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La méthode QCA avec des ensembles flous : affiner ou embrumer les résultats ?

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 175-182)

Les techniques QCA ont été développées dans un premier temps pour traiter des variables dichotomiques. Par la suite, ses principes ont été généralisés aux variables nominales à plus de deux catégories et aux variables quantitatives. Néanmoins, l'aspect dichotomique reste présent dans sa conception des variables quantitatives. Plutôt que d'une véritable variable d'intervalles ou de rapport prenant des valeurs de 0 à ∞, ou de -∞ à +∞, il s'agit d'une variable dichotomique qui tolère des valeurs intermédiaires. En effet, les valeurs doivent se situer entre 0 et 1. Le 0 indique l'absence du phénomène et le 1 sa présence. Les valeurs intermédiaires permettent de spécifier une ambiguïté par

158 La solution complète est la même que la solution complète précédente, sauf qu’elle ne reprend pas la combinaison du cas néerlandais :

couv*synd*SALM + couv*synd*CENTR

C’est-à-dire que les pays inégalitaires présentent toujours de faibles taux de couverture et de syndicalisation associés soit à un salaire minimum (le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Grèce et le Portugal), soit à une négociation collective centralisée (l’Allemagne, l’Irlande, la Grèce et le Portugal).

159 Selon une logique de seuil qui veut que quand la proportion de salariés syndiqués ou couverts par une convention collective atteint une certaine masse critique (respectivement la moitié et les deux tiers), ces différences de degré deviennent des différences de nature : on passe d’un syndicalisme faible à un syndicalisme puissant ou de conventions collectives limitées à certains secteurs à une pratique générale de la convention collective.

rapport à l'absence ou la présence. Une valeur de 0,5 indiquant une ambiguïté totale. Rihoux et Ragin (2009) insistent d'ailleurs sur le fait qu'il ne faut pas mécaniquement transposer les valeurs d'une variable quantitative mesurée à la variable employée dans la QCA. Il est préférable de définir en raison de considérations théoriques les trois seuils : celui en dessous duquel on considère l’absence du phénomène ; celui qui indique une ambiguïté maximale ; et celui au-dessus duquel on constate la présence certaine du phénomène.

Comme nous l’avons vu en début de chapitre, la méthode QCA des ensembles flous n’est pas véritablement pensée pour des variables qualitatives classiques, mais plutôt pour des observations appartenant partiellement (c’est-à-dire de manière floue) à des classes dichotomiques. Cette analyse ne se démarque donc pas radicalement de la QCA dichotomique. Elle permet plutôt de l’affiner en prenant en compte l’appartenance partielle – liée à des incertitudes ou ambiguïtés fondamentales – de certaines observations à certaines combinaisons.

Comme recommandé par Rihoux et Ragin (2009), chaque variable quantitative originelle a été transformée (linéairement) en variables « quantitativo-dichotomiques » à partir de trois points d’ancrage : la non-appartenance complète (le 0), l’incertitude maximale (le 0,5) et l’appartenance complète (le 1). Le tableau XII.4 présente chacun de ces points d’ancrage pour les variables étudiées. Globalement, je me suis très fortement inspiré de la dichotomisation que j'ai déjà réalisée. Les points d’ancrage pour l’inégalité salariale ont été définis sur base du graphique XII.1 : 0,39 est le seuil séparant les pays égalitaires des pays inégalitaires ; 0,35 permet de considérer comme complètement égalitaires les pays qui ont été considérés jusqu’à présent comme (très) faiblement inégalitaires ; et c’est autour de 0,45 que se situent les pays les plus inégalitaires.

Tableau XII.4: Points d'ancrage pour la méthode QCA avec les ensembles flous

Variable non-appartenance complète Incertitude maximale appartenance complète Inégalité salariale 0.35 0.39 0.45 Centralisation 1 2.3 3 Taux de couverture 50 % 70 % 90 % Taux de syndicalisation 30 % 50 % 70 %

Salaire minimum dichotomisée

Le choix des points d’ancrage pour le degré de centralisation des négociations collectives permet de considérer les négociations au niveau de l’entreprise (le 1) comme totalement décentralisée et les négociations au niveau du secteur ou de l’interprofessionnel (le 3) comme totalement centralisées. Nous avons choisi la valeur originale de 2,3160 comme point d’incertitude maximale pour que les pays dans lesquels la négociation collective se situe tant dans le secteur que dans l’entreprise soient proches de l’incertitude maximale, mais – conformément à ma décision précédente – appartiennent quand même aux pays décentralisés.

