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Typologie des échanges virtuels

INTERNET, RESEAUX SOCIAUX ET COMMUNAUTES VIRTUELLES

6.5. Typologie des échanges virtuels

Après avoir abordé la nature des relations virtuelles entre adolescents, nous nous intéressons dans ce qui suit aux types d’échange en ligne. Selon Metton (2004), les échanges et les discussions entre pairs représentent une activité essentielle à l’évolution, à la définition de soi et la construction identitaire des adolescents. Ces relations interpersonnelles contribuent à la « découverte de la spécificité du soi à travers un tiers » (Martin 2004, citant Cicchelli, 2001)

Perea (2010) relève la nature de ces échanges : la plus grande majorité d'entre eux sont de simples conversations ordinaires : le " clavardage " (acronyme entre " bavardage " et " clavier " selon l'Office québécois de la langue française). Souvent inutiles puisqu'ils ne disent rien d'importants, ils remplissent cependant un rôle social, le « grooming », ayant pour finalité d’entretenir et de renforcer les relations.

Aussi élémentaire qu’il soit, ce genre de communication permet de sauvegarder les liens à travers un groupe. Sa platitude prend un air de vertu et consolide le lien au groupe puisqu’il ne véhicule pas un principe générateur de conflit. Ce bavardage conforte la hiérarchie, maintient les rapports établis entre les différents éléments du groupe. Il revêt un caractère régulateur et permet, ne serait-ce qu’à terme, d’éviter les conflits dans un groupe. On peut aussi le concevoir comme source de plaisir.

L’adhésion à ce mode d’échange doit avoir ses justifications. Elles nous semblent être dans le moindre engagement intellectuel et social que suppose cette conversation. Elle n’est pas sélective ni ségrégative. Elle trouve de ce fait écho chez une large majorité d’internautes. Elle est d’autre part relaxante et profite aussi à des lettrés recherchant refuge dans cet espace d’échange apaisant et conciliateur que celui de la vie, contraignant et provocateur.

Perea (2010), reprenant le concept de Pledel (2009) compare ce « clavardage » à un « comportement tribal » doté de codes. Il met en relief la réelle structure sociale qui sous-tend les rapports virtuels que tissent les divers internautes éparpillés. Se dessine ainsi une communauté reconnue à travers son langage, ses symboles, ses codes, ses repères et une logique d’altérité pour les membres extérieurs et d’identité homogène dans le groupe. Ainsi émerge une autre conception de territorialité même si le lieu de rencontre est virtuel. C’est en ce sens même que Manuels Castells (1999) évoque « l’environnement symbolique »(P :141). Selon lui, cette territorialisation vise à marquer l’étendue de son emprise sur le monde virtuel. L’enjeu étant d’entretenir le plus grand nombre « d’amis » sur facebook ou de « follower » sur twitter. D’une manière instinctive, y compris chez le règne animal, tout territoire est à défendre. Ici c’est par des ripostes face aux attaques multiples. Elles sont de l’ordre des commentaires négatifs, du sabotage ou encore du piratage etc.

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Pledel (2009) illustre cette idée en parlant d’« individualisme de réseau », où chaque internaute construit son monde, crée sa communauté, adhère à des groupes, participe à des forums et tisse des liens selon ses propres intérêts et ses goûts personnels. Ce monde virtuel centré sur l’individu fait émerger une nouvelle forme de sociabilité ayant un impact dans la vie réelle.

Le clavardage permet de tisser les liens et de les entretenir participant ainsi à une logique « d’être ensemble ». Selon Pastinelli (2006), ce mode de communication représente la quête de l’autre et le désir de s’inscrire dans les relations du monde virtuel. On aboutit à un espace habité, symbolisé, évolutif avec des dynamiques identitaires, de représentation de soi, de l’autre, de son groupe d’appartenance. Ces identités se construisant souvent sur des groupes, sont aussi profondément singulières et individuelles. Au sein de ces groupes l’adolescent se retrouve comme individu à place entière dans ce nouveau contexte. Taboada Leonetti n’eut-il pas raison d’affirmer que « l’identité est essentiellement un sentiment d’être par lequel un individu prouve qu’il est un ‘’moi’’ ». (Leonetti, 1990, p.43).

Par ailleurs, le monde virtuel a de particulier qu’il conduit à une « connectivité perpétuelle » (Katz et Aakhus, 2002), avec une obligation de connexité, de disponibilité sur le réseau. Il se distingue aussi du bavardage habituel par le nombre de participants, régi par une plus grande capacité de variation et d’élasticité. Ce mode d’échange peut regrouper beaucoup plus de personnes que cela ne peut se faire dans le monde réel. Une alternative rendue plausible par la possibilité de clavarder en même temps et indépendamment avec plusieurs personnes ou plusieurs groupes, et par un décalage temporel (connexion au même instant T, mais à différentes périodes de la journée ou de l’année selon le lieu).

Pastinelli (2006) considère que cet espace virtuel, très variable, ayant besoin d’être en permanence habité, mène parfois à des conversations totalement creuses. Selon l’auteur, cette présence virtuelle permanente sert à compenser l’absence physique des interlocuteurs. La « parole » écrite est le seul moyen de se rendre présent, de se manifester. On écrit alors pour montrer qu’on est là avant de communiquer. L’auteur établit le rapport avec le sujet post moderne qu’il définit par la capacité à être branché sur le flux d’information en permanence. Tout se sait, tout de suite, par le plus grand nombre de personnes. Les réseaux sociaux permettent d’être partout, tout le temps. On remarque que l’internaute n’a d’existence dans la communauté que selon son activité, qui se mesure quantitativement en nombre de commentaires ou de contacts etc.

Cette activité permet en outre de se créer une nouvelle identité et surtout de la choisir en fonction de ce que l’on veut être pour les autres. Cette existence est déterminée par la publicité de soi, de ce que l’on montre et de ce que les autres peuvent connaître de nous. Œuvrant à compenser l’absence physique, les chats et forums proposent d’autres moyens : les émoticônes, les acronymes supposés représenter l’expression physique que l’on ne peut voir de la personne. Ce qu’on ressent, ce qu’on voit est transmis par d’autres moyens que l’écriture conventionnelle. Tout est alors donné à autrui, à sa vision. On est à la recherche d’un destinataire pour ne plus parler « seul ». C’est le but de la publication des blogs « journaux intimes », exposés à la vue et au su de tout un chacun. Ce qui fut donc dissimulé, gardé pour soi dans la vie réelle est aujourd’hui offert à autrui, à la fois proche et inconnu.

Le statut d’anonymat est alors ambigu, à la fois symbole d’inconnu, d’étranger et souvent d’abstraction de l’interlocuteur. Une plus forte implication est alors couplée d’une facilité du

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désengagement et du détachement vis à vis de l’identité que la société a pu attribuer à l’individu.

« Avec les média électroniques, il devient possible de vivre dans un monde à la fois d’abstraction et de proximité » Velkovska (2002). La forme de la subjectivité est fondamentalement transformée, avec une distanciation et un rapprochement simultanés des sujets. La perception et la représentation de soi sont nouvelles dans ce monde virtuel où la réalité n’est que ce qui est dit.