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Les communautés virtuelles

INTERNET, RESEAUX SOCIAUX ET COMMUNAUTES VIRTUELLES

5.4. Les communautés virtuelles

Le rapprochement entre la ville et Internet réside dans le fait que ces deux espaces répondent à la maximisation de l’interaction sociale : la ville est très puissante lorsqu’il s’agit de réalités d’ordre matériel. Celle-ci a du succès dès lors que l’on veut en un temps réduit faire le plus de choses possibles. Mais la ville étant structurée aussi en réseau, les frictions de l’espace et de la masse confrontent les habitants à certaines problématiques liées aux distances. Sous certaines conditions, la synchorisation réticulaire d’Internet peut alors autoriser des actions plus souples, plus dynamiques et personnalisées. Grâce à sa plasticité, Internet devient une grande puissance qui n’a pas l’inertie du matériel, et qui peut par conséquent s’adapter rapidement à l’évolution des besoins, à l’expression individuelle, mais aussi à la coordination, et ce, sur des échelles multiples.

Finalement, cet espace qui offre de nouvelles potentialités de contacts, d’échange, d’organisation, de coordination, d’information, de co production offre non seulement les moyens de partager un espace commun, mais celui d’agir en commun. Cette liberté exige que nous apprenions à habiter cet espace, sachant que nous n’avons pas encore pleinement acquis la culture ni la maîtrise de ce potentiel sur le plan de la vie privée, de la gouvernance et de l’assistance collective.

5.4. Les communautés virtuelles

5.4.1. L’émergence des communautés virtuelles

Les adolescents regroupés en masse sur les réseaux sociaux, constituent une communauté qu’il nous semble intéressant de définir et de situer dans le cadre plus large des différentes communautés virtuelles se côtoyant sur les réseaux sociaux. Cela nous permettra d’appréhender l’activité de l’adolescent comme étant imbriquée dans un système d’interactions liées aux spécificités de la population adolescente. C’est également à la lueur de cet éclairage qu’une comparaison pourra être établie avec les communautés constituées dans la vie réelle et que nous pourrons par ailleurs approfondir l’analyse des perceptions par les adolescents, des liens unissant les activités réalisées en ligne et celles de la vie réelle.

D’après l’encyclopédie Encarta, une communauté est un groupe humain solidaire qui partage une histoire, une culture ou des intérêts communs. Nous relevons que cette définition ne fait pas intervenir les rapports sociaux, qui nous semblent être une dimension fondamentale de la communauté virtuelle. Ce terme revêt aujourd'hui plusieurs sens qui varient en fonction du contexte. Il fait peur lorsqu'on parle de communautés religieuses et il est synonyme de liberté, au contraire, lorsqu'il est utilisé dans l'univers médiatique.

La notion de communauté virtuelle a émergé des recherches sur la communication médiée par ordinateur (CMO) qui étudie les phénomènes liés à la communication utilisant les ordinateurs et les réseaux. Trois générations de CMO successives ont fait émerger la définition moderne fondée sur le modèle participatif.

Le premier réseau télématique est apparu en 1969 sous le nom d'Arpanet. Il reliait quatre universités de la Côte Ouest des Etats-Unis. Usenet a suivi en 1979 aux Etats-Unis toujours puis Bitnet en 1981 en Europe. Tous ces outils permettent d’échanger des courriers électroniques et ainsi de communiquer plus rapidement. Le logiciel Listserv enrichit les possibilités de Bitnet dans

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ce sens en permettant des discussions spontanées entre chercheurs et la création de 4000 forums virtuels (Guédon, 1996). C'est ainsi que l'outil est apparu comme un nouveau moyen d'expression dans la mesure où il permet d'échanger avec des pairs comme s'ils étaient présents (Feenberg, 1989; Kaye, 1989). Il est effectivement à noter que cette forme hybride de communication présente des caractéristiques du discours oral et du discours écrit tout en y apportant une dimension nouvelle en ce qu'elle introduit des caractères nouveaux tels que les smileys permettant de remédier au côté affectif qu'un contact réel rend subjectif (Debyser, 1989; Ferrara, Brunner et Whittemore, 1991).

