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L’autonomie de la pensée

L’AUTONOMIE COMPORTEMENTALE ET SOCIALE

4.2. L’autonomie de la pensée

les biologistes qui se sont intéressés à ce sujet, les adolescents seraient de ce fait plus enclins que les autres individus à prendre des risques quand ils se sont fixé un objectif à atteindre.

Un autre facteur de prise de risque est l’impulsivité qui caractérise les adolescents cherchant à assouvir leurs besoins dès leur émergence, ne supportant pas d’être frustrés et repoussant toutes limites. (Braconnier et Marcelli, 1988). D’après Michel Lejoyeux (2003), psychiatre à l'hôpital Louis-Mourier (Colombes), les adolescents cherchent progressivement à se détacher de la dépendance parentale et à construire leur identité propre. Cela les amène à s’éloigner des schémas parentaux, à braver les interdits et à explorer d’autres possibilités. Ils sont également spontanés et impatients. Lorsqu’ils ont une idée, ils vont être tentés de la réaliser au plus vite. Selon Jeammet et Bochereau (2007) leur curiosité insatiable les pousse à aller au devant des choses, à expérimenter de nouvelles situations qui leur procurent du plaisir lorsque celles-ci visent la satisfaction d’un désir. D’après les auteurs, les adolescents cherchent à travers les prises de risque extrême à se prouver qu’ils méritent d’exister. (p :37)

4.2. L’autonomie de la pensée

4.2.1. L’autonomie et les questions de volonté, de raison et de devoir selon Kant

L’approche kantienne associe le concept de l’autonomie aux notions de volonté, de raison et de devoir. Kant (1976) définit le concept de l’autonomie de la volonté comme étant « cette propriété qu'a la volonté d'être à elle-même sa loi (indépendamment de toute propriété des objets du vouloir)». Quant à l’autonomie de la raison, celle-ci se rapporte selon lui à « l'Idée de la dignité d'un être raisonnable, n'obéissant à aucune autre loi que celle qu'il se donne lui-même » (ibid., p.132). De nombreuses questions émergent de ces définitions, telles que des interrogations liées à l’assimilation de la loi, à la liberté totale. Selon Kant, c’est en se forgeant une autonomie que l’individu pourra élaborer ses propres lois. L’autonomie s’acquiert par la recherche du moi, de la personnalité qui nécessite de la part de l’individu qu’il élabore ses lois pour affronter diverses situations de la vie. Les lois découlent des fondements de la personnalité. L’autonomie et l’élaboration des lois vont donc de pair, l’une ne pouvant s’ériger sans l’autre. Néanmoins, Kant souligne que l’autonomie n’est jamais complètement acquise et que l’on doit bien souvent la reconquérir face aux dangers de la société, de notre affectivité ou encore de notre propre tempérament qui peuvent nous influencer et la mettre en péril. L’autonomie permet donc l’expression de nos opinions, de nos choix, même si ceux-ci sont en contradiction avec ceux des autres et de la société en général. Etre autonome, c’est s’affirmer, faire preuve de responsabilité sans pour autant être totalement libre puisque l’individu est toujours sous l’influence de certains facteurs.

4.2.2. L’autonomie morale et l’autorité, ou la question de la volonté chez Rousseau

Philosophe contractualiste, Rousseau distingue dans sa pensée deux états: l'Etat de nature, fictif, et l'Etat Social où l'homme vit dans une société organisée. Ces deux états permettent de mettre en avant une " nature " de l'homme et la corruption que la socialisation induit. Dans le premier état, l'homme est indépendant, isolé des autres hommes, ne connait de limites que ses propres forces physiques. Mais sitôt que les hommes vivent en société, leur liberté d'agir est contrainte, et ce par

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plusieurs éléments. La lecture proposée par Christophe Salvat (2007) place le concept d'autonomie morale au cœur de la pensée de Rousseau et permet de mettre en exergue ces contraintes, leur origine et leur valeur.

