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Une géographie de l’économie transnationale tunisienne à partir des marchés : hypothèses de recherche

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 36-40)

À partir des éléments-clés du cadre économique, territorial et politique tunisien que l’on retrouvera tout au long de la thèse, l’articulation du processus de mondialisation des économies marchandes transnationales, aux conditions d’extraversion économique des commerçants comme du pays et aux effets du bouleversement politique permet de formuler le questionnement qui guide cette recherche.

L’économie transnationale de biens banals en Tunisie articule trois ensembles de mutations : celles du commerce transnational et de ses échanges qui se sont mondialisés avec une extension géographique des circulations d’approvisionnement et une montée en puissance des flux de marchandises – celles du cadre économique tunisien qui ont soutenu la profitabilité comme la nécessité des contournements transfrontaliers et qui ont banalisé le recours à ces contournements pour les populations et dans les territoires laissés en retrait du développement libéral – et celles du cadre politique et géopolitique qui ont engagé une reconfiguration des contournements et des pratiques marchandes auparavant adaptés à une donne politique bouleversée par la révolution de 2011.

Ces ensembles de mutations produisent des imbrications complexes d’échelles spatiales et temporelles. À la croisée d’un parti pris empirique et ethnographique et du postulat selon lequel partir d’un point de départ localisé permet de restituer ses interactions et la dynamique de ses connexions avec des ensembles plus larges, nous faisons le choix d’un ancrage local du questionnement. En aval d’une géographie de l’entre-deux des circulations marchandes globalisées, les marchés constituent les territoires propices à la lecture des imbrications scalaires et temporelles qui président à la structuration des circulations marchandes.

Pour comprendre la structuration de l’économie transnationale tunisienne contemporaine, il s’agit d’abord de questionner les interconnexions global/local qui sont à l’œuvre sur les marchés tunisiens d’importation de biens banals.

Cela implique de ne pas réduire les marchés au statut de débouché naturel ou institutionnalisé de circulations marchandes mondialisées qui relèveraient seulement de dynamiques économiques exogènes. En se demandant comment des lieux sont devenus

la destination ou l’étape de circulations marchandes et comment ils les ont impulsées, il s’agit de mettre en évidence les conditions locales et territorialisées du développement économique marchand. Cette perspective invite aussi à souligner que ce développement commercial se génère localement et, en somme, à se demander quels sont les ressorts territoriaux de la fabrique d’une place marchande ou d’un segment de route marchande.

Pour autant, l’activité marchande est une activité relationnelle par excellence. Il s’agit alors d’articuler les ressorts locaux du développement des marchés avec la nécessaire captation de ressources exogènes. Ainsi, nous postulons que les marchés sont insérés dans des systèmes denses et multiscalaires d’interrelations économiques et sociales qu’il s’agit de mettre à jour. Selon quels processus se sont développées et continuent de se développer les relations commerciales des marchés tunisiens ? Comment le développement de ces relations affecte-il celui des places marchandes et leur organisation spatiale ? Comment les marchés se sont-ils reliés à d’autres lieux, sources d’approvisionnement ou espaces de redistribution ? Dans cette perspective le rôle des mobilités des acteurs marchands, migratoires ou non, apparaît déterminant. Cette hypothèse nécessite toutefois de montrer en quoi les mobilités sont susceptibles de générer des opportunités et des relations marchandes. La question des relations économiques des marchés avec d’autres lieux soulève aussi celle des mécanismes de structuration des routes marchandes transnationales, assemblages complexes de lieux et d’itinéraires entre eux, matérialisés par les circulations marchandes et les mobilités qui les empruntent. Comment se forment ces routes transnationales et comment se recomposent-elles face aux obstacles ou aux nouvelles opportunités qui apparaissent ? Si le cadre de l’expansion des circulations marchandes méditerranéennes livre quelques réponses, d’autres peuvent être observées à d’autres échelles, celle des marchés et celle des franchissements frontaliers de leurs approvisionnements.

La mise en évidence des interconnexions local/global permet d’éclairer les ancrages territoriaux des marchés et les relations qui les connectent à leurs approvisionnements ou à leurs débouchés. Pour autant, la connexion à une source d’approvisionnement avantageuse ne suffit pas au succès de l’entreprise d’importation transnationale. Encore faut-il acheminer la marchandise en maintenant les coûts les plus bas. Particulièrement délicate en Tunisie compte tenu des barrières douanières élevées et des restrictions à l’importation, cette étape implique le recours à des contournements multiples.

Questionner la fabrique des dispositifs de contournement spatialisés – qui sont à la fois des systèmes logistiques et financiers, des réseaux d’affaires et de marchés, et des accès

des relations marchandes que nous proposons, avec l’hypothèse d’une co-construction de ces dispositifs entre acteurs de l’économie transnationale et agent de l’État à la fois ancienne et en profonde mutation en Tunisie depuis 2011.

À partir des marchés, il s’agit d’abord de mettre en lumière le rôle du cadre politique prérévolutionnaire dans le laisser-faire voire dans l’organisation des centralités marchandes et dans la mondialisation des approvisionnements commerciaux tunisiens.

L’hypothèse est ici celle de la symbiose entre autorités politiques et économie transnationale ayant transformé le pays en une sorte de zone franche officieuse des importations illicites.

Cette imbrication du politique et de l’économique implique un examen des conséquences du bouleversement politique et géopolitique induit par la révolution de 2011 sur l’économie marchande transnationale tunisienne et ses relations. Quels ont été les effets de la révolution sur l’organisation du secteur marchand importateur et sur les dispositifs de contournement ? Comment réagissent les commerçants, selon quelles stratégies et avec quelles ressources lorsque les obstacles renchérissent ou bloquent leurs approvisionnements ? Le bouleversement politique et géopolitique induit-il une transformation, une réorientation, une disparition des routes marchandes ?

Dans la Tunisie en transition, la question de la gouvernance de l’économie transnationale est aussi un enjeu majeur, social, économique, politique et sécuritaire qui s’inscrit particulièrement dans les espaces marchands urbains et frontaliers et qui est susceptible d’en menacer la fragile prospérité.

Enfin, la compréhension de la structuration des interrelations entre les lieux, du rôle des acteurs dans ce processus comme de la labilité de ces liens appelle une lecture du réseau des marchés et des routes marchandes qui soit à la fois opérationnelle et adaptée à une démarche empirique. Certes, les imbrications d’échelles et de temporalités développées à partir des marchés permettent d’envisager des configurations relationnelles de lieux et d’acteurs et d’éclairer leur évolution. Cependant, il reste difficile d’expliquer les processus sociaux et spatiaux de mise en relation qui forment les routes marchandes comme les dispositifs de contournement douaniers et orientent souvent leurs recompositions.

À partir du postulat d’une structuration de l’économie transnationale tunisienne par des réseaux d’acteurs et de lieux, l’hypothèse proposée est alors celle, à la fois théorique,

méthodologique et pratique, d’une adaptation des outils de l’analyse de réseau sociaux à la lecture de réseaux spatiaux de marchés. Jeter les bases d’une approche réseau à la fois qualitative, empirique et formelle des réseaux de marchés doit permettre une lecture plus précise des processus de structurations et des recompositions des routes marchandes comme des dispositifs de contournement du commerce transnational tunisien.

Pour répondre à ces questionnements, nos choix méthodologiques ont ciblé l’appréhension des processus et des relations sur les terrains choisis.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 36-40)

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