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ARTICULATIONS DE DYNAMIQUES LOCALES ET D’OPPORTUNITÉS

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 58-62)

EXOGÈNES

Introduction

Les places marchandes informelles, où la norme légale est transgressée à divers degrés dans la pratique commerciale, sont des éléments banals des paysages urbains maghrébins. Comme le rappelle Karine Bennafla (2015) : « Depuis la fin des années 1980, le commerce informel a acquis une visibilité accrue dans les villes d’Afrique du Nord sous l’effet conjugué de la crise économique, de la hausse du chômage, des mesures économiques libérales ou de l’embargo (Libye) ». La Tunisie n’échappe pas à ce constat. Les souks les plus connus à l’échelle nationale ont pour nom Boumendil et Moncef Bey à Tunis, El Jem dans la région du Sahel tunisien et Ben Gardane à la frontière libyenne. En deçà de ces hauts lieux d’une géographie populaire des chalands tunisiens, des marchés dits

« libyens » ont essaimé dans tout le pays à la fin de la décennie 1980, tandis que les marchés hebdomadaires cristallisaient aussi la vente des marchandises issue des trafics informels, dans les bourgades rurales comme dans les plus grandes villes, à Sousse ou Sfax.

Les transformations de l’appareil commercial tunisien depuis l’indépendance en 1956 n’ont jamais remis en cause ces marchés. Au contraire, les places marchandes se sont développées au rythme de la modernisation et de la mondialisation du secteur commercial en Tunisie. Ce dernier, après une période d’étatisation entre 1962 et 1969, a été libéralisé à partir de la décennie 1970. L’État restait toutefois un acteur commercial majeur, régulant notamment les prix via la caisse de compensation12. Alors que le commerce connaissait un début d’internationalisation dans la décennie 1980 et de modernisation avec les premiers complexes commerciaux, les transformations se sont accélérées au début de la présidence Ben Ali en 1987. L’ajustement structurel a alors produit une seconde libéralisation dans le contexte de l’ouverture du pays à la mondialisation. Le développement de chaînes de grande distribution, étrangères et nationales, s’accompagnait de l’implantation croissante de supermarchés dans la décennie 1990, puis d’hypermarchés dans la décennie 2000.

Cette modernisation de l’appareil commercial tunisien, relevant du modèle globalisé de la société de consommation de masse, n’a toutefois pas abouti à la concentration de l’activité commerciale dans le pays, pas plus qu’à la disparition du petit commerce.

D’après Ali Bennasr et Thamer Azouazi (2010), en 2008, après deux décennies de libéralisation et de modernisation, le commerce représentait près de la moitié des entreprises du pays, avec près de 200 000 unités. Dans le même temps, la part de marché conséquente du petit commerce des micros entreprises familiales s’élevait à près de 85 %. Au maintien du petit commerce, il faut ajouter le développement sans précédent du commerce informel – qui n’apparaît pas dans ces statistiques officielles – depuis la fin des années 1980.

Les formes de commerce ne correspondant pas aux canons internationaux de la modernité commerciale ne sont en aucun cas des archaïsmes résistant à la modernité.

D’une part, elles sont le revers de cette modernité libérale qui a creusé les inégalités sociales, économiques et spatiales dans le pays. En effet, les grandes surfaces restent destinées à une minorité aisée et motorisée de la Tunisie urbaine et littorale. Une étude menée en 2005 avait d’ailleurs montré que le revenu moyen par ménage des clients de supermarché était plus de trois fois supérieur au revenu minimum légal, tandis que les clients modestes ne participaient qu’à 1,5 % du montant des ventes des grandes surfaces (Bennasr, Azouazi, 2010). Petit commerce de proximité et marchés informels

constituent alors l’accès à la consommation pour le plus grand nombre des Tunisiens, quelle que soit leur région de résidence.

D’autre part, petit commerce et commerce informel sont le produit d’une organisation commerciale qui n’a rien à envier aux grandes surfaces : prix attractifs, choix, accessibilité et proximité. Alors que ce secteur – qualifié par les responsables politiques et économiques du pays de « primitif », de « sous-intégré », de « parallèle » – est encore trop souvent considéré comme une activité marginale à rayonnement local, la mondialisation de ses approvisionnements a précédé d’une vingtaine d’année l’apparition des premiers hypermarchés dans le pays. Aujourd’hui, des stocks des importateurs aux marchandises exposées sur les étals des vendeurs de rue, les articles proposés dans les souks populaires tunisiens témoignent de relations commerciales intenses et mondialisées.

À partir des deux places marchandes de Tunis et de Ben Gardane, notre propos, dans cette première partie de la thèse, consiste à déployer une géographie de marchés en relation. Dans la perspective de comprendre comment s’est structuré en Tunisie un réseau commercial capable d’approvisionner le pays en marchandises banales – ou small commodities – importées notamment de Chine et de Turquie, il s’agit de commencer par questionner l’émergence des nœuds marchands, puis la fabrique de leurs relations commerciales. Autrement dit, il ne s’agit pas de proposer une nouvelle monographie commerciale, ni de se focaliser sur le seul parcours des acteurs ou sur la dimension globalisée de ces marchés.

Le chapitre 1 commence par présenter l’agencement spatial des deux places marchandes qui sont nos deux entrées, au centre de la capitale et à la frontière tuniso-libyenne. Il pose la question de l’émergence de dynamiques commerciales et de la formation de places marchandes dans deux territoires en déclin et apparaissant sous-intégrés dans l’espace économique tunisien, au moins depuis l’indépendance.

Le chapitre 2 s’attache à analyser, à partir de Tunis et de Ben Gardane, le développement de relations commerciales transnationales établies progressivement par des acteurs mobiles, souvent migrants, devenus commerçants en une génération. Il questionne ensuite les modalités d’organisation actuelles des approvisionnements et des relations marchandes et financières, en amont et en aval des marchés étudiés, jusqu’à proposer une cartographie des marchés tunisiens en relation.

Chapitre 1

Deux places marchandes ancrées dans des

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