Une deuxième génération de recherche se distingue par l’utilisation de l'outil. Les forums s'étant multipliés, les usagers en ont fait de même et cela leur permet d'échanger sans tenir compte des codes de la vie réelle. Apparaît alors un vrai échange démocratique entre les individus (McGuire, Kiesler et Siegel, 1987; Levin, Kim et Riel, 1990; Harasim, 1993). Notons toutefois que ce contexte social étant réduit, l'identité sociale et la conscience de soi en sont également réduites voire même inexistantes (Crinon, Mangenot et Georget, 2002). Cela et l'absence des indices physiques de la communication interpersonnelle peut parfois donner lieu à des dérives. Si certains ont évoqué la désindividuation (Spears et al. 1990; Lea et Spears, 1991; Matheson et Zanna, 1989) comme risque lié aux CMO, d'autres ont nié cet avis comme Walther (1996) en avançant qu'il s'agirait au contraire d'une forme hyper personnelle de communication.

La troisième génération se distingue quant à elle par la multiplicité des communautés d'usagers. Il existe effectivement une communauté virtuelle à part entière dont la définition peut correspondre à un groupe communiquant par télématique et animé par l'intérêt commun (Licklider et Taylor, 1968). Hiltz (1984) a considéré le côté professionnel de la chose en avançant que la communauté en ligne offre un nouveau type de communauté professionnelle différente des autres du fait qu'elle communique à travers un réseau de communication télématique.

5.4.2. Communautés virtuelles et relations sociales

Les communautés en ligne ont évolué avec le développement d'Internet en se défaisant des barrières disciplinaires des communautés scientifiques. Une communauté virtuelle se définit dès lors par le moyen de communication utilisé. La croissance du web est toutefois à considérer du fait qu'elle donne lieu à la naissance de la notion de lieu virtuel des échanges et à une nouvelle approche de la notion de communauté. Ladite communauté virtuelle ne se limite plus aux échanges télématiques et donc à la communication et s'accroît jusqu'à se concevoir désormais dans un

environnement virtuel (Jones, 1997).

Rheingold (1995) s'est intéressé à cette dimension en utilisant l'expression de "communauté virtuelle"

dont il décrit le phénomène :

"Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participe à des discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de coeur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberSpace". (Ibid, p.6)

Pour qu'il y ait communauté virtuelle il faut donc, selon lui, qu'il y ait plusieurs individus, des rapports sociaux, un intérêt face au groupe et que cela soit inscrit dans une dynamique temporelle. Quéau (1993), quant à lui, ajoute à cela la dimension des "relations virtuelles individuelles". Les meilleurs

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exemples en sont les blogs et les tchats. Notons que toute notion de contrainte en est exclue car les communautés virtuelles sont fluides et métaphoriques. Il s'agit alors pour les usagers de tenter d'instaurer des règles et des usages comme l'utilisation d'avatars ou d’émoticônes afin d'humaniser la relation. Ces communautés virtuelles permettent à des individus de tisser des liens affectifs, d'échanger librement, de collaborer et de s'entraider. Selon Pierre-Léonard Harvey (1995) les communautés virtuelles sont

"des groupes plus ou moins grands de citoyens ayant des interactions fortes grâce à des systèmes télématiques à l'intérieur de frontières concrètes symboliques ou imaginaires".

Les communautés virtuelles sont donc des groupes qui se forment sur le réseau et prennent siège dans la conscience de leurs membres, bien que la relation purement virtuelle soit asynchrone, en raison du fait que les membres ne sont pas connectés en même temps et ni dans la même localisation géographique. Dès lors, les communautés virtuelles peuvent faire penser aux cafés populaires où l'on pouvait boire un café, rencontrer des gens et débattre avec eux. (Turkle, 1995) Il s'agit alors d'analyser ce qu'est ou peut être une communauté virtuelle par rapport à une communauté de la vie réelle. Nous soulignons à cet effet que le virtuel est souvent perçu en opposition au réel et va de pair avec le progrès technologique. Cette opposition aboutit le plus souvent à percevoir le virtuel soit comme une dégradation soit comme une amélioration lorsque la notion permet d'exacerber celle d'utopie communautaire.

