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Étudier les routes marchandes du commerce transnational dans la Tunisie en transition : la construction d’une approche multiscalaire

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L’étude des routes marchandes du commerce transnational dans la période de transition politique en Tunisie questionne à la fois les espaces et les acteurs en jeu comme les circonstances politiques et économiques qui affectent le développement, les recompositions et la géographie des flux de marchandises. Il s’agit dans cette recherche de comprendre comment s’organise le complexe entre-deux le long des itinéraires parcourus par les flux marchands, entre les espaces exportateurs lointains – en Chine, mais pas seulement – et les étals des marchés tunisiens. La complexité de cette organisation observée en Tunisie réside dans l’imbrication de cadres et thèmes d’analyse qui se déploient à différentes échelles et qui appellent une approche multiscalaire.

Premièrement, pour analyser les circulations marchandes transnationales, la mise en relation des acteurs et des lieux comme la fabrique des barrières douanières et des dispositifs de contournement, il s’agit de relier les circulations marchandes étudiées en Tunisie à celles, mondialisées, du commerce transnational qui se sont progressivement déployées à l’échelle globale. En effet, la mise en lumière dans la décennie 1990 de circulations migratoires et marchandes en contexte post-colonial, nord-américain (Portes, 1999) et méditerranéen (Tarrius, Missaoui, 1992 ; Tarrius 1995a, 2002), a permis de mettre en évidence une « mondialisation par le bas » engendrée par les mouvements transnationaux de personnes et souvent caractérisée par des échanges commerciaux informels. La figure centrale de ces mobilités est celle de l’entrepreneur-migrant qui regroupe des profils variés, mais toujours construits par le bas, des

« fourmis » (Tarrius, 1992) aux « aventuriers » (Peraldi, 2007a). Le processus

d’expansion de l’aire des circulations des hommes et des marchandises à la faveur de la fermeture de l’Europe et de l’ouverture croissante de nouvelles places marchandes dessine aujourd’hui une nouvelle « route de la soie » (cf. figure 0.1.). Cette dernière s’est construite par étapes (Belguidoum et Pliez, 2012)8, depuis le bassin méditerranéen jusqu’à ses destinations chinoises actuelles à Hong-Kong, Guangzhou et surtout Yiwu (Bertoncello et al., 2009 ; Pliez, 2010 ; Belguidoum et Pliez, 2015a). Ces places marchandes sont pourvoyeuses de biens de consommation banals à bas prix ou small commodities à destination de la « base de la pyramide » (Prahalad et Hart, 2002), vaste marché mondial des consommateurs les plus modestes.

8 Cet article propose une synthèse des multiples travaux menés par les sociologues, anthropologues et géographes. Nous avons ici fait le choix de nous y référer et de synthétiser ces recherches dans la

Figure 0.1. : L’expansion de la Méditerranée marchande des commerçants Maghrébins

Prenant en compte la croissance des flux de marchandises, la globalisation des réseaux marchands, leur émancipation d’un cadre postcolonial et migratoire nord/sud ainsi que la professionnalisation des entreprises commerciales transnationales, la

« mondialisation discrète » (Choplin et Pliez, 2015) propose un changement de paradigme. Elle se matérialise sous la forme de routes commerciales, constructions relationnelles reliant acteurs et lieux, générées en situation de marginalité spatiale, peu visibles, sans pour autant rester anecdotiques. À l’instar de la « mondialisation non-hégémonique » (Ribeiro, 2009 ; Mathews, Ribeiro, Alba Vega, 2012), il s’agit d’une part de normaliser une économie transnationale trop souvent réduite aux suds en développement et perçue comme insignifiante ou à l’inverse fantasmée comme contestataire de l’ordre économique mondial. D’autre part, il s’agit aussi de ne pas la dissoudre dans le capitalisme mondial des firmes globales, car les acteurs de la

« mondialisation non-hégémonique » les défient à toutes les échelles. Dans le prolongement de ces réflexions, la thèse propose d’observer cette économie transnationale depuis la Tunisie sans nécessairement l’inscrire dans un rapport de dépendance ou de concurrence nord/sud et en reconsidérant la complexité des articulations local/global. En effet, le local ne peut se réduire à un réceptacle d’inscription des phénomènes globaux. La mondialisation n’est pas seulement un phénomène exogène qui s’inscrit dans un lieu. Elle s’y génère aussi, dans un environnement local, global mais aussi régional et national dont les dimensions historiques, sociales, politiques et géopolitiques dépassent la seule sphère économique.