Les points d’ancrage pour le taux de couverture permettent de considérer que quand moins de la moitié des salariés sont couverts par des conventions collectives, la couverture globale est « complètement » faible. Au contraire quand la quasi-totalité des salariés sont couverts (plus de

160 Étant donné que je travaille avec les moyennes des indicateurs de l'ensemble de la période, quelques pays (dont la situation a changé en cours de période) présentent des mesures entre 2 et 3.

90 %), on considère que la couverture est « complètement » forte. Le chiffre de 70 % permet une symétrie entre ces deux points161.

Les points d’ancrage pour le taux de syndicalisation permettent de conserver le seuil de 50 % et d’introduire un principe de symétrie. De plus, les points d’appartenance et de non-appartenance complète sont empiriquement proches des valeurs maximales et minimales. Peu de pays atteignent un taux de syndicalisation de 70 % et seuls quelques pays (occidentaux) présentent un taux de syndicalisation inférieur à 30 %.

Enfin, j’ai choisi de garder le caractère strictement dichotomique du salaire minimum. En effet, nous considérons que dans chaque pays, il existe ou n’existe pas de salaire minimum national, mais que les situations intermédiaires n’ont, conceptuellement, pas vraiment de sens. Les pays où il n’existe qu’un salaire minimum marginal (pour certains secteurs ou régions) sont donc à ranger dans la catégorie des pays sans salaire minimum.

Le résultat de ces transformations est présenté dans le tableau XII.5. On constate qu’il permet d’affiner la simple dichotomie effectuée précédemment. Cette dernière étant parfois un peu brutale ne permettait pas de prendre en compte l’ensemble des nuances.

Tableau XII.5: Caractéristiques des relations professionnelles transformées pour la QCA avec les ensembles flous Pays Inégalité salariale Centralisation des négociations collectives Taux de couverture Taux de syndicalisation Salaire minimum Autriche 0.24 0.59 1 0.03 0 Belgique 0 1 1 0.58 1 Chypre 0.20 0.38 0.05 0.7 0 Allemagne 0.76 0.69 0.33 0 0 Danemark 0 0.49 0.75 1 0 Finlande 0 1 1 1 0 France 0.17 0.38 1 0 1 Grèce 0.82 1 0.38 0 1 Irlande 0.81 1 0 0.15 1 Italie 0.02 0.80 0.75 0.1 0 Luxembourg 0.58 0.38 0.2 0.25 1 Malte 0 0 0.125 0.6 1 Norvège 0 1 0.6 0.6 0 Portugal 1 0.69 0.125 0 1 Suède 0 0.69 1 1 0 Royaume-Uni 0.93 0 0 0 1

Combinaison et causalité avec les ensembles flous

La question de la mesure des variables « floues » ayant été réglée, il reste deux questions techniques qui diffèrent de la QCA dichotomique à expliquer : comment combine-t-on ces variables floues et comment évalue-t-on l’influence causale de chaque combinaison sur l’effet ?

Comme dans la QCA dichomotique, c’est à partir de l’opérateur logique « ET » que les combinaisons se construisent. Par exemple, la combinaison syndicats puissants, large couverture par des conventions collectives et salaire minimum existant reprend les pays qui présentent à la fois des syndicats puissants « ET » une large couverture par des conventions collectives « ET » un salaire

161 Même s’il parait différent des 66 % choisis pour l’analyse dichotomique, concrètement, étant donné qu’aucun pays ne se situe entre 66 % et 70 %, on aurait très bien pu choisir 70 % pour l’analyse dichotomique, sans que cela modifie les résultats.

minimum. Dans le cas des ensembles flous, le « ET » logique, se traduit mathématiquement par la fonction « minimum ». C’est-à-dire que, pour une combinaison spécifiée, on attribue à chaque pays la valeur minimale qu’il présente parmi les valeurs de chaque variable appartenant à la combinaison.

