudinal sur l’objet de recherche permettant d’analyser l’institutionnalisation comme processus historique et d’observer les dynamiques de changement. Ici, le travail a consisté essentiellement en un recueil de documents administratifs relatif à la politique foncière au service des archives de la Région. Implanté à Marseille dans l’hinterland portuaire de la zone d’activité des Arnavants, le service est constitué d’une petite dizaine de professionnels gérant un immense hangar où s’engouffre le mistral. Notre première arrivée une fin d’après midi froide du mois d’octobre 2009 est déconcertante. Mon objet de recherche n’étant pas encore bien stabilisé, il a fallu se familiariser avec le fonctionnement des outils d’archivage, et notamment avec le logiciel de recherche informatique qui ne permet pas de hiérarchiser les documents en fonction de leur importance et de leur nature ce qui nous a contraints à faire une première investigation très élargie196. Après ce premier tour d’horizon qui nous a permis de confirmer le choix de nous intéresser à la politique foncière, nous avons programmé une seconde campagne de recherches durant le mois d’août 2012 où nous y avons passé une petite dizaine de jours. Si l’affluence est peu importante197, les conditions d’accueil sont excellentes, le personnel étant disponible et de bons conseils198. Une pièce attenante au hangar de conservation est réservée à l’accueil du public. J’ai pu y bénéficier d’un bureau équipé ainsi que d’un accès à la reprographie qui m’a permis de constituer un matériau composé de cinq boites d’archives couvrant la période 1974-1998. A ces boites d’archives sélectionnées d’ajoutent sept boites d’archives privées non triées issues des entretiens avec mes interlocuteurs couvrant essentiellement la période suivante 1998-2014. Les matériaux concernant cette période sont également constitués de données financières199 et de fichiers

195 Voir Michel Izard, « Méthode ethnographique »,in Pierre Bonte et Michel Izard (dir), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, PUF, Paris, 2008, p. 473.

196 Nous apprenons également qu’une partie de archives de l’établissement public régional a brûlé ce qui nous obligerait à aller aux archives départementales pour retrouver les archives de la mission régionale de la préfecture où son conservés tous les actes soumis alors à son contrôle a priori. Pour notre plus grand bonheur, nous avons cependant constaté que cela ne concernait pas les documents relatifs à la politique foncière, nous permettant ainsi de concentrer nos recherches sur place.

197 Les archives régionales servent principalement de matériau aux divers contrôles administratif et à quelques chercheurs ce qui explique le classement peu élaboré dont il fait l’objet que nous avons mentionné.

198 Bien que la période estivale soit caractérisée par une intense activité (les services administratifs versant leur documents à la faveur d’emploi saisonniers recrutés pour l’occasion), nous avons pu y bénéficié d’un très bon accueil, l’éloignement des agents du reste des services de la Région renforçant manifestement leur volonté d’échanges.

199 Bien que nous n’ayons pas retenu une méthode d’analyse quantitative, nous avons cependant récolté des données financières afin d’objectiver les masses financières consacrées à l’action foncière. Cette analyse est toutefois soumise à une contrainte majeure : l’accès à l’information financière. Si les données financières de la Région sont publiques, leur accès à un niveau de détail intéressant st en revanche plus difficile. Ici aussi, ma situation professionnelle de fonctionnaire et la

