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INTERAMERICAIN DE LA REELECTION PRESIDENTIELLE IMMEDIATE

VII. S TRUCTURE ET INTITULE DE L ’ ETUDE

Cette étude est organisée en trois parties et un épilogue, avec des objectifs différents. La première partie expose in abstracto le matériau argumentatif historiquement utilisé aussi bien pour soutenir que pour réfuter les avantages de la RPI. Le but principal de cette partie de la réflexion est de mettre en lumière le caractère purement spéculatif, voire même fallacieux, de la plupart des arguments utilisés depuis l’époque des pères fondateurs américains afin de défendre la convenance de la continuité présidentielle, sous le déguisement dialectique selon lequel la réélection présidentielle est une institution particulièrement démocratique puisqu’elle garantit, en fin de compte, « que le peuple ait le pouvoir de décider » s’il maintient au pouvoir les bons présidents. Bien que cet argument soit séduisant sur le papier, il ne peut être soutenu à la lumière des faits. Très tôt aussi, les détracteurs de la réélection (de JAMES MADISON jusqu’à KARL LOWENSTEIN, en passant par JUAN BAUTISTA ALBERDI) nous ont prévenus du danger de l’abus et de la perpétuation au pouvoir que représente un président ayant la possibilité de s’y maintenir indéfiniment, en transformant l’institution en un poison pour la démocratie.

La deuxième partie de ce travail s’efforce de développer in extenso les implications du débat sur l’étendue de la définition de la démocratie (Maximalisme idéaliste Vs. Minimalisme réaliste), en vue de préciser l’absence des éléments qui dénatureraient le caractère démocratique d’un régime et de ses élections. Vu que notre objectif principal est de remettre en question le caractère démocratique de la RPI, il convient d’abord de clarifier ce que nous entendons par démocratie. Quel devrait être le contenu d’une définition rationnelle de la démocratie ? Celui qui puisse décrire uniquement ce que la démocratie est réellement dans la pratique et non pas ce que ses défenseurs (ou ses détracteurs) désirent qu’elle soit. Dans cette perspective, nous faisons une évaluation de la solidité aussi bien empirique que théorique des différentes conceptions démocratiques maximalistes (avec les aspirations qu’elles prétendent matérialiser : représentation des intérêts des citoyens, rationalité des décisions collectives, paix interne et internationale, développement économique, équité sociale et protection des droits de l’homme) et nous tenterons de démontrer que seule une définition minimale et réaliste, idéologiquement neutre et centrée sur

l’analyse de la démocratie en tant que méthode politique décisionnelle (comme moyen et non comme fin) a une valeur descriptive. L’option que nous privilégions en fin de compte, c’est alors le réalisme démocratique minimaliste, une définition « peu exigeante »82 envers la démocratie, qui nous permet d’affirmer que si la RPI se révèle antidémocratique selon des standards minima, elle le serait, a fortiori, depuis toute autre optique maximaliste.

La troisième partie est centrée, in concreto, sur l’expérience constitutionnelle et électorale avec la RPI de Colombie et des autres pays d’Amérique Latine qui l’ont autorisée au cours des deux dernières décennies, dans le but de développer depuis la praxis une vision panoramique de l’institution dans le contexte présidentialiste. Pour ce faire, nous reconstruisons le processus historique « d’inversion » de la tradition anti-réélection qui prévalait dans la région jusqu’à une époque relativement récente, par l’analyse des processus de réforme constitutionnelle (la plupart frauduleux) mis en place afin de l’approuver sous l’influence de leaderships présidentiels messianiques. Dans cette partie également, on développe une typologie comparée de la réélection présidentielle, on expose les effets négatifs qu’elle exerce sur le régime présidentialiste, en mettant l’accent sur l’expérience du Honduras avec la clause immuable de non-réélection prévue dans sa Constitution et qui, paradoxalement, a déclenché un coup d’État en 2009. Ensuite nous problématisons la jurisprudence constitutionnelle colombienne sur les limites à la réforme de la Constitution, proposons un cadre théorique pour une meilleure compréhension de la popularité présidentielle en tant que paramètre d’évaluation des gouvernements, et à la fin analysons les implications statistiques des résultats électoraux des vingt deux dernières années dans les pays qui autorisent la réélection présidentielle.