Le système politique que construit Rousseau dans le Contrat Social se fonde sur l'individu: le but premier de l'association est de "défend[re] et [de] protége[r] de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant "(Rousseau, 1964a, livre 1, chapitre 6) . La question de l'autonomie, la capacité qu'a un individu de se donner à lui-même sa propre loi, d'agir selon ses propres intérêts et ce que nous dicte la raison est primordiale. Rousseau pointe les limites de cette autonomie dans l'Etat social: trois types de dépendance morale (au sens large) poussent en effet l'individu à agir selon d'autres règles: la dépendance morale, la dépendance économique et la dépendance politique.

La socialisation entraîne la mise en rapport des individus, leur comparaison, et la quête de distinction qui mène à l'établissement des inégalités, édictées par l'opinion publique. Par ailleurs, Salvat (2007) souligne que le degré de sujétion de l'individu à cette opinion est d'autant plus fort que le sont les inégalités. Le jugement des autres structure alors l'identité des individus et aboutit à une hétéronomie de la volonté et à une uniformisation des goûts. Rousseau distingue ces formes de pouvoir, d'autorité, entièrement issues d'une construction sociale, dictées par « la fureur de se distinguer " (Rousseau, 1964a, livre 1, chapitre 4) et extérieures à l'individu aux formes de pouvoirs légitimes, tels que celui du père de famille ou de Dieu, pour lesquels il y a une inégalité naturelle (supériorité dans les deux cas). L'opinion publique, au contraire est une usurpation de l'autorité; l'usurpation du pouvoir en politique fait passer des intérêts privés pour les intérêts de chacun.

Au-delà de ces usurpations politiques, issues d'une intention ou d'un système, le regard de l'autre suffit à instaurer une contrainte: elle impose des choix contraires à l'utile ou l'agréable, pour privilégier l'apparence et la valorisation sociale. L'individu devient dépendant de ce regard extérieur. Cette contrainte est d'autant plus forte qu'elle est diffuse, acceptée et reproduite, et entretient d'elle-même les inégalités qu'elle instaure. Tous les aspects de la société sont normalisés : valeur, goût, vie artistique…

Par opposition à ces contraintes sociales, la source de la véritable souveraineté est la raison universelle, qui permet de déterminer le véritable intérêt de chacun et de résister à ces contraintes extérieures. Mais Rousseau s'attache à peindre " les hommes tels qu'ils sont ", et la faiblesse des hommes est telle que seuls, ils ne peuvent régler leurs actions. La loi, issue de la volonté générale est donc l'institution qui va permettre de rendre l'homme libre, en le faisant obéir non pas aux passions (dans la société), ni à ses instincts premiers (dans l'Etat de Nature, dans lequel l'homme est

indépendant mais non libre) mais à son véritable intérêt. L'autonomie morale est donc la capacité à

résister aux contraintes sociales quand celles-ci s'opposent à l'intérêt propre, tandis que la liberté permet l'exercice de sa souveraineté au travers de la loi. La liberté peut être garantie par le pouvoir politique, alors que l'autonomie relève de la capacité de chacun.

Cette question de la liberté pose celle de l'autorité: dans l'Emile , elle prend la figure du précepteur, qui apprend à l'enfant à raisonner dans un premier temps afin qu'il puisse à terme exercer cette autorité sur lui-même. Cependant, à l'âge adulte et dans la vie en société, Emile se rend compte de sa propre faiblesse et de son incapacité à résister aux passions, même si sa raison lui permet

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pleinement de savoir quelle action est la meilleure. Il lui faut le soutien de la loi, d'une autorité extérieure.

Le conflit qui s'opère dans l'individu, entre ses désirs, ses intérêts particuliers (qui obéissent aux passions) et les actes dictés par la loi est précisément l'exercice de la souveraineté de l'individu. La loi telle que la pense Rousseau dans son pacte social est la traduction de la volonté générale; elle n'est pas le produit de la simple majorité, mais de la volonté de chacun lorsqu'il se pense en tant que citoyen (et non en tant que particulier). La loi est alors garantie par la raison, faculté universelle et partagée par tous.