informatiques dématérialisés récoltés dans les entretiens ou bien sur les sites Internet des différentes institutions parties prenantes. Enfin, j’ai réalisé une enquête longitudinale à la bibliothèque de l’Institut Universitaire d’Aménagement Régional à Aix-en-Provence, où j’ai dépouillé de manière rétrospective les articles de la revue Etudes Foncières depuis sa création en 1978 avec une triple grille de lecture : les interlocuteurs rencontrés (contributeurs à la revue) les politiques foncières et les institutions régionales. Au total, plusieurs types de documents ont été collectés : actes administratifs et réglementaires de la Région établis lors de la création des dispositifs régionaux, compte-rendus divers de commissions, de conseils d’administration, réunions de bureaux, comités de pilotage ou groupes de travail ; enfin note internes ou échanges divers (courriers et mails) avec le consentement de mes interlocuteurs. Ces derniers documents n’ont pas été négligés dans la mesure où ils permettent de compléter l’attention portée à l’analyse informelle de la posture ethnographique, en se situant à un niveau d’analyse « où l’on peut percevoir les écarts et ajustements permanents qui peuvent exister entre ce que Jacques Lagroye appelle la culture institutionnelle (2006), les rôles prescrits et les dispositions des acteurs qui peuplent ces institutions »200.Toutefois, « l’archive n’est pas un stock dans lequel on puiserait par plaisir, elle est constamment un manque »201 comme lerappelle Arlette Farge d’où l’intérêt, lorsque cela était possible, de croiser cette approche par des entretiens.

Cela renvoie à notre dernière posture méthodologique, la’approche sociologique, par le biais d’entretiens semi-directifs, qui visaient à appréhender, non sans certains obstacles méthodologiques, la politique foncière tant sur le plan macrosociologique que microsociologique. Suivant Gilles Pinson et Valérie Sala Pala202, ces entretiens ont été conduits selon un mode semi-directif, visant à la fois un usage narrative d’une part, et d’autre part, un usage compréhensif. Le premier objectif poursuivi est ainsi de nature macrosociologique : il s’agit, grâce aux matériaux récoltés, de retracer la structuration historique de l’action foncière, en palliant les manques des archives et des ressources documentaires, ou bien au contraire en les confrontant aux témoignages d’acteurs, parties prenantes à l’action. De même, dans un souci d’objectivation et afin d’éviter un récit subjectiviste, nous avons, lorsque cela était possible, confronté les discours des acteurs entre eux. Dans cette démarche, nous avons bénéficié de nos postures sociohistoriques et ethnographiques. Ainsi, la maîtrise des archives sociohistoriques nous a aidé dans nos entretiens avec les acteurs de la première séquence, tandis que notre position d’administrateur territorial nous a facilité l’accès aux décideurs contemporains en confiance que m’ont accordée mes interlocuteurs en me fournissant ces données m’ont cependant permis d’avoir accès à un certain nombre d’éléments. Toutefois, elle reste contrainte et limitée : d’une part s’agissant de la Région elle reste contrainte temporellement puisque cette donnée n’est disponible à partir du deuxième mandat de Jean-Claude Gaudin (exercice financier 1992-1998), d’autre part s’agissant de l’Etablissement Public Foncier elle est plus difficile d’accès (en dehors des rapports budgétaires obligatoires) et présente un intérêt limité puisqu’une thèse de doctorat en géographie est actuellement en préparation sur ce sujet à l’Université d’Avignon ce qui explique que nous n’ayons pas plus investigué la question.

200 Sylvain Laurens, « Les Agents de l’Etat face à leur propre pouvoirEléments pour une micro-analyse des mots griffonnés en marge des décisions officielles », Genèses 3/2008 (n° 72), pp. 26-41, p. 30.

201 Arlette Farge, Le goût de l’archive, Paris, Seuil, 1989, p. 70.

202 Gilles Pinson, Valérie Sala Pala, « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ? », Revue française de science politique 5/2007 (vol.LVII), pp. 555-597.