Méthodologiquement, prendre en considération les espaces discrets de la mondialisation signifie partir d’un point de départ localisé – un quartier, un marché, un magasin – et restituer ses interactions avec des ensembles plus larges et la dynamique de ses connexions dans un jeu d’échelles complexe. C’est cette approche qui est mise en œuvre dans la thèse où les activités marchandes étudiées relèvent de l’économie transnationale et du commerce de biens banals dont les approvisionnements aujourd’hui mondialisés s’appuient sur de multiples contournements. Ces activités relèvent aussi d’un cadre géographique national, la Tunisie, où elles sont ancrées et qui influence fortement les modalités de leur développement, tant du point de vue de l’ouverture économique du pays que du bouleversement politique majeur de la révolution de 2011.

Économiquement, il est opportun de rappeler que la Tunisie a fait figure, au moins jusqu’à la révolution de 2011, de modèle d’extraversion économique réussie. Cette libéralisation est née de l’échec de l’expérience socialisante portée par le premier ministre Ahmed Ben Salah de 1962 à 1969 et qui avait provoqué le mécontentement si ce n’est la ruine des paysans et commerçants (Bennasr, Azouazi, 2010). Lui succède un modèle de développement plus libéral dans les années 1970 et 1980 où l’État veille cependant à atténuer les effets néfastes de l’ouverture économique par une politique de subventions à la consommation, un contrôle des prix et des mesures protectionnistes. La crise de 1986 et le plan d’ajustement structurel qui s’ensuit acte le passage d’un modèle interventionniste et bureaucratique vers un modèle plus extraverti. L’économie tunisienne tente alors une ouverture à l’échelle régionale avec la signature par le pays du traité d’Agadir instituant l’Union du Maghreb Arabe en 1989. Elle s’inscrit surtout dans les échanges avec l’Union Européenne en signant un accord de libre-échange en 1995, année de son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce.

L’internationalisation de l’économie tunisienne conduit à une forte croissance des investissements directs étrangers et du volume du commerce extérieur. Les piliers de l’économie tunisienne et de son ouverture sont dès lors l’industrie manufacturière et les services avec un fort développement du tourisme international. Les images des stations balnéaires ont d’ailleurs contribué à celle, largement promue par le régime Ben Ali, d’un pays à la fois prospère et ouvert. Ainsi, Jean-Marie Miossec écrit en 2009 que « la Tunisie poursuit sa route dans la perspective d’une plus forte intégration à l’économie-monde tout en préservant son identité nationale. Dans un l’économie-monde à identités multiples et imbriquées, savoir s’ouvrir à l’autre tout en conservant ses valeurs, et être apte à gérer cette tension, n’est pas l’une des moindres réussites » (Miossec, 2009, p. 253).

Pourtant, la réussite économique tunisienne n’est pas dénuée de fragilités et ce sont ses zones d’ombre qui nourrissent une partie des développements du commerce transnational et de l’économie du contournement dans le pays. Tout d’abord, faute de complémentarités économiques et de volonté politique, l’ouverture régionale de l’économie tunisienne est largement inaboutie. Ainsi, « l’échec de l’Union du Maghreb arabe est une illustration de cette situation où des pays maghrébins s’entendent pour réduire, de jure, leurs barrières tarifaires et non tarifaires sans parvenir, de facto, à les abaisser de façon significative » (Labaronne, 2013, p. 104). Un des effets de l’ouverture économique très inégale de la Tunisie, essentiellement impliquée dans sa relation asymétrique avec l’Union Européenne, est l’absence d’harmonisation douanière avec ses voisins maghrébins. Cette situation continue de nourrir de forts différentiels frontaliers

en particulier pour des biens de consommation banals importés beaucoup moins cher dans les pays voisins (Ayadi, Benjamin, Bensassi, Raballand, 2013). Or en Tunisie, malgré la forte progression des indicateurs macro-économiques des vingt dernières années, force est de constater que ces marchandises fortement taxées ne sont pas accessibles pour une large part de la population car tous les Tunisiens n’ont pas également profité de la croissance et de la libéralisation, en particulier dans les régions proches des frontières. Dans son ouvrage paru en 2012, Le littoral et le désert tunisiens, Adel Bousnina démontre la réalité des disparités territoriales qui parcourent la Tunisie.