4.2.3. Le besoin d’apprendre et l’autonomie dans le travail scolaire

Changeux (2002), définit le besoin d’apprendre en décrivant le cerveau comme un système “ auto organisé, ouvert, motivé”. Le besoin d’apprendre est considéré comme une nécessité physiologique du cerveau. A travers les processus innés, l’enfant est capable d’apprendre au contact de l’environnement physique, matériel, familial, social et culturel. Ceci va de la nécessité vitale au désir de satisfaire la curiosité. De ce fait, l’apprentissage répond à tous les niveaux de besoins (besoins vitaux, de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi, d’autonomie,…)

Dans l’histoire des sociétés occidentales, la notion d’autonomie et de responsabilité s’est peu à peu substituée à celle de discipline et a fini par englober la discipline du corps et celle de l’esprit (Gasparini, 1998). L’autonomie n’est pas un désir inné d’indépendance, lié à la crise d’adolescence, ou un trait de caractère de l’enfant, mais « une intériorisation de normes et de comportements », en relation avec « un contexte de relations intersubjectives et de domination » (Gasparini, Joly-Rissoan et Dalud-Vincent, 2009).

A l’école, l’élève actif qui s’engage dans son apprentissage, qui est capable de rechercher et de découvrir par lui-même, de s’auto évaluer, d'organiser son travail et de respecter les règles de la vie en collectivité, est apprécié et mis en valeur. Au contraire, l’élève dépendant de l’enseignant et indépendant des règles et des savoirs est dévalorisé. (Lahire, 2001)

Les résultats de l’enquête de l’INSEE(2003) « Education et famille » portant sur les représentations de l’âge auquel il faudrait être autonome dans différents domaines indiquent que les domaines où l’aspiration à être autonome est tardive sont hiérarchisés : il s’agit de domaines liés à la sphère familiale privée tandis que les domaines où l’aspiration à être autonome est plus précoce sont liés à la sphère sociale extérieure (dormir chez des amis, choisir ses vêtements seuls etc…) Serait-ce à cause de la pression sociale exercée par le groupe d’appartenance du jeune ? Cette dernière semble plus déterminante que les exigences d’autonomie liées au domaine scolaire, qui relèvent d’une « injonction institutionnelle ». Cette même enquête, révèle que la socialisation des filles est plus adaptée aux exigences scolaires que celle des garçons, c’est-à-dire que par leur éducation, elles ont mieux intériorisé ou mieux préparé les tâches d’organisation nouvelles exigées par le collège (tenir son agenda, changer de professeur, s’orienter grâce à un emploi du temps).

Trois théories mettent en évidence certaines problématiques importantes liées à l’autonomie dans le domaine scolaire : celle de Nellie Keddie(2007), celle de Lahire (1995) et celle de Bautier et Rochex (1998). En effet, l’autonomie à l’école diffère de celle de la vie quotidienne : selon les recherches de Nellie Keddie (2007), il s’agit non seulement d’une autonomie disciplinaire, mais aussi d’une autonomie d’apprentissage, ce que Lahire distingue aussi en utilisant les termes de

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domaines « politique » et « cognitif ». Selon lui, l’autonomie n’est pas liée à une adhésion à des règles rationnellement fondées, mais à des règles qui ne sont pas trop éloignées socialement de celle de la famille.

L’autonomie scolaire serait alors remise en question par les élèves qui ne se seraient pas appropriés de normes scolaires. Bautier et Rochex (1998) enrichissent cette idée en expliquant que l’autonomie scolaire est liée au processus d'objectivation des savoirs et à l’organisation des activités scolaires. Les élèves qui réussissent ont certes acquis une autonomie comportementale dans divers domaines, mais ils ont surtout développé une autonomie dans leur "métier d'élève" et plus spécifiquement dans leurs méthodes et processus d’apprentissage. L’enfant qui réussit à l’école est celui qui transforme le savoir en objet « savoir », parvient à le décontextualiser puis à le remettre dans le contexte de sa vie quotidienne de manière à se l’approprier. En somme, la réussite de l’élève s’apparenterait au degré d’intériorisation des règles scolaires.

Finalement, la valorisation de l’autonomie à l’école n’est pas synonyme d’affranchissement des règles ni de liberté d’action et d’expression. Les règles sont toujours existantes mais c’est dans le rapport de l’élève à la discipline que réside le changement. L’élève autonome est celui qui a compris les nouvelles formes d’apprentissage et qui en a intériorisé les normes et les valeurs (Gasparini, Joly-Rissoan et Dalud-Vincent, 2009).

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