Pour tenter une définition, le lieu virtuel d'existence de la communauté peut servir d'"analyseur" en dépit du fait qu'il est au-delà des normes de proximité physique de la communauté réelle. Des recherches ont ainsi démontré que les participants des communautés en ligne ont tendance à identifier les membres des communautés dans la vie réelle par leur engagement envers la communauté et leurs intérêts communs (Reinghold, 1993; Baym, 1995; Curtis, 1997; Donath, 1999). Ils créent alors leurs propres règles et rituels communautaires (Bruckman, 1998; Fernback, 1999; Kollock et Smith, 1999). La hiérarchie d'expertise, le vocabulaire et les modes de discours sont donc propres à chaque groupe et instaurés librement par eux (Marvin, 1995). L'identité du groupe se construit ainsi par la conscience de l'histoire partagée et les règles de comportement implicites ou explicites servent d'indicateurs permettant d'anticiper les réactions de groupe à se comporter correctement (Donath, 1999) et aux membres de la communauté de définir qui en fait partie (McLaughlin, Osborne et Smith, 1995). Il n’en demeure pas moins, malgré ces avancées, que la notion de communauté virtuelle est difficile à définir (Benoît, 2000; Alstyne et Brynjlofsson, 1997; Jones, 1995; Proulx et Latzko-Toth, 2000).

5.4.3. Communautés virtuelles et réseau social

Les recherches rattachent la notion de communauté virtuelle à celle de réseau social, de communauté d'apprentissage ou encore de communauté de pratiques. C'est en tant que réseau social que nous allons nous y attarder.

Haythornthwaite (2000)

avance

qu'une communauté se distingue par des activités communes et le réseau social qu'elle constitue. De ce fait, les comportements communicationnels des membres permettent d'affirmer l'existence d'une communauté et le caractère asynchrone n'est plus perçu que comme un moyen de communication parmi d'autres. Les échanges peuvent avoir différents

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objets tels que des échanges d'informations, d'aide ou de soutien social. Comme premier critère à la définition d'une communauté en ligne il faut donc considérer la présence d'un ensemble précis d'interactions reliant plusieurs individus.

Jones (1997) quant à lui, affirme que l'environnement virtuel est la résultante de l'activité de la communauté virtuelle qui comprend les artefacts matériels et culturels ainsi que les traces physiques de cette activité. Il va même plus loin en avançant que si une communauté virtuelle existe, la colonisation virtuelle (virtual settlement) en est la preuve manifeste. Il est alors possible d'aborder le cyber-lieu attaché à un groupe qui communique par Internet comme un environnement virtuel à condition qu'il comporte un espace public et commun, l'adhésion de plusieurs usagers et une interactivité s'inscrivant dans le temps.

En outre, Robins (2001)

avance

que les usagers du cyberespace s'y retrouvent en étant informés des interactions des autres au sein de cet espace. Il propose aussi d'étudier la relation entre les comportements sociaux manifestés et les lieux où ils se manifestent. Les comportements communicationnels fondés sur l'intention formelle de communiquer ou non sont influencés par ladite navigation. Ces comportements peuvent être planifiés ou émergents. Ils peuvent effectivement être planifiés s'ils résultent de pratiques des concepteurs des environnements virtuels ou émergents s'ils résultent de la conscience (awareness) des interactions des autres dans un lieu virtuel donné. Robins en déduit donc que les informations fournies aux usagers quant aux comportements des autres orientent considérablement les comportements de ceux qui perçoivent ces informations.

Finalement, quatre formes de communautés virtuelles sont définies par différents chercheurs : la communauté d'intérêt, la communauté d'intérêt intelligente, la communauté de pratique et d'apprentissage et la communauté d'apprenants. Nous nous attarderons sur la communauté d’intérêt, qui caractérise celle des réseaux sociaux auxquelles nous nous intéressons dans l’objet de notre recherche.

La communauté d'intérêt peut être considérée comme celle où les individus échangent des informations sur différents sujets ou encore en relation avec le milieu professionnel. Les objectifs des usagers ne s'inscrivent pas forcément dans une démarche collective mais tendent plutôt à répondre à une demande personnelle (Benoît, 2000). Il est manifeste qu'ils ne s'identifient pas à un groupe constitué dans le but de parvenir à un but commun. Les membres cherchent à y combler des attentes personnelles et non collectives même s'ils permettent de ce fait de faire exister ladite communauté. La richesse de toute communauté réside en ce qu'elle contient des membres issus d'origines et de cultures différentes pour lesquels il convient de définir ce qui peut être partagé ou pas. Si les membres ne parviennent pas à s'entendre sur le partage de ces richesses, la communauté peut ne pas y résister ou encore se changer en "noyau dur" qui imposera ses codes impliquant une participation sporadique de ses membres et une appartenance éphémère (Snow, 1993 cité par Fischer, 2001).

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5.5. Explicitation des termes de web 2.0, médias sociaux, réseaux sociaux et