Ce trait saillant de la géographie du pays sépare l’ensemble des régions urbaines et littorales de celui des régions intérieures et méridionales (cf. figure 0.2.). Le grand Tunis et la région du Sahel, entre Sousse et Sfax, sont au cœur du premier ensemble. Ces régions ont bénéficié du développement touristique comme du développement industriel du pays. Elles ont profité des processus qui ont accompagné l’ouverture économique tunisienne et son insertion dans la mondialisation, entre littoralisation (Belhedi, 1999) et métropolisation (Dlala, 2011).

Figure 0.2. : Indicateurs de développement en Tunisie (carte extraite de Gana et al., 2012)

À l’inverse, les régions de l’intérieur et du sud du pays, en particulier le Centre-Ouest (Kasserine, Sidi Bouzid, Le Kef), font figure de « désert » en dehors de quelques enclaves industrielles en crise (bassin minier de Gafsa), ou touristiques (Tozeur, Douz). Ces

« zones « dépressives » voient leur force de travail et les capitaux les fuir » (Bousnina, 2012, p. 205). S’il n’est pas nouveau, le clivage territorial tunisien a cependant été fortement accentué par la libéralisation de l’économie du pays et le désengagement de l’État. En effet, la mise en œuvre du Plan d’Ajustement Structurel à compter de 1987 a conduit l’État à considérablement restreindre la densité de son encadrement et à peu à peu cesser de porter « à bout de bras la structuration territoriale » (Troin, 2006). Ainsi, comme le souligne Pierre Signoles, « dans toute cette Tunisie intérieure, l’État cherche désormais avant tout à désamorcer les tensions et à réduire la fracture sociale plus qu’à dynamiser et à structurer l’espace. […] les lieux, les villes, les territoires ne sont plus véritablement son objet. Il n’y a plus de projet pour cette Tunisie-là » (in Troin, 2006, p. 10).

Le coût géographique du « miracle économique » tunisien vanté par le régime du président Ben Ali a été le renforcement de disparités territoriales anciennes. Cette

fracture a aussi eu un coût politique puisque c’est en 2010, depuis ces régions intérieures délaissées, que se sont répandues les protestations qui ont conduit à la révolution de janvier 2011.

Politiquement, la Tunisie en transition depuis la chute du régime du président Ben Ali agence un ensemble de recompositions complexes aux échelles nationales et régionales.

Ces dernières affectent directement l’organisation de l’économie transnationale dans le pays. Mieux, les bouleversements induits par la révolution agissent comme un révélateur de l’organisation des relations commerciales. Pour comprendre l’ampleur de tels bouleversements, un aperçu de la dimension économique de la structuration du politique précédant la révolution s’impose. Cette réflexion menée par des politologues a questionné les dispositifs de maintien voire de renforcement du régime autoritaire au-delà de la seule répression policière (Hibou, 1999 ; Khiari, 2004 ; Camau, 2008 ; Allal, 2016).

Avant la révolution, ces dispositifs articulent des mécanismes de négociation à travers lesquels le régime distribue la tolérance en échange de l’adhésion au régime. La négociation permet aux acteurs économiques comme aux simples citoyens de s’accommoder du régime, voire de prospérer dans cette relation au pouvoir autoritaire et à ses agents. La négociation repose sur la tolérance de la « triche » (fraude, informalité, évasion fiscale), sur l’arbitraire du pouvoir qui s’épanouit dans le flou des règlementations et dans la confusion délibérée des hiérarchies administratives, et sur la corruption. Ces pratiques « sont suffisamment généralisées pour que presque toute la population, quelles que soient ses affinités politiques et ses aspirations démocratiques, soit insérée dans ce système de négociation » (Hibou, 1999). La négociation s’adresse, en ce qui concerne les acteurs économiques, aux plus importants comme aux plus modestes à qui elle ouvre de réelles marges de manœuvre. L’imbrication des activités informelles dans l’économie politique du régime est un des effets de la négociation. Ces activités représentent d’une part une soupape sociale venant amortir les conséquences de l’ajustement structurel et de la crise économique pour les populations les plus fragiles voire à l’échelle de régions entières comme les gouvernorats frontaliers du Centre-Ouest ou du Sud-Est. Elles correspondent également à l’objectif d’« a-politisation » de la population par l’accès à la consommation. Ces activités entretiennent enfin la petite corruption qui complète les salaires des agents de l’État. Les économies informelles, de contrebande, de fraude n’ont donc rien de rebelles dans la Tunisie de Ben Ali. Elles sont

« […] des instruments de négociation inventés de part et d’autre pour créer des espaces d’autonomie : autonomie des acteurs économiques et sociaux par rapport au pouvoir politique, mais aussi du pouvoir par rapport à sa base sociale » (Hibou, 1999).

