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Les typologies des relations professionnelles : Corporatisme, étatisme et dérégulation

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 114-117)

Dans les relations professionnelles, les typologies étudient la négociation collective à travers trois acteurs – les syndicats, le patronat et l’État – et leurs relations. O’Reilly (2003) amène une typologie des relations industrielles par celle de la flexibilité conçue comme le temps partiel et l’instabilité de l’emploi110. Cette auteure étudie l’introduction de la flexibilité dans différents pays. Sur cette base, elle identifie trois modèles de mise en œuvre de la flexibilité : « negociated flexibility involving social partners, statist flexibility between statutory intervention and company

implementation and, finally, externally constrained voluntarism » (O’Reilly 2003, 25).

Le modèle de « negociated flexibily » concerne les pays qui ont une forte tradition corporatiste c’est-à-dire où la négociation collective est importante et souvent menée sans grande intervention de l’État. Ce modèle, parfois appelé corporatiste ou néo-corporatiste (Menz 2005; Slomp 2000), se retrouve dans les pays scandinaves, germaniques et du Benelux. Le développement de la flexibilité y passe par la concertation. Il implique parfois une certaine décentralisation des négociations collectives. En reprenant Esping-Andersen (1989), O’Reilly (2003) distingue parmi ces pays, les sociaux-démocrates des corporatistes-conservateurs – ces derniers présentant des marchés du travail plus fermés.

Le modèle de la « statist flexibility » présente des caractéristiques assez opposées. Les partenaires sociaux sont faibles, surtout les syndicats qui sont divisés idéologiquement et dont le nombre d’adhérents est limité. L’État est plus fort. C’est lui qui prend le relais et impose des normes légales

109 Un test de Tuckey, adapté par Games et Howell aux groupes de taille et de variance inégales, montre que les deux seules différences significatives (à un niveau de confiance de 95 %) sont les distinctions entre le modèle libéral et le modèle social-démocrate (la valeur p vaut 0,00066) et entre le modèle libéral et le modèle corporatiste-conservateur (la valeur p vaut 0,07698). À un niveau de confiance de 90 %, l’opposition entre corporatiste-conservateur et social-démocrate devient significative (la valeur p vaut 0,07968). Il faut cependant nuancer la pertinence de tels tests, j’y reviendrai à la fin de ce chapitre. Dans ce cas, ils ne montrent que le fait que les pays scandinaves sont égalitaires et que le Royaume-Uni et l’Irlande sont inégalitaires. Mais ce constat ne s’explique pas nécessairement par les modèles d’État-providence. D’autres caractéristiques spécifiques aux pays scandinaves et aux pays anglo-saxons peuvent aussi jouer un rôle, nous le verrons.

110 Il s’agit essentiellement de la flexibilité quantitative interne – possibilité de faire varier, selon la demande, le nombre d’heures prestées par les salariés par le recours au temps partiel et aux heures supplémentaires – et externe – possibilité de faire varier le nombre de salariés par le recours aux contrats à durée déterminée et intérimaires. La flexibilité fonctionnelle (polyvalence des salariés) n’est pas au centre du propos de O’Reilly (2003). Pour plus de détails sur ces différentes flexibilités, voir Gazier (2008).

concernant la flexibilité – par exemple le temps de travail. Ensuite, c’est souvent à l’employeur de mettre en œuvre ces mesures. Des pays comme la France et l’Espagne appartiennent à ce modèle. Enfin, le modèle de l’« externally constrained voluntarism » comprend le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, l’Irlande. Ces pays présentaient une tradition de négociations collectives très libérales. Le droit du travail y est peu contraignant. C’était surtout par la négociation collective – sans intervention de l’État – que les normes étaient mises en place. Cependant, ce modèle a évolué suite à l’affaiblissement des syndicats depuis les années 1980 par la politique antisyndicale des gouvernements Thatcher au Royaume-Uni et un manque de coordination des syndicats. Cette négociation collective est donc devenue caduque. Dans ce modèle, il y a peu de régulation de la flexibilité. De plus, comme le précise O'Reilly (2003), dans ces pays, le concept de temps plein est moins pertinent parce que le recours aux heures supplémentaires est important. De ce fait, les salariés questionnent moins le temps partiel parce que le temps plein a moins le rôle de norme du temps du travail qu’il a dans d’autres pays. La flexibilité en termes d’instabilité de l’emploi y est également moins pertinente, et peu débatue politiquement. Globalement, ces pays présentent une forte dérégulation. Ni les partenaires sociaux, ni l’État n’ont un rôle de régulateur.

O’Reilly (2003) présente donc trois modèles de relations entre partenaires sociaux selon l’acteur principal de la régulation des marchés du travail. Dans le premier modèle (corporatiste), la régulation se fait principalement par les partenaires sociaux eux-mêmes. Dans le deuxième (étatiste), c’est l’État qui est central. Dans le troisième, on constate une situation assez dérégulée ou ni l’État, ni les partenaires sociaux ne régulent le marché du travail – on peut ainsi dire que le marché est l’acteur central de la négociation collective.

Menz (2005) apporte des précisions par rapport aux pays corporatistes dans lesquels les partenaires sociaux sont les acteurs centraux. D’abord, il oppose les pays très corporatistes aux pays moyennement corporatistes. L’Autriche111 est un pays très corporatiste alors que l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas le sont moins.

