• Aucun résultat trouvé

Les principes des méthodes QCA

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 162-165)

Les techniques d’analyse de type QCA s’inscrivent, comme les modèles de régression, dans une approche causale. Cependant, ces techniques diffèrent clairement des modèles probabilistes traditionnels sur la conception de la causalité (combinatoire et « existentialiste », tels que définis dans le chapitre IX), le mode d’inférence et le type de variable utilisé.

Comme nous l'avons vu au chapitre IX, cette causalité combinatoire implique que les conditions n’agissent pas indépendamment les unes des autres. Au contraire, c'est la combinaison de conditions qui conduit au résultat. Une condition, isolément, n'a pas d’effet – et elle peut même avoir des effets opposés en fonction des autres conditions auxquelles elle est associée. De plus, il n'existe pas une seule combinaison qui mène à l'effet étudié. Il peut exister plusieurs chemins (combinaisons de conditions) menant au même résultat. Notez que les adeptes des techniques QCA préfèrent parler de conditions et de résultats plutôt que de variables explicatives et dépendantes ou de causes et d’effets. Ce terme de condition permet d’évoquer cette logique combinatoire : les conditions sont nécessaires, mais non suffisantes (elles doivent toutes être présentes pour que l’effet apparaisse), alors que les combinaisons de conditions sont chacune suffisantes (il suffit d’avoir une combinaison de conditions pour que l’effet apparaisse).

149 Dans ce chapitre, je me réfère principalement à Rihoux et Ragin (2009), et également à Rihoux et De Meur (2003) pour la méthode QCA dichotomique.

Ces deux caractéristiques – la combinaison des conditions et la pluralité des chemins possibles menant à un même résultat – me semblent particulièrement adaptées à l’explication des inégalités salariales par les relations professionnelles. En effet, comme nous l’avons vu au chapitre IX, les typologies des relations professionnelles sont généralement construites, implicitement ou explicitement, dans une perspective combinatoire. Par exemple, le modèle anglo-saxon combine une intervention étatique limitée, des syndicats peu puissants, une négociation collective très décentralisée, peu de divergences politiques entre syndicats. L’idée d’une pluralité de chemins se justifie également : on ne voit pas pourquoi a priori il n’existerait qu’une seule cause pour obtenir un effet. Par exemple, selon les pays, le mouvement ouvrier a historiquement privilégié le développement de la citoyenneté sociale ou celui de la citoyenneté politique pour arriver à ses fins (Trampusch 2007). Un autre exemple provient de Menz (2005) qui, comme nous l’avons vu, constate que, par rapport au dumping social, tant le corporatisme fort (le cas de l’Autriche) qu’un étatisme fort (le cas de la France) permettent d’imposer le respect du salaire minimum national aux entreprises étrangères travaillant sur le territoire national.

Pour déterminer les combinaisons de conditions conduisant au résultat, les techniques QCA recourent à la logique. Il s'agit de réduire, par des opérations d’algèbre booléenne, les combinaisons de conditions qui mènent à des résultats similaires. Puisqu'on utilise la logique et non les probabilités on raisonne en termes d'existence de certaines causalités et non en termes de

fréquences, notions que nous avons vu aux chapitres VIII et IX. Ainsi, contrairement aux analyses

statistiques, la distinction population / échantillon n'est pas nécessaire. Les cas étudiés ne sont pas supposés provenir d'un tirage aléatoire. Ils sont simplement des exemples qui montrent l'existence – ou la non-existence – de certaines combinaisons de conditions menant à tel ou tel résultat. Les biais de représentativité disparaissent ainsi150 : avoir un seul ou de nombreux cas d’une combinaison ne change strictement rien aux résultats. Tant qu’une combinaison existe, elle doit être prise en compte. Par contre, si l'on se trompe dans l'observation des cas – et qu’on fait apparaître ou disparaître une combinaison – les résultats seront modifiés. C'est pourquoi une bonne connaissance des cas et une prudence dans l’identification des caractéristiques sont plus que nécessaires. Cette méthode est donc particulièrement adaptée aux comparaisons internationales – où l'on compare un ensemble toujours limité de pays, qui ne constitue pas à proprement parler un échantillon provenant d’un tirage aléatoire au sein d’une population de référence. Cette méthode permet donc de contourner les débats sur la représentation statistique des pays en comparaison internationale, que nous avons vus au chapitre VIII. Ainsi, les méthodes QCA sont plus adaptées aux petits échantillons (entre 10 et 50 cas), pour lesquels il est possible de « connaître » individuellement chaque cas, mais suffisamment grands pour qu’il soit pertinent d’aller au-delà d’une description de chaque cas.

La QCA a également été dans un premier temps développée pour traiter des variables dichotomiques : l’effet existe ou n’existe pas, telle condition est présente ou absente. Ce qui est plutôt bien en phase avec la conception existentialiste de la causalité. Par la suite, ces principes ont été généralisés aux variables nominales à plus de deux catégories et aux variables quantitatives. Néanmoins, l'aspect dichotomique reste présent dans sa conception des variables quantitatives. Plutôt que d'une variable d'intervalle ou de rapport, il s'agit plutôt d'une variable dichotomique qui tolère des valeurs intermédiaires. En effet, les valeurs doivent se situer entre zéro et un. Le zéro

150 Pour être exact, il faut concéder que ce constat n’est pas tout à fait vrai pour la variante des ensembles flous (fuzzy-sets) de la QCA, comme nous le verrons.

signifie l'absence du phénomène et le un sa présence. Les valeurs intermédiaires permettent de spécifier une ambiguïté par rapport à l'absence ou la présence. Une valeur de 0,5 indiquant une ambiguïté maximale. Cette analyse est donc bien adaptée aux variables « binaires » qui opposent deux pôles, mais moins bien aux variables quantitatives plus classiques prenant des valeurs de zéro à l’infini – ou de l’infini négatif à l’infini positif.

