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Deuxième Partie Réélection présidentielle et démocratie Dans cette deuxième partie de notre travail, nous nous proposons de délimiter

Section 1. Importance politique et sociale du réalisme démocratique

« Le fait de surcharger une signification peut réduire son utilité en la transformant en un concept qui n’a pas de référents empiriques »335.

GERARDO MUNCK etJAY VERKUILEN Une société qui ne comprend pas son système de gouvernement, car elle l’idéalise, est condamnée à lui demander ce qu’il ne peut pas lui donner, au lieu d’essayer de le rationnaliser de manière pragmatique afin qu’il puisse matérialiser ce qu’il est empiriquement en mesure de fournir.

La discussion sur les portées du concept de démocratie n’est pas un débat intéressant seulement les universitaires. L’idée que les gens ordinaires se font de la démocratie a des implications sociales profondes.BARRUETO et NAVIA336 montrent que le type de conception démocratique adoptée par les citoyens en Amérique Latine varie en fonction du développement économique et du niveau des revenus. Leur travail a classé les définitions de démocratie en quatre catégories échelonnées de la moins à la plus exigeante : la minimaliste (élections compétitives), la procédurale (elle ajoute à la conception minimaliste quelques droits civils et des caractéristiques du fonctionnement institutionnel), la résultatiste (elle inclut en plus la capacité de satisfaire les intérêts matérialistes de la société civile en termes d’indicateurs politiques et économiques mesurables, comme par exemple l’égalité économique) et la maximaliste (la catégorie la plus abstraite et la plus

335 G.MUNCK et J.VERKUILEN, Conceptualizando y midiendo la democracia: una evaluación de índices alternativos, Política y Gobierno, IX, nº 2 (2002), p. 403-441.

336 F. BARRUETO et P. NAVIA, Tipologías de democracia representativa en América Latina, Política y Gobierno, XX, nº 2 (2013), p. 265-307.

idéaliste de la théorie démocratique qui inclut des éléments complémentaires des définitions précédentes, comme par exemple l’égalité entre les agents politiques, la participation, la multi-culturalité, la souveraineté populaire, la transparence et l’efficacité des institutions publiques, entre autres aspects en vertu desquels la démocratie « devient un mécanisme idéal pour la cohabitation entre les citoyens »).

Sur la base du Sondage LAPOP337, réalisé en 2006 dans 16 pays d’Amérique

Latine, cette étude a trouvé que, bien que la définition procédurale soit celle qui prévaut dans le sous-continent, les États qui ont les revenus les plus bas et le plus grand nombre de restrictions politiques sont plus enclins que les pays plus développés, à adopter des typologies résultatistes et maximalistes. Au niveau individuel, les personnes à plus hauts revenus (également les plus instruites) ont eu tendance dans tous les pays, à préférer les définitions minimaliste et procédurale de la démocratie.

Par ailleurs, le type de définition de démocratie adoptée par les citoyens latino- américains a un effet important sur l’appui au régime démocratique. Comme il fallait s’y attendre, les démocraties sont mieux évaluées dans des pays où prédominent les versions minimalistes et procédurales, qui sont également mieux accueillies par des individus qui se situent plus à droite dans l’éventail idéologique, qui déclarent être plus satisfaits de la vie et qui présentent des revenus plus importants. En outre, ceux qui ont adopté une définition procédurale se sont montrés plus enclins aux manifestations sociales, comme par exemple les marches de protestation338.

Autrement dit, plus les Latino-américains espèrent de la démocratie, plus ils ont tendance à être déçus de sa performance en tant que système de gouvernement, en bonne partie du fait de la mauvaise compréhension de ce qu’est réellement la démocratie. Compte tenu de l’insatisfaction de leurs nombreuses demandes sociales, qui attendent d’être satisfaites grâce à un modèle d’exercice du pouvoir qui est souvent dans l’incapacité structurale de le faire par lui-même, les maximalistes sont en général des citoyens déçus. L’aspect délicat de cet élément est qu’il n’est possible d’améliorer la démocratie que si on commence par comprendre ses vertus, ses

337 Disponible sur : http://datasets.americasbarometer.org/database-login/index.html

338 F.BARRUETO etP.NAVIA,Efectos de las tipologías de democracia en el apoyo al régimen democrático, papier présenté à WAPOR Santiago 2014, Santiago de Chile, 18-20 juin 2014.

défauts, ses limites et ses possibilités, et cet objectif ne peut être atteint que grâce à la critique rationnelle. Tout ce qui suit prétend contribuer à cette fin : comprendre tout ce à quoi la démocratie ne sert pas per se et le peu – bien qu’il soit fondamental - auquel elle sert effectivement.

La conception théorique, le type de définition qu’on a de la démocratie a aussi une répercussion directe sur la participation électorale des citoyens. Les personnes qui attendent trop de la démocratie tendent à être facilement déçues par elle, et par conséquent elles participent moins au vote que les électeurs plus réalistes. Pour leur part, les citoyens minimalistes, ceux qui comprennent qu’il n’est pas rationnel d’avoir des expectatives exagérées face à un modèle qui n’est pas en mesure de garantir des contenus spécifiques de l’action de l’État, mais simplement le choix périodique, pacifique et compétitif des dirigeants à travers un processus électoral, tendent à être des électeurs plus actifs.

Les données du “Sondage de communication et de politique, Colombie 2014”339, commandé par le Centre de Recherche sur la Communication Politique

(CICP) de l’université Externado de Colombie et par l’université du Wisconsin, à la société DeProyectos SAS, permettent de constater empiriquement cette idée. A la question sur si « en général, vous êtes très satisfait, moyennement satisfait, peu satisfait ou pas satisfait du tout, du fonctionnement de la démocratie en Colombie », les personnes interrogées ont répondu de la manière suivante par rapport à la question de savoir si elles ont voté au deuxième tour des élections présidentielles du 15 juin 2014 :

339 L’échantillon de cette étude, correspondant à 1.102 personnes interrogées, a couvert les 10 principales villes de Colombie avec leurs zones métropolitaines. Par conséquent, cette étude n’est représentative que du secteur urbain de la population colombienne.

Tableau 6. Satisfaction concernant la démocratie, et participation électorale en Colombie, 2014

A voté N’a pas voté Pas satisfait du tout/Ce n’est pas une démocratie 57.5% 42.5%

Peu satisfait 63.8% 36.2%

Moyennement satisfait 65.0% 35.0%

Très satisfait 77.0% 23.0%

Comme nous pouvons le voir, il existe en Colombie une nette corrélation positive entre la tendance des personnes à voter et leur satisfaction concernant la démocratie. Plus le citoyen est satisfait du modèle démocratique de gouvernement, plus il est probable qu’il participe au vote. Il est évident que l’électeur potentiel sera plus satisfait de la démocratie s’il n’attend pas beaucoup d’elle. C’est pourquoi le réalisme démocratique débouche sur une augmentation de la participation électorale, tellement désirable pour qu’il y ait une plus grande représentativité et une meilleure légitimité dans le système politique.

Section 2. Primauté d’éléments inobservables dans la théorie