À titre d’exemple, le tableau XII.6 présente les combinaisons résultant de la prise en compte de la couverture par conventions collectives et de la syndicalisation. Nous nous sommes contentés de ces deux variables par souci de lisibilité (les quatre variables conduisent à 24, c’est-à-dire 16 combinaisons). Les deux premières colonnes reprennent simplement les informations présentées dans le tableau XII.5. Les deux suivantes reprennent les caractéristiques opposées, c’est-à-dire l’appartenance à une faible couverture et à une faible syndicalisation. Ces informations sont redondantes, mais elles sont techniquement nécessaires pour produire les différentes combinaisons. Enfin, les quatre dernières colonnes présentent l’appartenance de chaque pays à chaque combinaison : une couverture étendue et une syndicalisation importante ; une couverture étendue et une syndicalisation limitée ; une couverture restreinte et une syndicalisation importante ; et une couverture restreinte et une syndicalisation limitée. On peut voir, par exemple, que le Danemark présente une forte appartenance (0,75) à la combinaison « large couverture par des conventions collectives » ET « syndicalisation importante ». Chypre, au contraire, présente une faible valeur (0,05) d’appartenance à cette combinaison en raison de sa faiblesse de l’étendue de la couverture par des conventions collectives.

Tableau XII.6: Exemple de degré d'appartenance de chaque pays aux différentes combinaisons

Pays Taux de Couverture (A) Taux de Syndicalisation

(B) -A -B A*B A*-B -A*B -A*-B

Autriche 1 0.025 0 0.975 0.025 0.975 0 0 Belgique 1 0.575 0 0.425 0.575 0.425 0 0 Chypre 0.05 0.7 0.95 0.3 0.05 0.05 0.7 0.3 Allemagne 0.325 0 0.675 1 0 0.325 0 0.675 Danemark 0.75 1 0.25 0 0.75 0 0.25 0 Finlande 1 1 0 0 1 0 0 0 France 1 0 0 1 0 1 0 0 Grèce 0.375 0 0.625 1 0 0.375 0 0.625 Irlande 0 0.15 1 0.85 0 0 0.15 0.85 Italie 0.75 0.1 0.25 0.9 0.1 0.75 0.1 0.25 Luxembourg 0.2 0.25 0.8 0.75 0.2 0.2 0.25 0.75 Malte 0.125 0.6 0.875 0.4 0.125 0.125 0.6 0.4 Norvège 0.6 0.6 0.4 0.4 0.6 0.4 0.4 0.4 Portugal 0.125 0 0.875 1 0 0.125 0 0.875 Suède 1 1 0 0 1 0 0 0 Royaume-Uni 0 0 1 1 0 0 0 1

Ce mode de calcul et de définition de l’appartenance aux combinaisons présente la propriété intéressante qui veut que chaque pays ne puisse appartenir à plus de 0,5 qu’à une seule combinaison, qui est indiquée en gras dans le tableau XII.6162. Ce qui permet de retrouver l’idée que chaque pays incarne une combinaison spécifique. Ceci dit, on reste clairement dans une logique d’ensembles flous puisque chaque pays appartient un peu à d’autres combinaisons.

162 Dans le cas rare, et techniquement problématique, où un pays a un score d’exactement 0,5 pour au moins une variable, alors il appartient à plus de 0,5 à autant de combinaisons que le double du nombre de variables où il présente le score de l’incertitude maximale.

Pour déterminer l’effet de chaque combinaison sur l'inégalité salariale, un graphique situant chaque pays par rapport à son appartenance à la combinaison et à la variable inégalité peut être tracé. C’est ce que j'ai fait dans le graphique XII.2163 en croisant le degré d’appartenance à la combinaison « négociation collective centralisée » ET « couverture restreinte par des conventions collectives » ET « syndicalisation limitée » ET « salaire minimum ». Étant donné que tous les pays se situent au-dessus de la diagonale allant d’en bas à gauche à en haut à droite, on peut en conclure que cette combinaison explique logiquement – c’est-à-dire est une condition suffisante pour – l’inégalité salariale, puisque pour (presque) tous les pays, le degré d’appartenance à cette combinaison est inférieur à l’inégalité salariale. Inversement, si tous les pays se situent en dessous de l’autre diagonale (allant d’en haut à gauche à en bas à droite), on peut conclure que cette combinaison est une condition suffisante à l’égalité salariale. Ces règles d'interprétations sont simplement logiquement déduites. C'est d'ailleurs celles-ci que j'ai utilisées pour interpréter la relation entre taux de syndicalisation et taux de couverture par conventions collectives dans le graphique XI.10.