permettant plus facilement de nous « imposer aux imposants »203, parfois à la faveur d’une ambigüité sur ma posture, alternant le registre du collègue et du sociologue. Toutefois, cette proximité nous a également obligé vis-à-vis de nos interlocuteurs à l’égard desquels nous avons garanti l’anonymat204 d’où la solution d’un référencement par initiales de nos interlocuteurs, compromis certes imparfait, entre une numérotation trop impersonnelle et une discrimination entre interlocuteurs en raison de leur positions. En revanche, compte tenu de l’abondance et de l’accessibilité de notre matériau pour les raisons précédemment invoquées, nous avons pris le parti de citer au maximum nos entretiens dans l’administration de la preuve afin de permettre l’accès à la donnée. Ce souci informatif rejoint ici le deuxième objectif de ces entretiens, de nature microsociologique : reconstituer les trajectoires des acteurs et comprendre leur point de vue afin d’atteindre leurs pratiques et leurs représentations. Il s’agit ici de prendre au sérieux le discours des acteurs en en faisant une voie d’accès privilégiée au sens de l’action publique, permettant de saisir l’acteur dans sa configuration sociale. Cela permet ainsi de s’intéresser aux représentations qui guident leurs pratiques, en étant attentif à la diversité des acteurs du milieu d’action publique. La force de ce point de vue compréhensif s’est vérifié au contact des acteurs dont certains ont pris un plaisir manifeste dans l’exercice, m’accordant une plage horaire importante et m’offrant la possibilité de les recontacter ultérieurement, soit par un autre entretien, soit par des échanges mails, ou téléphoniques205. Afin d’éviter les risques de dissimulation que permet le discours des acteurs, nous avons veillé à multiplier les points de vue au sein de l’institution régionale, depuis le niveau des agents en charge de l’instruction jusqu’au niveau directionnel, en privilégiant les « marginaux » de l’institution mentionnés par Howard Becker, c’est-à-dire ce qui n’y sont plus206. De même, nous avons prêté attention au lexique indigène des acteurs, un chef de service parlant par exemple de ses

« bons clients », afin de mieux comprendre les normes et compétences professionnelles valorisées.

Par ailleurs, afin d’éviter le biais artificiel de l’entretien, nous avons porté une attention particulière aux moments interstitiels de nos entretiens, les offs avant ou, après l’enregistrement, que nous avons également cités lorsque cela permet d’enrichir la démonstration, en cohérence avec notre posture ethnographique. Dans cette double perspective macrosociologique et microsociologique, la grille de lecture retenue pour ces entretiens commençait invariablement par des éléments de nature biographique et individuelle, amenant les acteurs à parler de leurs parcours personnels et de leurs pratiques professionnelles en situation, avant d’envisager des montées en généralité sur la genèse du dispositif, les rapports interinstitutionnels, les jeux d’acteurs. La plupart des entretiens ont été réalisés entre février 2010 et décembre 2012 et au total, on comptabilise 84 entretiens. Ces entretiens ont

203 Voir Laurens Sylvain, « ‘Pourquoi’ et ‘comment’poser les questions qui fâchent ? Réflexions sur les dilemmes récurrents que posent les entretiens avec des ‘imposants’ », Genèses 4/2007 (n°69), pp. 112-127.

204 Madeleine Grawitz, Méthode des sciences sociales, Dalloz, Précis Dalloz, Paris, 1990, p. 754.

205 Pierre Bourdieu parle à ce sujet d’un « bonheur d’expression » dans le chapitre, « Comprendre », in Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 1 408.

206 Howard Becker, op.cit., p. 153.

été individuels et semi-directifs, d’une durée d’une heure quinze en moyenne, allant au maximum jusqu’à deux heures trente. Certains ont été réalisés de façon collective afin de faciliter l’expression contradictoire au sein d’un même service ou délégation. Six personnes enquêtées une première fois ont fait l’objet d’un second entretien, l’une d’entre elle, mon informateur central ayant fait l’objet de quatre entretiens. Tous les entretiens ont été enregistrés – à l’exception d’un seul – avec l’accord de l’interviewé, et retranscrits dans leur intégralité et comportent en moyenne entre trente et quarante pages.

La plupart a été réalisé en région PACA, certains à Paris et deux en Nord Pas-De- Calais, ces derniers entretiens visant essentiellement à tester les hypothèses formulées en PACA. Ils sont composés essentiellement de trois groupes dans chacun de nos terrains d’études : techniciens, élus et « experts » auxquels s’ajoutent des profils plus militants.

La problématique et les méthodes d’enquête de ce travail ayant été explicitées, il reste à présenter la trame retenue pour appréhender l’institutionnalisation de cette politique foncière régionale.

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