La négociation renvoie ensuite au droit à la protection sociale pour la majorité de celles et ceux qui y sont impliqués, à savoir les acteurs économiques et les Tunisiens les plus modestes. La protection sociale est en quelque sorte le bénéfice attendu de la négociation par les plus fragiles. Elle est essentiellement dispensée par les cadres du parti unique bénaliste, le Rassemblement Constitutionnel démocratique (RCD). Ainsi, selon Amine Allal, « pour de nombreux Tunisiens, l’accès aux crédits à la consommation, aux aides de telle administration ou de tel programme social, l’obtention d’autorisations (comme les permis de construire), d’une bourse d’études, d’une licence pour ouvrir un café, d’un agrément pour devenir taxi, etc., n’étaient possibles qu’en vertu de la médiation de cadres du RCD » (Allal, 2016). Le rôle du RCD dans la négociation et la dispense de la protection sociale a fait émerger ce qu’Amine Allal nomme les « big men multipositionnés ». Ces notables locaux distribuant la protection sociale s’imposent comme bienfaiteurs au nom du régime et de son « parti-État ». Loin des trafics informels contestant l’autorité de l’État ou faisant preuve d’une « illégalité antisociale » (De Soto, 1994), la Tunisie bénaliste offre un parfait exemple des relations symbiotiques entre État et secteur informel tel qu’elles sont analysées par Karine Bennafla (Bennafla, 2014) à partir de la notion foucaldienne d’illégalisme (Foucault, 1975).

Cependant, ces mécanismes de négociation et de dispense de la protection sociale ont progressivement été captés et privatisés par l’entourage présidentiel. En effet, à la petite corruption, décentralisée et essentielle à la négociation et à la protection sociale s’est adjointe la grande corruption des proches du président, à commencer par les Trabelsi, famille de la seconde épouse de Ben Ali. Ces « clans »9 ne se limitent plus dès la fin des années 1990 à la prédation sur les grands contrats et les investissements étrangers (Freund, Nucifora, Rijkers, 2014) mais tendent à s’imposer comme intermédiaires sur une gamme de plus en plus large d’opérations économiques, dépassant les moyens traditionnels du clientélisme par le racket ou l’association forcée avec des entrepreneurs

9 Les membres de la famille présidentielle se sont immiscés dans tous les secteurs de l’économie tunisienne : transports, concessions automobiles, pharmacie, télécommunications et médias, immobilier, banque, grande distribution. Ils monnayaient également l’accès au marché tunisien pour les sociétés étrangères comme Carrefour, Orange, Nestlé.

L’expression « La Famille » sous-entend, plus fréquemment depuis la révolution, cette kleptocratie familiale tunisienne. Cette famille élargie est divisée en « clans ». Le clan Ben Ali comprend les frères, sœurs, neveux et enfants du président. Le clan Trabelsi regroupe les frères et neveux de Leïla Ben Ali, la seconde épouse du président. En Tunisie, l’ensemble du système clientéliste est souvent résumé aux seuls Trabelsi. Enfin viennent les proches, en particulier les gendres du président.

(Hibou, 1999). Détenant les leviers politiques et économiques, les « clans », privatisent à leur profit les mécanismes de négociation qui génèrent de moins en moins de soutien envers le régime. La prédation croissante des « clans », révélatrice de l’immoralité du régime (Hibou, Khiari, 2011), les exclus de plus en plus nombreux de la protection sociale et de la négociation, avec la figure du zawali (le misérable) qui retient l’attention d’Amine Allal (Allal, 2016), ont ravivé la contestation que seule la dégradation des conditions de vie des plus modestes ne suffisait à expliquer. Le soulèvement de Gafsa en 2008 (Allal, 2010), puis de Ben Gardane en 2010 (Meddeb, 2012a), s’inscrivent, au-delà des facteurs locaux de leur émergence, dans cette crise du système politico-économique de la Tunisie de Ben Ali qui sera impuissant à contenir la révolte du Centre-Ouest puis du pays entier en décembre 2010 et janvier 2011