La structure, théorique au début et pratique à la fin, présentée dans cet ouvrage ne signifie pas que la première partie exclue toute considération sur les faits, ou que la troisième ne contienne pas de propositions théoriques, mais simplement que l’iter narratif choisi tente de privilégier, dans la mesure du possible, une approche plutôt qu’une autre sur chaque parcours, à des fins pédagogiques. Dans la deuxième

82 Si l’on l’étudie plus en profondeur, le réalisme démocratique est en réalité analytiquement plus exigeant envers la démocratie puisqu’il accepte uniquement dans sa définition des éléments vérifiables dans la pratique.

partie est sous-jacente l’intention qu’elle serve de transition ou de « lien » entre les deux autres grâce à une méthodologie qui intègre la théorie et la pratique afin d’arriver à une définition la plus rationnelle possible de démocratie.

Enfin, l’épilogue explore les perspectives des régimes latino-américains face à la RPI, il aborde le débat concernant la durée du mandat présidentiel et propose des correctifs constitutionnels concrets pour ce qu’il faut définitivement considérer comme facteur de délabrement démocratique dans la région et qui doit, par conséquent, être interdit de manière catégorique dans le contexte présidentialiste.

La réélection présidentielle immédiate est un une institution tellement mauvaise pour la démocratie, que même l’actuel président de la Colombie, JUAN MANUEL SANTOS, réélu le 15 juin 2014 pour un second mandat (comme il était facile de le prévoir), n’est pas d’accord avec elle « en tant qu’institution »83. A tel point, que le

démantèlement de cette figure a été annoncé, pendant la campagne pour la réélection, par son camarade candidat à la vice-présidence, GERMÁN VARGAS, comme une partie de l’agenda législatif de l’exécutif pour le second mandat. « L’idée est d’en finir avec la figure de la réélection, en augmentant d’une ou de deux années le mandat présidentiel », a affirmé l’ancien ministre et actuel Vice-Président84. La position du président SANTOS à cet égard a été cohérente, même avec ses opinions exprimées dans les colonnes du journal El Tiempo avant l’autorisation de la réélection en Colombie et d’entrer dans le cabinet d’ÁLVARO URIBE, en tant que ministre de la Défense, en juillet 2006 :

Le pays, dans le fond, n’aime pas la réélection et elle ne lui convient pas, même si la plupart des gens pense qu’Uribe fait actuellement une bonne gestion. Et nous avons tous besoin

83 Le jeudi 14 novembre 2013 le président JUAN MANUEL SANTOS a affirmé sur une chaîne de radio locale de Villavicencio : « Je ne suis pas ami de la réélection en tant qu’institution, mais en ce moment, c’est l’option que j’ai » (« Compte à rebours de la réélection », magazine hebdomadaire Semana, le 16 novembre 2013). Au cours d’une interview postérieure à la BBC, il a réaffirmé : « Je ne suis pas ami de la réélection, mais je me présente car je pense que j’ai un devoir : celui de mener à terme ce processus ». Il parlait du processus de négociation de la paix avec les FARC (« Juan Manuel Santos : “ Ils sont en train de mener une guerre sale ” contre le processus de paix », interview réalisée par JUAN PÉREZ SALAZAR, BBC Monde, le 22 avril 2014).

qu’il continue sur cette voie. Mais dans ce débat, il est impératif de suivre le conseil des sages lorsqu’ils recommandent que sous aucun motif il ne faut légiférer, et encore moins changer la Constitution, en fonction d’une conjoncture ou d’une personne. Disraeli nous en avait bien avertis : quand on légifère, il faut réfléchir sur le long terme et penser à la situation adverse. Il est aussi nécessaire de penser au manque de maturité de notre démocratie avant d’entreprendre une telle démarche. Les comparaisons avec les États-Unis ou avec l’Angleterre sont ridicules. Une référence plus appropriée, ce sont les funestes exemples en Amérique Latine85.

