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TUNISIEN EN MUTATION

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 182-186)

Introduction

En Tunisie, le commerce de marchandises illégalement importées est qualifié de

« commerce parallèle » renvoyant cette activité marchande à l’informalité et à l’illégalité et l’opposant fermement à l’État, producteur de la norme juridique. Dans la lignée des travaux d’Hernando De Soto, l’examen des pratiques de contournement de la loi par des activités marchandes transnationales laisse penser à une opposition présupposée entre État et économie transnationale informelle. Celle-ci a pu incarner une forme de résistance sinon de contestation de l’État (De Soto, 1994). En effet, cette approche

« trouve un prolongement dans une description des flux transnationaux comme des mouvements dangereux, au potentiel déstabilisateur (pour les États) et désintégrateur (pour les territoires d’État), de surcroît en contexte d’État faible » (Bennafla, 2014).

Pourtant, l’État ne peut être réduit à un objet passif de circulations transnationales qui le dépassent et le menacent. En effet, il produit une norme juridique relative qui s’applique

de manière différenciée en fonction des intérêts des détenteurs du pouvoir. En ce sens, la notion foucaldienne d’illégalisme (Foucault, 1975) replace l’État et le politique comme acteurs du laisser-faire, de la tolérance et de la fabrique de contournements de la norme légale (Bennafla, 2014). Il est alors nécessaire de questionner cette dimension politique du commerce transnational avec les variations entre tolérance et répression. Ces dernières s’opèrent dans le temps, au diapason du changement politique, et dans l’espace et la société, avec l’inégale distribution de la tolérance et de la répression en fonction des régions ou groupes sociaux à qui l’une ou l’autre s’adresse.

Loin de l’opposition frontale et d’une supposée étanchéité entre État et informalité, il s’agit au contraire d’insister sur les relations étroites qui les connectent. À bien des égards, ces relations sont même symbiotiques puisque « les agents de l’État constituent les pièces maîtresses d’un système de contournement » (Bennafla, 2014). Ces derniers contrôlent mais aussi ponctionnent les flux de marchandises. Parfois, la confusion des rôles est même totale lorsque les douaniers sont aussi commerçants.

En Tunisie, les implications politiques dans l’économie marchande transnationale sont particulièrement fortes. Leur prise en compte est née sur le terrain par l’examen, dans le parcours des commerçants et la trajectoire des marchés, des incidences de la révolution de janvier 2011. Ce bouleversement politique majeur correspond à une recomposition très forte de l’économie marchande transnationale tunisienne et révèle du même coup les imbrications économiques et politiques qui s’y jouent.

Cette partie articule deux grands questionnements. Le premier a trait à la prise en compte de l’échelle nationale dans la fabrique comme dans l’analyse des routes marchandes transnationales. L’accès des commerçants à des sources d’approvisionnement lointaines et globalisées se joue essentiellement dans une dialectique entre dynamiques locales, où se mobilisent les capitaux financiers et relationnels nécessaires à l’activité marchande, et dynamiques globales de mondialisation du commerce transnational et de développement de sources d’approvisionnement attractives. En revanche, le franchissement des frontières et des barrières douanières par les flux de marchandises comme le développement des marchés dépendent de capacités de négociation et d’une tolérance des autorités qui s’opèrent dans un cadre politique et règlementaire qui lui est national.

Le second questionnement a trait à l’implication du politique dans le développement de l’économie marchande transnationale tunisienne. Cette implication est dans un premier temps indirecte et influence l’organisation du commerce à travers l’établissement d’un cadre règlementaire et douanier qui contraint, comme c’est le cas en Tunisie, les acteurs marchands à la pratique d’une informalité allant de la petite fraude à la grande corruption. L’implication politique passe aussi par la négociation de la tolérance envers les contournements que les autorités dispensent ou non. Cette implication peut aussi aller jusqu’à l’organisation de l’importation transnationale et la co-construction de dispositifs de contournement règlementaires et douaniers par des cadres politiques.

Le cas tunisien que nous examinons implique de ne pas réduire l’aval des routes marchandes aux seuls bricolages, fraudes et arrangements individuels. Toujours possibles dans le cas de navettes transméditerranéennes avec le bourrage de valises et de cabas dans les aéroports, de telles pratiques n’apparaissent toutefois plus guère adaptées au développement d’une économie marchande transnationale et globalisée.

Elle implique en effet des négociations plus larges et en plus haut lieu dès qu’il s’agit de faire entrer sur le territoire et de commercer sur les marchés des quantités plus importantes. En somme, le passage des cabas aux conteneurs (Peraldi, 2001) est une question politique forte qui implique un examen des lieux et des espaces du franchissement des barrières douanières et de transgression de la norme légale. Cette dimension politique est également intrinsèquement liée au bouleversement politique induit par la révolution. Pour saisir les dimensions du changement, les chapitres 3 d’une part et 4 et 5 d’autre part aborderont l’avant puis l’après 14 janvier 2011.

Le chapitre 3 pose la question de l’implication politique du régime du président Ben Ali dans le développement du commerce transnational en Tunisie. Cette implication a conduit à la fabrique de dispositifs de contournement spatialisés et différenciés notamment entre Tunis et les régions frontalières. L’efficacité de ces derniers a transformé le pays en une sorte de zone franche pour les importations transnationales.

À partir de la remise en cause de ces dispositifs et de la désorganisation de l’activité commerciale transnationale à la chute du régime en janvier 2011, le chapitre 4 questionne les recompositions de l’imbrication du politique et de l’économie transnationale en Tunisie. Ce chapitre aborde alors les stratégies des acteurs marchands

dans la période de transition politique où les négociations sont à refaire et où les obstacles et les tensions sur les dispositifs de franchissement des barrières douanières comme sur les marchés s’accumulent. Il s’agit de relier cette fébrilité d’une économie marchande en quête de contournement, de garanties politiques et de protections avec la labilité et l’instabilité des routes marchandes qui se jouent à l’entrée des marchandises sur le territoire national.

Le chapitre 5 interroge, toujours dans l’actuelle période de transition politique, la gouvernance du commerce transnational du point de vue de l’État tunisien post-révolutionnaire. Il s’agit d’abord d’examiner si la révolution a engagé une véritable rupture avec les pratiques de l’ancien régime, puis de mettre à jour les problèmes posés aux autorités par les circulations marchandes transnationales. Enfin, il est question d’évaluer les politiques menées dans la période de transition démocratique, leurs moyens, leurs échelles et leurs effets sur cette activité marchande et son organisation.

Chapitre 3

Économie politique de la fabrique d’une « zone

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