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La perspective des variétés du capitalisme

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 117-120)

Quand on évoque les types de relations industrielles, il est nécessaire de discuter des variétés du capitalisme (Hall et Soskice 2001) même si elles ne les concernent ni spécifiquement ni uniquement. Alors que le corporatisme se centre sur les partenaires sociaux et que l’étatisme se centre sur l’État, la perspective des variétés du capitalisme se centre sur l’entreprise. Contrairement aux perspectives présentées ci-dessus, elle ne s’intéresse pas spécifiquement à la distribution du pouvoir entre les acteurs, mais plutôt aux interactions stratégiques. Ce sont donc les relations entre les entreprises et dans l’entreprise qui sont étudiées. Hall et Soskice (2001) en identifient cinq types : les relations professionnelles (c’est-à-dire les négociations collectives portant sur les salaires et les conditions de travail avec les représentants des salariés) ; les relations avec les mondes de la formation et de l’éducation (quelles formations offrir aux travailleurs ? quelle formation de base est nécessaire pour les futurs travailleurs ? comment conserver les travailleurs qualifiés ?) ; les relations avec le monde de la finance, les investisseurs et les actionnaires ; les relations entre firmes clientes et fournisseuses ; et enfin, les relations avec leurs propres salariés. Ces relations sont encadrées par des institutions – définies comme des ensembles de normes que suivent les acteurs pour des raisons normatives, cognitives ou matérielles – et des organisations – définies comme des entités durables, avec des membres formellement reconnus.

Économies de marché libérales vs économies de marché coordonnées

En explorant ces relations, institutions et organisations, les auteurs identifient deux types idéaux de capitalisme : les économies de marché libérales (EML) et les économies de marché coordonnées (EMC). Dans les premières, les entreprises recourent principalement à l’institution du marché dans leurs relations. Ce dernier n’est pas naturel. Il est une institution centrée sur la compétition, et supportée par un système juridique permettant l’élaboration et la stabilité des contrats. Dans les secondes, au contraire, le marché prend moins d’importance. Les institutions centrales sont plutôt les réseaux et les lieux de coordination – comme des associations d’employeurs ou des conseils d’entreprise. Ces institutions servent principalement à échanger des informations, suivre les comportements des autres acteurs et, au besoin, sanctionner les défections. Les lieux de délibération sont également nécessaires pour éviter les problèmes, pointés par la théorie des jeux, survenant quand les acteurs agissent de manière purement rationnelle et individuelle. Les pays relevant des EML sont les pays anglo-saxons : Royaume-Uni, Irlande, États-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie. Alors que les pays relevant des EMC sont principalement ceux d’Europe continentale du Nord-Ouest : Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suède, Danemark, Finlande, Norvège...

113 J’écris le terme consensuel entre guillemets parce qu’un objectif originel des syndicats est de limiter la concurrence entre travailleurs. Or accepter la compétition entre pays revient à accepter la concurrence entre travailleurs de pays différents. Un véritable mouvement syndical européen, voire mondial, devrait justement s’attacher à s’opposer à cette logique. L’apparition de cette « consensualité » se marque également dans le vocabulaire utilisé. En effet, le terme de partenaires sociaux, autrefois décrié par les syndicats, a remplacé celui d’interlocuteurs sociaux (Dufresne 2011).

Parmi ceux-ci, deux pays peuvent être qualifiés de prototypes : les États-Unis pour le modèle EML et l’Allemagne pour le modèle EMC.

Aux États-Unis, le manager a un pouvoir important. Il décide seul d’engager et de licencier du personnel quand c’est nécessaire. Le marché du travail est donc plus fluide. Les qualifications doivent dès lors être plus générales et moins spécifiques à une activité professionnelle. De plus, la formation interne aux entreprises par l’apprentissage est moins valorisée puisque les travailleurs sont moins fixes. Le manager est plus attentif au profit à court terme puisque le prix des actions influence tant sa rémunération par stock-options que les possibilités de financement de l’entreprise (la bourse ou le crédit relativement anonyme). Les collaborations entre firmes se réduisent à des contrats formels. Les législations antitrust poussées découragent les groupements d’employeurs. Enfin comme le marché du travail est plus fluide et les organisations d’employeurs moins importantes, le transfert de technologie se réalise par la mobilité des travailleurs. Le marché joue donc un rôle central aux États-Unis que ce soit pour gérer les relations entre l’employeur et les travailleurs (marché du travail fluide), les relations entre entreprises (contrats formels), la formation, le financement des entreprises ou le transfert de technologie.

Au contraire, en Allemagne, les réseaux et les lieux de concertation sont très importants. Les relations entre entreprises sont plus stables et formalisées à travers des associations d’employeurs, de l’actionnariat croisé et des liens privilégiés entre clients et fournisseurs. La gouvernance des entreprises est plus collective. Les managers sont fortement contrôlés par les conseils d’entreprise – qui comprennent tant les actionnaires que des représentants des salariés – et aussi par les autres managers et les clients et fournisseurs. La nécessité du consensus dans les décisions encourage la formation de réseaux et le partage d’informations entre managers. De plus, la faible utilisation des stock-options comme rémunération des managers fait qu’ils s’intéressent plus à leur réputation et à leur carrière à long terme qu’à l’augmentation du profit à court terme. Le financement des entreprises repose moins sur un système de crédit anonyme attentif au profit, mais plutôt sur des relations entre entreprises et banques basé sur la réputation. Concernant la formation des salariés, les activités des entreprises allemandes nécessitent surtout des qualifications spécifiques à leur production – c’est-à-dire difficilement transférable à une autre activité professionnelle. Il est donc nécessaire de prévoir, par un système d’apprentissage, des formations professionnelles poussées. Les partenaires sociaux supervisent l’organisation de ce système d’apprentissage ce qui limite les possibilités de free-riding (un employeur pourrait se contenter de débaucher des travailleurs formés sans participer à l’apprentissage). La paix sociale pour conserver la loyauté des salariés est donc particulièrement nécessaire. Elle s’obtient par une importante tradition de négociation collective. La fixation des salaires par des conventions collectives limite le risque de débauchage de la main d’œuvre et les conseils d’entreprises offrent des garanties aux salariés sur leurs conditions de travail. Enfin, les réseaux d’entreprises et les organisations d’employeurs qui financent la recherche permettent la diffusion de nouvelles technologies dans une situation où la main d’œuvre est peu mobile.