L’Autriche, typique d’un corporatisme fort, est caractérisée par l’unitarisme et la non-politisation des partenaires sociaux, ainsi que par la centralisation et l’application universelle des accords. Il existe une seule organisation de représentante des travailleurs (Österreichische Gewerkschaftsbund – ÖGB) et une seule organisation représentante des employeurs (Wirtschaftskammer Österreich – WKO). Il n’y a donc pas de divisions idéologiques ou politiques entre les syndicats – même s’il peut exister des oppositions internes. Bien que la négociation collective des salaires ait lieu à un niveau plus décentralisé (région et secteurs), elle est fortement supervisée par les organisations centrales. Ce qui rend de facto le système autrichien très centralisé. Les partenaires sociaux sont également très centralisés dans leur organisation même. Par exemple, les affiliations à ÖGB se font au niveau central. Les finances de ce syndicat sont également gérées au niveau central, même si elles sont ensuite redistribuées au niveau plus local. Les conventions collectives procurent également une couverture universelle. Elles s’appliquent à tous les travailleurs, non-syndiqués compris. Par ailleurs, les entreprises sont automatiquement membres de l’organisation patronale. Enfin, notons que la vie politique a permis une forte indépendance des partenaires sociaux. Le

111 Les pays scandinaves peuvent aussi être considérés comme très corporatistes. Mais, simplement évoqués par Menz (2005), ils sont moins typiques de cette catégorie. Par exemple, la Norvège et la Finlande présentent des traits de l’étatisme. Le corporatisme poussé suédois a quant à lui été quelque peu mis à mal par des attaques néolibérales en faveur d’une décentralisation des négociations collectives.

gouvernement autrichien a longtemps été composé d’une grande coalition comprenant les sociaux-démocrates et les sociaux-démocrates-chrétiens conservateurs. Ainsi, le gouvernement servait de chambre d’enregistrement des conventions collectives négociées indépendamment par les partenaires sociaux.

L’Allemagne est par contre un pays moins corporatiste. Les négociations collectives sont moins centralisées. Elles ont lieu au niveau régional et de la branche et non au niveau national. Les conventions collectives, même si elles sont généralement largement appliquées, ne sont pas formellement obligatoires. Notons également que l’Allemagne est un pays européen dont la politique économique est traditionnellement plus conservatrice. Par exemple, la banque centrale allemande a été un modèle d’indépendance et d’orientation monétariste, une inspiration pour la Banque Centrale Européenne112. Elle faisait d’ailleurs pression en menaçant de remonter ses taux d’intérêt sur les syndicats pour qu’ils modèrent leurs exigences salariales lors des négociations collectives (Dufresne 2011, 43). La Belgique et les Pays-Bas sont aussi moyennement corporatistes – bien que présentant également des traits d’étatisme. Ces pays sont caractérisés par une centralisation des négociations collectives et un mouvement syndical relativement fort typique d’un corporatisme important. Mais, contrairement à la situation autrichienne, le mouvement syndical est idéologiquement clivé entre les organisations socialistes et démocrates-chrétiennes.

Pour conclure cette distinction entre corporatisme fort et corporatisme moyen, revenons aux définitions des types de corporatisme. Le corporatisme fort est caractérisé par la combinaison d’une série de facteurs : l’unitarisme des partenaires sociaux (il existe une seule organisation patronale et une seule organisation syndicale) ; la centralisation des négociations collectives ; une couverture maximale des conventions collectives (et donc leur caractère obligatoire). Quand un pays s’éloigne de ce modèle que ce soit par une décentralisation, une fragmentation des partenaires sociaux ou une moindre application des conventions collectives, il passe progressivement dans la catégorie du corporatisme moyen. Notons qu’il s’agit toujours de corporatisme (affaibli) et non d’étatisme à la française ou de dérégulation à l’anglaise puisque dans les pays à corporatisme moyen (Allemagne, Benelux) les partenaires sociaux sont toujours les acteurs principaux.

Menz (2005) apporte également un autre point dans le débat sur le corporatisme. La plupart des observateurs (par exemple, Thelen in Hall et Soskice 2001, chap. 2) considèrent que le corporatisme s’est affaibli depuis les années 1980. En effet, certaines entreprises quittent les négociations, comme en Allemagne. Parfois, le patronat a poussé à la décentralisation des négociations collectives, comme en Suède. Pour cet auteur, on ne peut conclure à une fin du corporatisme. Au contraire, il note que la pratique des négociations collectives a gagné du terrain et s’est parfois centralisée dans les pays de l’Europe méridionale (Espagne, Italie) et en Irlande où la tradition n’était pas vraiment corporatiste auparavant. Néanmoins, ce corporatisme est d’une autre nature. Il n’est plus vraiment en faveur des travailleurs – qui bénéficiaient d'une négociation collective préférable à la négociation individuelle propre au contrat de travail. Le patronat a repris le dessus. L’objectif du corporatisme

112 Une politique monétaire monétariste se donne pour objectif unique le maintien d’une inflation limitée. Pour cela, les taux d’intérêt sont maintenus à un niveau plutôt élevé. Ce qui – selon les théories keynésiennes, mais pas selon les théories monétaristes – diminue les investissements et ensuite l’emploi. Une politique monétariste est fondamentalement conservatrice puisqu’elle se concentre sur le maintien d’une inflation limitée (ce qui est dans l’intérêt des détenteurs du capital) au détriment du maintien d’un taux de chômage limité (ce qui est dans l’intérêt des travailleurs).

n’est plus de trouver un compromis entre les intérêts des travailleurs et ceux des employeurs, et ainsi conserver la paix sociale. Maintenant, les discussions tournent autour d’objectifs plus « consensuels »113 comme garantir la compétitivité du pays, et ainsi les emplois et les profits.

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 114-117)