Mais il est empiriquement difficile de respecter la règle d'interprétation restrictive selon laquelle, il est nécessaire que tous les pays doivent se situer strictement du bon côté de la diagonale. En effet, même dans notre exemple, le fait que l’Irlande se situe juste de l’autre côté de la ligne ne pose pas

163 La tâche illisible en bas à gauche provient du fait que nombreux pays très égalitaires (la Belgique et les pays scandinaves par exemple) n'appartiennent nullement à cette combinaison.

Graphique XII.2: Exemple de situation des pays selon le degré d'appartenance à une combinaison et le degré d'appartenance à l'inégalité salariale

0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 0. 0 0. 2 0. 4 0. 6 0. 8 1. 0

Degré d'appartenance à la combinaison CENTR*couv*synd*SALM

D eg d 'a pp ar te na nc e à l'in ég al ité s al ar ia le Autriche Belgique Chypre Allemagne DanemarkFinlande France Grèce Irlande Italie Luxembourg Malte Norvège Portugal Suède Royaume-Uni

beaucoup de problèmes d’interprétation. C’est pourquoi Rihoux et Ragin (2009, 107-109) ont développé une mesure de ce qu’on peut appeler la cohérence (consistency). Pour l’explication de la présence du phénomène, elle se définit ainsi (dans le cas où l'on veut expliquer l’absence du phénomène, il suffit de remplacer Xi par 1 – Xi dans la formule) :

consistency( XiYi)=

min( Xi ,Yi)

Xi

Xi étant le degré d’appartenance à la combinaison X de l’observation i et Yi étant le degré

d’appartenance à l’effet étudié de l’observation i. Cet indicateur se situe toujours entre 0 et 1. Plus il se rapproche de 1, plus on peut considérer que la combinaison explique bien la présence du phénomène parce que les situations du mauvais côté de la diagonale se font rares. Étant donné que c’est l’ampleur des écarts à la diagonale qui est mesurée, cet indicateur est plus influencé par les écarts importants (même s’ils sont rares) que par les écarts réduits (même s’ils sont plus nombreux). De manière générale, Rihoux et Ragin (2009, 121) considèrent qu’une valeur de cohérence inférieure à 0,75 montre clairement que cette combinaison ne peut pas expliquer la présence du phénomène, mais il conseille également l’utilisation de seuils plus exigeants, comme 0,80 ou 0,85. Une fois que ce seuil est déterminé, il est possible de simplifier – de manière identique à la QCA binaire – les explications du phénomène, puisque nous avons déterminé quelles sont les combinaisons qui mènent au phénomène. De la même manière, des cas logiques peuvent également être introduits pour obtenir une solution parcimonieuse plutôt qu’une solution complète. Dans le cas d’une QCA avec ensembles flous, on aurait pu considérer que ces cas logiques n’existent pas puisque chaque combinaison est toujours représentée, au moins partiellement, par les différentes observations. On considère néanmoins que l’on a des cas logiques quand il n’y a pas d’observation dont le score sur la combinaison dépasse 0,5 – dans le cas où l'on travaille avec des échantillons de grande taille, on peut considérer qu’il faut plus d’une observation avec un score de plus de 0,5 pour avoir affaire à un cas empirique et non logique. En effet, dans cette situation (la partie droite du graphique XII.2 étant vide), on ne peut utiliser les principes de condition suffisante et la valeur de la cohérence n’a pas vraiment de sens. Ces combinaisons sont donc considérées comme des cas logiques.

Des résultats assez similaires

Le tableau XII.7 présente donc les différents cas empiriques et avec pour chacun de ceux-ci, les indicateurs de cohérence, tant pour l’explication de l’inégalité que pour l’explication de l’égalité.

Tableau XII.7: Mesures de cohérence pour chaque combinaison empirique Négociation collective centralisée Taux de couverture Taux de syndicalisation Salaire minimum Cohérence pour l'inégalité Cohérence pour l'égalité Pays

0 0 0 1 0.783 0.383 Luxembourg,Royaume-Uni 0 0 1 0 0.234 1 Chypre 0 0 1 1 0.294 1 Malte 0 1 0 1 0.468 0.883 France 0 1 1 0 0.098 1 Danemark 1 0 0 0 0.554 0.733 Allemagne 1 0 0 1 0.986 0.293 Grèce,Irlande,Portugal 1 1 0 0 0.302 0.961 Autriche,Italie 1 1 1 0 0.033 1 Finlande,Norvège,Suède 1 1 1 1 0.258 1 Belgique