Si les EML et les EMC sont les deux principales variétés du capitalisme sur lesquelles Hall et Soskice s’attardent, ils en évoquent deux autres : la variété méditerranéenne du capitalisme et la variante asiatique des EMC.

La première comprend des pays comme la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce et la Turquie. Ces pays sont caractérisés par un développement économique relativement tardif et une intervention étatique importante. Le secteur agricole occupait une place importante dans l’économie jusque récemment. L’étatisme implique que, si ces pays recourent généralement au marché pour la gestion de l’emploi, les relations avec la finance sont moins marchandes.

Dans les EMC européennes, la coordination se fait par industrie. Ainsi, on y retrouve des négociations collectives au niveau de la branche et des organisations regroupant des employeurs du même secteur. Dans les EMC asiatiques (le Japon et la Corée du Sud), la coordination a lieu au sein d’un groupe composé d’entreprises dont les activités diffèrent, mais qui sont reliées par l’actionnariat. La concurrence entre entreprises d’un même secteur est donc dure. Ces entreprises ont ainsi développé l’emploi à vie pour s’assurer la loyauté de leurs salariés.

Les effets des variétés du capitalisme : avantages comparatifs et inégalités

Hall et Soskice (2001) s’interrogent sur la division internationale du travail. Cette division du travail est classiquement expliquée par la théorie de l’avantage comparatif par les économistes orthodoxes depuis Ricardo. Cette théorie stipule que les pays se spécialisent dans la production de biens pour lesquels leur productivité (du travail ou du capital) est la plus importante comparativement à celle des autres pays. Cette spécialisation mène à deux augmentations : la production totale et les échanges. Par exemple, s’il est plus simple de produire du vin au Portugal et des machines-outils en Angleterre, le Portugal se spécialisera dans la production de vin – et importera des outils – et l’Angleterre se spécialisera dans la production de machines-outils – et importera du vin. La production globale de vin et de machines-machines-outils augmentera, de même que les échanges114. Par la suite, les économistes ont élaboré des théories plus complexes de l’avantage comparatif en distinguant les productivités du capital et du travail, mais l’idée générale reste la même.

Hall et Soskice (2001) appliquent cette théorie aux variétés du capitalisme. Pour eux, chaque variété du capitalisme présente un avantage comparatif institutionnel. En effet, les institutions propres à chaque économie favorisent certaines innovations et certaines productions. Ainsi, les EML favorisent, par leur flexibilité, les innovations radicales. C’est-à-dire la découverte de produits vraiment nouveaux, en rupture avec les anciennes productions. Par contre, les EMC européennes favorisent, par la stabilité, les innovations graduelles. C’est-à-dire l’amélioration progressive de certains produits. Les EMC asiatiques présentent quant à elles l’avantage de faciliter les transferts de technologies entre des secteurs différents puisque ces derniers sont reliés au sein des groupes d’entreprises. Concernant les produits eux-mêmes, les EML sont plus appropriées pour fabriquer des produits dont la demande est fortement liée au prix (élasticité prix-demande élevée) puisque la flexibilité de ces économies permet d’adapter la production plus facilement. Par contre, les EMC sont plus appropriées pour fabriquer les produits dont la qualité doit être très bonne puisque les

114 Ces auteurs évoquent d’autres explications de la division internationale du travail : la concentration d'externalités positives (les entreprises d’un même type se regroupent, car elles bénéficient de la proximité de leurs concurrentes) et les économies d’échelle (produire à grande échelle et donc en concentrant une certaine production dans un certain lieu est plus productif). Néanmoins, ces deux théories sont insatisfaisantes pour les auteurs, car si elles expliquent l’existence d’une division du travail, elles n’expliquent pas pourquoi la division du travail a pris la forme actuelle. C’est-à-dire, pourquoi tel type d’entreprise se trouve à tel endroit et non à tel autre.

relations plus proches et plus stables avec les travailleurs et les autres entreprises permettent un meilleur contrôle de la production.

Par rapport aux relations entre les inégalités sociales et les variétés du capitalisme, ces auteurs notent qu’il existe une complémentarité entre l’emploi stable et l’absence de demande de profit immédiat du capital. En effet, quand les relations avec le monde financier sont basées sur le marché, les entreprises doivent ajuster plus rapidement leur main d’œuvre selon la rentabilité et au besoin congédier leurs salariés. Néanmoins, ils constatent empiriquement que, paradoxalement, le chômage est plus important dans les EMC que dans les EML. Cependant, ces dernières sont plus inégalitaires (selon le coefficient de Gini calculé sur les ménages)115. Par ailleurs, ces auteurs notent également que le bon fonctionnement des EMC nécessite un État social qui garantit une certaine sécurité d’emploi (allocations de chômage par exemple) pour que les salariés s’investissent à long terme dans leur emploi (formation, etc.). Au contraire, les EML ne doivent pas obligatoirement être soutenues par un État social puissant.

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 117-120)