La révolution et la fin de vingt-trois années de régime autoritaire en Tunisie constituent indéniablement une rupture dans l’histoire politique du pays en ouvrant une période de transition démocratique. Le pluralisme politique s’impose avec la dissolution en mars 2011 du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), l’ancien parti unique de Ben Ali, puis l’élection d’une assemblée constituante où vingt partis politiques sont représentés au départ. Pour autant, cette rupture historique s’ouvre dès 2011 sur d’immenses défis (Allal, Geisser, 2011). La période de transition est notamment celle de la détérioration croissante de la situation sociale et économique qui alimente le ressentiment de la population, si ce n’est la nostalgie10 du régime déchu. En effet, « les facteurs socioéconomiques qui ont contribué au soulèvement – chômage des diplômés, inégalités sociales et régionales, mal-développement, clientélisme au niveau local et régional – restent en effet d’actualité » (ICG, 2012, p. 7).

Aux difficultés économiques s’ajoute le renforcement des menaces aux frontières comme à l’intérieur du pays. La situation de la Libye et celle, plus lointaine, de la Syrie, ont concouru à nourrir organisations terroristes et mouvements islamistes radicaux en faisant toutes deux figures de bases d’entraînement, de combat et de diffusion de leur idéologie. En Tunisie, le vide sécuritaire temporaire de 2011, l’instabilité politique puis la dégradation de la situation sociale et économique ont permis à de telles organisations de prospérer (ICG, 2016). Depuis 2012, la violence n’a cessé de s’accentuer dans le pays depuis l’attaque de l’ambassade américaine par la mouvance salafiste-djihadiste jusqu’à la tentative d’implantation de l’organisation État Islamique dans la ville de Ben Gardane

10 À propos de la nostalgie de Ben Ali en Tunisie, voir le commentaire de Jérôme Heurtaux à propos du documentaire 7 vies. Heurtaux J., 2015, « La « nostalgie Ben Ali », un analyseur des frustrations

post-à la frontière tuniso-libyenne en mars 2016. Si la réaction sécuritaire des autorités tunisiennes s’accroît, elle renforce aussi le sentiment d’injustice, en particulier des populations des marges frontalières suspectes (ICG, 2016).

Toutefois, la rupture révolutionnaire et les bouleversements induits n’apparaissent pas aussi nettement en dehors du champ institutionnel, politique et sécuritaire. Nombre de rouages du système économico-politique bénalien sont toujours en place (Allal, 2016).

D’une part, il apparaît que les mécanismes de négociation n’ont pas disparu avec le régime. Ainsi, acteurs économiques ou simples citoyens continuent de tenter de négocier leur allégeance à travers des demandes sociales et économiques, un droit aux activités informelles et de contrebande, des emplois, des infrastructures, l’argent de Ben Ali ou du pétrole11. D’autre part, la volonté politique de normaliser les relations entre l’État et la population s’est heurtée au manque de moyens et à la crise économique. La formule de l’ancien régime semble donc avoir été réactivée par les autorités post-révolution. Derrière une normalisation de façade ces dernières n’ont eu d’autre choix que d’instiller une dose de laisser-faire pour acheter à peu de frais la paix sociale dans un contexte de transition démocratique tendu aussi bien politiquement que socialement et économiquement. S’il laisse faire souvent, l’État n’orchestre toutefois plus cette économie politique directement ou via des proches du pouvoir comme au temps de Ben Ali. Avec la dissolution du guichet des négociations qu’était le RCD et des « clans », les négociations économiques sont sorties du giron du pouvoir politique centralisé pour se déconcentrer et s’atomiser.

Pour compléter ce constat d’une persistance des mécanismes de négociation par-delà la révolution, il faut ainsi souligner la présence durable des entrepreneurs en négociation.

Au-delà de la visible et débattue « remise en selle des patrons prédateurs » dans le cadre du projet de loi de « réconciliation économique et financière nationale » mentionné pour la première fois par le président Essebsi le 20 mars 2015 (Allal, 2016), il s’agit de questionner la plus discrète survivance des entrepreneurs en négociation. En effet, si

Au-delà de la visible et débattue « remise en selle des patrons prédateurs » dans le cadre du projet de loi de « réconciliation économique et financière nationale » mentionné pour la première fois par le président Essebsi le 20 mars 2015 (Allal, 2016), il s’agit de questionner la plus discrète survivance des entrepreneurs en négociation. En effet, si

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