Avant de passer à l’explication de la technique même de la QCA dichotomique, je vais simplement revenir sur une question de vocabulaire. Pour parler de cette technique (et plus spécifiquement la technique dichotomique originelle), les auteurs francophones (Rihoux et De Meur 2003) utilisent le terme d’analyse quali-quantitative comparée. Or, personnellement, je trouve le terme quantificatif très mal choisi. En effet, dans cette technique, le chercheur qualifie les cas étudiés, mais ne quantifie rien (au sens de compter, dénombrer). Le seul aspect « quantitatif » de cette méthode, c’est le formalisme logique ou mathématique. Du point de vue des postulats épistémologiques, cette analyse est bien plus proche d’une analyse qualitative classique, mais avec le formalisme mathématique en plus. Une meilleure traduction aurait été littéralement analyse qualitative comparée ou, plus librement, analyse qualitative comparée formalisée. C’est pourquoi je préfère et j’utilise l’acronyme anglophone QCA au lieu du francophone AQQC.

La technique QCA dichotomique

La technique originelle QCA se base sur des variables dichotomiques indiquant la présence ou l’absence d’une condition ou de l’effet. Par exemple, un pays est égalitaire ou inégalitaire, ses négociations collectives sont centralisées ou décentralisées, ses syndicats sont puissants ou faibles. Selon cette logique dichotomique, en considérant n conditions il peut y avoir n2 « cas » différents – c’est-à-dire des possibilités de combinaisons de conditions différentes. Certains de ces « cas » sont incarnés par un ou plusieurs pays, alors que d’autres combinaisons n’ont pas (encore) été observées. À partir des observations, chacune de ces combinaisons peut être classée parmi quatre catégories. Certaines conduisent à l’effet (par exemple, l’égalité salariale). D’autres conduisent à l’absence d’effet (au contraire, l’inégalité salariale). Ces deux premières combinaisons sont appelées cas empiriques, car ils sont constatés sur une ou des observations. D’autres encore ne sont incarnés par aucune observation. On ne peut donc savoir s’ils mènent à l’effet ou à son absence. Ces combinaisons sont appelées « cas logiques » en référence au caractère théorique ou spéculatif de l’effet qu’elles peuvent (ou non) produire. Enfin, certaines combinaisons mènent à la fois à l’effet (pour certains pays) et à l’absence d’effet (pour d’autres pays de cette combinaison), elles sont appelées contradictions. Par exemple, si parmi les situations combinant une négociation collective centralisée, un salaire minimum et des syndicats puissants, on observe tant des pays égalitaires qu’inégalitaires, on a affaire à une contradiction. La présence de contradiction empêche l’utilisation de la méthode QCA. Généralement, elle indique un problème de mesure (ou de dichotomisation) du résultat ou des conditions, un problème dans la constitution de l’échantillon des cas (certaines observations trop différentes des autres ne sont en réalité pas comparables), ou l’omission de certaines conditions qui jouent un rôle clef dans la production de l’effet. Ces contradictions doivent donc être « résolues » en affinant/modifiant la mesure, excluant certaines observations ou ajoutant d’autres conditions. Cette opération doit être réalisée avec le plus grand soin, à l’aide de connaissances approfondies de ces cas.

La liste de l’ensemble des configurations sans contradiction est généralement longue et difficilement interprétable. C’est pourquoi on cherche à la réduire à l’aide de l’opération logique suivante, qui est le cœur de la méthode QCA : on suppose (avec raisons) que quand deux combinaisons ne diffèrant que par une seule condition partagent le même effet, cette condition n’a pas d’importance. Par exemple, si les pays avec des syndicats puissants et un salaire minimum sont égalitaires et que les pays avec des syndicats puissants, mais sans salaire minimum sont également égalitaires, on peut considérer que l’existence du salaire minimum n’a pas d’effet. Dès lors, on peut simplifier ce résultat en affirmant que les pays avec des syndicats puissants sont égalitaires. Quand elle est utilisée sur les cas empiriques, cette simplification permet d’obtenir ce qui est appelé une

solution complète, c’est-à-dire un ensemble de différentes combinaisons de conditions menant

chacune à l’effet et d’autres combinaisons de conditions menant chacune à l’absence d’effet. Il est possible de réduire cette solution complète en introduisant des cas logiques. Ainsi, on simplifie sur base d’hypothèses sur l’effet de telle et telle combinaison que l’on n’a pas pu observer. Ces suppositions permettent d’obtenir ce qu’on appelle des solutions parcimonieuses. Notons qu'il peut exister plusieurs ensembles de solutions parcimonieuses selon les hypothèses sur les cas logiques.

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 162-165)