On peut aussi observer dans le tableau XII.7 que, de manière générale, les explications pour l’égalité semblent plus robustes que les explications pour l’inégalité. En effet, les mesures de cohérence atteignent souvent 1 dans le premier cas. Plutôt que de mécanismes sociaux plus nets conduisant à l’égalité, il est possible que ce résultat provienne de la transformation des variables. Les opérations de simplifications ont été réalisées en utilisant le seuil d’inclusion recommandé de 0,75. Il en ressort que pour expliquer l’inégalité la solution (tant complète que parcimonieuse, puisque nous avons affaire à une situation où les cas logiques ne sont pas nécessaires) est la suivante :

couv*synd*SALM

En effet, les cas inégalitaires (incarnés par le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Grèce et le Portugal) allient une couverture par des conventions collectives limitée, une faible syndicalisation et un salaire minimum. A priori, ce modèle pose quand même question, puisqu’on ne voit pas vraiment pourquoi le salaire minimum (combiné avec de faibles taux de syndicalisation et de couverture par des conventions collectives) conduirait à augmenter les inégalités.

Les explications de l’égalité, quant à elles, sont identiques à celles mises en évidence par la QCA dichotomique, puisque la solution parcimonieuse est la suivante :

COUV + SYND

C’est-à-dire que les cas égalitaires présentent soit une large couverture par des conventions collectives (les pays scandinaves, la Belgique, la France, l’Autriche et l’Italie), soit un taux de syndicalisation élevé (les pays scandinaves, la Belgique, Chypre et Malte).

En réalité, la seule différence entre les résultats de la QCA binaire et ceux de la QCA avec des ensembles flous concerne le cas « allemand », combinant négociation collective centralisée, faible couverture, syndicalisation limitée et pas de salaire minimum. Même si en Allemagne les inégalités salariales sont incontestablement prononcées, l’appartenance très partielle à cette combinaison des pays égalitaires que sont Chypre, l’Italie et la Norvège conduit à ce résultat.

Pour conclure ces analyses avec les ensembles flous, je voudrais évoquer deux points. Premièrement, les résultats précédents de la QCA binaire me semblent relativement robustes puisqu’ils sont très similaires à ceux de la QCA avec ensembles flous. Deuxièmement, je suis quand même relativement sceptique par rapport à l’intérêt de la QCA avec des ensembles flous, et ce pour

trois raisons. D’abord, cette méthode ne révolutionne pas vraiment la QCA binaire, et, contrairement à ce qu’on entend souvent, la QCA avec ensembles flous n’est pas adaptée aux variables quantitatives classiques. Ensuite, avec la mesure de la cohérence, on se base sur la fréquence des cas (et non à leur existence comme dans la QCA binaire), mais sans toutefois introduire la question de l’échantillonnage et l’inférence statistique. Enfin, bien qu’on puisse considérer que la méthode raffine la QCA binaire, on peut aussi considérer qu’elle ne fait que la complexifier inutilement. En effet, dans la dichotomisation, la QCA binaire impose des choix clairs, radicaux et parfois difficiles. Cependant, cette opération a le mérite d’imposer une certaine réflexion (parfois qualitative) sur tous les cas. Or, les ensembles flous permettent d’esquiver cette réflexion, puisque la valeur de chaque condition peut être déterminée de manière plus ou moins mécanique. On peut se demander dans quelle mesure les résultats peuvent être des artefacts dépendants de la manière dont les appartenances aux groupes sont déterminées. Ainsi, on peut s’interroger le fondement conceptuel sur lequel repose la logique qui fait les pays qui n’appartiennent pas clairement à un cas influencent quand même l’effet de ce cette combinaison.

Tout cela me conduit à me demander quel est l’intérêt du concept d’ensemble flou en sciences sociales. D’un point de vue ontologique, la réalité sociale est-elle vraiment composée d’objets qui appartiennent plus ou moins à différentes classes ? Cette question d'ordre philosophique me semble impossible à trancher. D'un point de vue moins réaliste et plus constructiviste, on peut se demander quel est l'apport épistémologique, heuristique ou méthodologique d'une modélisation à partir d’ensembles flous. Au vu des résultats précédents, il me semble que cette technique complexifie inutilement les choses sans apporter, en tout cas ici, d'élément nouveau.

Dans le document À Dominique et Antoine 1 (Page 175-182)