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Réseau et sociabilité

INTERNET, RESEAUX SOCIAUX ET COMMUNAUTES VIRTUELLES

5.2. Réseau et sociabilité

Tous les réseaux successifs, et ce depuis l’Antiquité, promettent un changement positif et une nouvelle structuration : théorie de la post modernité, (J-FLyotard), de la société postindustrielle (D.Bell) , du post-fordisme ( entreprises industrielles en réseau) et de la société en réseaux (Castells)

Musso se concentre plus sur les relations et moins sur l’appartenance sociale : pour lui, le social est en réalité un groupe divisé en nombres d’individus autonomes se liant par le biais de la communication. Si les réseaux prennent de l’ampleur, l’individualisme naturel pourrait disparaître ou devenir secondaire. On perdrait alors les effets de structure qui sont censées se créer notamment par l’appartenance sociale : formes héritées par chacun, croyances ou coutumes qui jouent un rôle dans la structuration des relations et de la communication.

A l’inverse, les adeptes du cyberspace c’est-à-dire des réseaux sociaux d’Internet accusés de favoriser cette dégradation contemporaine, croient à une hybridation hommes-machines. Ils rêvent en quelque sorte à un cerveau planétaire et n’hésitent pas à détruire tout ce qui semble gêner cette hybridation comme, par exemple, la politique ou les institutions.

Ainsi, comme l’avance Busino (1993), « le saint-simonisme a conditionné fortement les développements ultérieurs du savoir sociologique »(cité par Metzger). En étant le premier à théoriser le concept de réseau celui-ci a influencé les sociologues, les ingénieurs ou encore les théoriciens du cyberspace.

Jean-Luc Metzger (2004) soulève les limites du travail de Musso car selon lui, celui-ci sous-estime l’évolution importante du terme de « communauté » qui, tout comme celui de réseau est en train de prendre une place considérable dans nos vies. En effet, les communautés s’installent elles aussi en masse à travers les pratiques des utilisateurs sur internet, et dans la même orientation que les réseaux, elles peuvent avoir des effets et des conséquences considérables comme en témoigne le communautarisme aux Etats Unis ( Forquin, 2003).

5.2. Réseau et sociabilité

La notion de sociabilité qu’il semble évident aujourd’hui de relier à l’étude des relations sociales a évolué parallèlement à celle de « réseau de sociabilité» (Guilbot,1979).

Ce sont les chercheurs de l’Observatoire du Changement Social et ceux de l’INSEE qui orientent d’abord la recherche sur la sociabilité vers celle sur les réseaux, dans une série de réflexions publiées dans les Archives en 1979 et en 1980. Elles mettent en avant, dans l’étude de la sociabilité, les relations sociales, qui n’y étaient pas comprises jusqu’alors: la notion de réseau était surtout utilisée par les ethnologues et les démographes pour dénombrer les membres d’une même famille. En témoigne un article de Gokalp (1978) sur le « réseau familial », concernant les objectifs d’une enquête sur les relations de parenté : il distingue la « famille savante » de la « famille courante » et s’intéresse à l’évolution de la composition de la famille. La notion de réseau était exploitée avec une visée descriptive. Mais le chercheur Bott (1971) avance l’hypothèse que la répartition des tâches domestiques dans le couple varierait en fonction des liens entre les relations sociales entretenues par les couples. Dès lors, les perspectives sont inversées: le comportement de l’individu s’explique par ses relations sociales. La structure sociale de l’individu est appréhendée grâce à l’étude de ses

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réseaux. Les réseaux offrent alors tout un champ d’investigation et d’exploitation, en permettant un point de vue comparatiste et des domaines d’application variés, de l’échange de flux à la construction du soi.

La conceptualisation de la notion de réseau n’apparaît cependant pas satisfaisante à tous les égards. Ainsi, Degenne (1994) souligne que le réseau sert surtout de support à l’intuition. En effet, la définition qui en est donnée met l’accent sur un ensemble de relations que l’on ramène à un individu ou à un groupe et écarte encore la vision d’une structure en tant que telle reliant ou non des individus. De plus, cette définition entretient des glissements entre l’idée de pratique de la sociabilité et l’idée de sociabilité de réseaux : la notion de sociabilité, centrée sur les relations à l’autre est propice aux rapprochements directs avec celle du réseau, conçu comme relations sociales d’un individu ou d’un groupe.

L’influence des recherches d’anthropologuesbritanniques va permettre l’approfondissement de la notion de sociabilité, en rapport avec la notion de réseau. La sociabilité est définie plus précisément comme l’ensemble des relations sociales d’un individu. Guilbot (1979) introduit un changement de perspective dans la perception de la structure sociale en suggérant qu’on peut, à partir des relations sociales, expliquer les comportements sociaux.

L’analyse du concept du réseau en France, quoique débutante, va fournir des bases de données qui enrichiront l’analyse des pratiques sociales. Nous citons à titre d’exemple les recherches de Forsé (1980) sur certaines pratiques culturelles issues d’une enquête sur les loisirs et sur un réseau complet de relations sociales dans un village de Bourgogne. Le concept de sociabilité deviendra autonome comme domaine d’étude en sociologie au fur et à mesure que se développera l’arrière-plan théorique de l’analyse de réseaux et que l’on intègrera les avancées réalisées par la sociologie américaine.