Le très fort penchant pour la réélection présidentielle en Amérique Latine est un vice antidémocratique sans aucune couleur idéologique. Il est pratiqué aussi bien par des présidents de gauche que de droite, mais en tout cas, par des caudillos [hommes forts] qui ont encouragé des réformes constitutionnelles le plus souvent entachées par la corruption et par l’abus du pouvoir présidentiel, dans le but de s’incruster dans leurs fonctions. En Colombie, il n’est pas exagéré de dire que l’autorisation de la RPI a été la pire et la plus régressive des presque quarante réformes qui ont été faites à la Constitution depuis sa promulgation en 1991. C’est pourquoi il était urgent de l’éliminer afin de reconstruire le système de freins et de contrepoids dans le régime politique colombien, mais surtout pour que les élections présidentielles redeviennent réellement compétitives et ne constituent plus une tromperie à l’encontre des citoyens comme elles l’ont représentée les deux fois où le président a assuré son maintien au pouvoir (2006-2010 et 2014-2018) avant que la RPI ne soit à nouveau interdite en juin 2015.

Le titre initial de cette thèse était « Fraude à l’encontre de la démocratie électorale ». Toutefois, cette option ne correspondait pas à la signification technique de l’expression « fraude électorale », qui dénote une intervention illicite dans tout processus électoral en vue d’altérer les résultats réels, en violant ainsi les règles juridiques du jeu démocratique. En réalité, ce que font les présidents qui briguent la réélection consécutive en Amérique latine n’est pas une fraude, mais plutôt une manipulation du résultat en utilisant une quantité gigantesque de ressources pour orienter en leur faveur le vote des citoyens. Mais cette opération a lieu, en général, dans les limites de la légalité, ce qui fait qu’il est plus difficile de s’en rendre compte

et de le dénoncer dans le cadre d’un système démocratique, seulement en apparence, mais dans lequel celui qui vote en réalité n’élit pas parce que « voter n’est pas la même chose qu’élire ; concrètement il se peut que cela n’ait aucun rapport avec le fait d’élire »86. C’est de là que vient le titre que nous avons finalement choisi.

Fort heureusement pour la Colombie, le gouvernement de JUAN MANUEL SANTOS a tenu sa promesse de campagne et le pays a interdit à nouveau la réélection présidentielle grâce à la réforme du « rééquilibre des pouvoirs et du réajustement institutionnel » qui a été approuvé au Congrès le 16 juin 2015. Le texte de la réforme a été simple et catégorique en stipulant que « tout citoyen qui aura exercé à un titre quelconque la Présidence, ne pourra être élu Président de la République ». Au cours du deuxième débat parlementaire, il a été ajouté que tout changement à cette interdiction devra être fait par référendum ou par assemblée constituante. Or, cette précaution est insuffisante. La Cour Constitutionnelle colombienne a déjà établi dans son arrêt C-141 de 2010 que la réélection pour un second mandat ne pourra être autorisée dans aucune circonstance, puisque cela impliquerait une substitution constitutionnelle. Cependant, avec les articles approuvés, le pays reste dépourvu de protection contre des présidents ayant des prétentions messianiques et désirant encourager à nouveau la réélection illimitée à travers un référendum, comme ÁLVARO URIBE a tenté de le faire en 2010 afin d’obtenir un troisième mandat. Ce qui convient, sans aucun doute, c’est de réserver la possibilité de modifier la clause de non- réélection, seulement par un processus d’assemblée nationale constituante, c’est-à- dire, de réelle refonte du pacte politique fondamental.

86 A.PRZEWORSKI,Qué esperar de la democracia. Límites y posibilidades del autogobierno, op. cit., p.190.