Cela fait trente ans que l’analyse de réseaux existe sur le continent américain et qu’il se développe sous le nom d’analyse de réseaux ou d’analyse structurale. L’étude « des relations informelles », « des relations interpersonnelles », « des réseaux sociaux », « des réseaux personnels », remplace l’étude de la sociabilité en France. Elle hérite des travaux de Simmel (1949) (1981) sur l’importance des formes des relations sociales sur la détermination de leurs contenus et de la sociologie quantitative développée par Moreno dans les années 1930.

Elle intègre progressivement des éléments et du vocabulaire de la théorie des graphes pour décrire les liaisons entre les membres des systèmes sociaux et en représenter les structures sous-jacentes. Il s’agit d’une approche formaliste qui concentre sa recherche sur les propriétés structurales des liaisons possibles, parmi les chaînes de relations qui organisent un réseau. Centrée sur le réseau et ses liens, et non pas sur l’individu et ses relations, elle avance l’idée novatrice, avec Harrison White (1965) (1966) qu’à des formes de réseaux similaires correspondent des effets similaires sur les comportements, sans distinction du contexte social. La forme du réseau importe plus dans cette analyse que le contenu des systèmes de relation étudiés.

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5.3. Eléments de définition du cyberspace

Les réseaux sociaux sont souvent perçus comme un espace virtuel aux caractéristiques floues et indéfinissables, que l’on oppose à l’espace physique, au monde réel. Dans son récent ouvrage, « Internet, changer l’espace, changer la société », Boris Beaude (2012) soutient l’idée selon laquelle la virtualité d’internet s’opposerait à l’actuel et non pas au réel. Ces virtualités fonctionnent en effet dans des actions que nous actualisons et peuvent agir sur le monde dans lequel nous vivons. Tout comme les plus anciennes, cette technologie de la médiation a transformé la société en renouvelant les modalités d’interactions. « Individus, objets, idées ». L’organisation de l’espace, de ce fait, subit également des transformations. Beaude (2012) souligne le lien de dépendance entre les individus et les distances qui les séparent des réalités avec qui ils désirent être en contact et échanger. A ce titre, Internet est une médiation, un espace, réel, dans lequel de nombreux événements ont lieu et où se joue une part de l’existence des individus. Quelque soit le degré d’importance de ces actions, celles-ci participent de l’évolution du monde d’aujourd’hui. C’est pour soutenir cette idée, que l’auteur apporte dans son ouvrage une définition de cet espace prétendument a-spatial dont la caractéristique essentielle de sa spatialité consiste, selon lui, dans la synchorisation qui rend possible l’action commune et l’interaction, en opposition à la synchronistation. Alors que la sychronisation nécessite une planification, la synchorisation permet des rencontres non planifiées du fait de leur mode de transmission (synchorisation réticulaire) et de leur déploiement sur un territoire commun (synchorisation territoriale).

L’auteur compare Internet aux moyens de communication connus : radio, télévision, presse écrite ou téléphone, ayant des propriétés communes. « Internet peut être local et mondial, synchrone et asynchrone, symétrique et asymétrique, interactif et passif, visuel et auditif, permanent et éphémère » (Beaude, 2012, chapitre I ). Internet est aussi un espace qui fait gagner « l’espace-temps », celui-ci se révélant plus efficace que d’autres du fait de son étendue, du nombre très important de ses réalités et ne nécessitant pas de contact matériel.

Rappelons que l’espace fait partie de notre existence et constitue fondamentalement notre relation au monde. Selon Beaude, nous faisons partie intégrante de l’espace qu’il définit comme étant « l'ordre des choses, leurs relations et leur agencement » (ibid). Ayant la capacité à créer des relations invisibles, mais bien réelles et effectives, entre des réalités éloignées les unes des autres, Internet devient un espace très puissant qui conditionne notre relation avec ce qui nous entoure et qui nous permet de ce fait, de nous projeter et d’exister. Cet espace s’impose tant que la matière n’est pas impliquée dans nos activités, mais dès que l’action nécessite une intervention matérielle, l’espace territorial prend le dessus, la synchorisation territoriale prenant le relais et nécessitant le déplacement. Cette réalité devient de plus en plus observable dans les villes où l’on voit émerger l’hybridation des espaces et des moyens d’information et de communication déployés. Cette interspatialité avec les territoires est assez complexe, associant étroitement « les territoires et les réseaux, le matériel et l'immatériel, l'analogique et le numérique » (ibid). Ce phénomène est accentué par le développement de la géo localisation. Alors que l’on craignait un affaiblissement des liens, le potentiel d’interaction est optimisé, intégrant des modalités de contact variées. Cette hybridation tient compte « du corps, de l’identité désincarnée et de l’inter spatialité »(ibid). Nous prenons à titre d’exemple des activités conduites simultanément dans l’espace physique et sur Internet, comme lorsqu’on est dans une salle de cours et sur Internet.