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Première Partie Ce que la théorie dit

Section 3. L’abus du pouvoir présidentiel à des fins électorales

3.2. Pouvoirs et ressources bureaucratiques

Le plus grand employeur de tout État moderne est son appareil administratif. Ceci transforme le Président en véritable « patron » d’un pays, d’une manière aussi bien directe grâce aux nominations auxquelles il procède: ministres, ambassadeurs, consuls, surintendants, directeurs de départements administratifs et conseillers, parmi d’autres fonctionnaires, dans le cas colombien ; mais aussi de manière indirecte grâce aux nominations, aux listes de trois noms et aux « recommandations » qu’il fait pour des postes importants, y compris dans des entités de l’État dont les effectifs se comptent souvent par milliers.

Du fait que le Département Administratif de la Fonction Publique (DAFP) en est encore à consolider les données sur le nombre des fonctionnaires colombiens165, les

164 « Chávez augmente de 32% le salaire minimum », CNN Expansión, 8 avril 2012.

165 Au droit de requête d’information présenté le 8 mai 2013, cette entité a répondu que sur le site web du SIGEP (Système d’Information et de Gestion de l’Emploi Public), www.sigep.gov.co, sur l’onglet « SIGEP en chiffres », on peut consulter et générer les rapports sur le nombre d’effectifs des entités et des organismes de la Branche Exécutive au niveau national. Cependant, cette information n’englobe pas le reste de l’État et c’est seulement à l’avenir « avec la mise en place progressive des étapes du SIGEP, [que]

chiffres dont on dispose proviennent du DANE [équivalent de l’INSEE] et de l’OCDE. Selon un rapport du DANE166, en juillet 2012, le taux global de participation au marché colombien du travail correspondait à 64.2% de la population, c’est-à-dire environ 20.485.000 de personnes dont 4.1% travaillaient comme « employés du gouvernement ». Cela voudrait dire qu’environ 840.000 personnes représentaient les effectifs fixes du personnel de l’État colombien, qui devenait ainsi, et de loin, le plus grand créateur d’emplois du pays. Nonobstant, ce calcul minimaliste ne parait pas très fiable et cela pourrait être dû à des erreurs dans les facteurs d’expansion qui ont été appliqués au recensement général de 2005 pour faire les projections de la population à 2012.

L’estimation de l’OCDE167 paraît plus réaliste. Elle est fondée sur des données

fournies par le DAFP selon lesquelles en 2012 l’État colombien avait un total de 1.164.696 employés aux niveaux national et régional dans les branches exécutive, législative et judiciaire du gouvernement, ainsi que dans les entités autonomes. Sur ce chiffre consolidé, les plus grands pourcentages correspondaient au personnel militaire (37.8%, car la Colombie est l’un des pays les plus militarisés du monde à cause du conflit interne), ainsi qu’aux professeurs et autres employés du secteur de l’enseignement (29.1%). Or, en 2008 l’État colombien fournissait 4.8% du total des emplois, ce qui, comparé avec la moyenne des pays membres de l’OCDE (22%), est encore un chiffre très bas168.

Cependant, il faut souligner que ces chiffres n’incluent pas ceux que l’on appelle les « adjudicataires indépendants de l’État », qui sont des individus qui travaillent avec un contrat de prestation de services et qui constituent un « corps parallèle d’employés de l’État » dans le cas colombien. Selon les chiffres du Ministère du Travail, en 2012 « sur 100 fonctionnaires officiels travaillant dans les entités l’information sur les organismes de contrôle, sur d’autres secteurs du pouvoir public et sur les institutions au niveau territorial, pourra être consolidée et mise à la disposition des usagers ».

166 « Principales resultados de mercado laboral, julio de 2012. Resultados marco 2005 », DANE, 2012, p. 3 et 53.

167 « Colombia: Implementig Good Governance », OECD Public Governance Reviews,2013,p. 282.

territoriales, 170 avaient des contrats de prestation de services »169, tandis qu’au niveau central, la relation était de 132 adjudicataires pour 100 salariés permanents. Ces chiffres gonfleraient d’une manière démesurée le nombre réel des fonctionnaires colombiens (plus de 2.8 millions de personnes), ce qui renforcerait l’idée que le président-candidat a, de manière directe ou indirecte, la capacité d’embaucher le plus gros de la population active du pays.

La prolifération démesurée d’adjudicataires de l’État pose en outre un sérieux problème pour la qualité de l’action publique. Lorsque, pour choisir le personnel des fonctionnaires, on préfère des critères clientélistes plutôt que des aspects techniques, comme cela se fait habituellement avec les adjudicataires, la qualité du travail du gouvernement est donc affectée négativement. L’ouvrage fondateur de ROTHSTEIN170 a prouvé qu’une caractéristique fondamentale du bon gouvernement, c’est l’impartialité

dans l’exercice du pouvoir qui est particulièrement favorisée par la

professionnalisation de la bureaucratie. Dans le cas contraire, l’utilisation de la bureaucratie pour payer des faveurs politiques a pour conséquence l’improvisation dans l’action de l’État, ce qui constitue un obstacle majeur pour la croissance économique et le développement.

Il faut préciser que la dynamique du vote trading au Congrès favorise aussi la dialectique d’échange de votes parlementaires favorables à des initiatives législatives du gouvernement contre des postes, des crédits et des contrats pour les régions qui concentrent le gros des électeurs des parlementaires. Le gâteau bureaucratique de l’État est sans doute une variable essentielle de l’équation qui détermine le succès, au sein du Congrès, du pouvoir exécutif, et qui fait que le clientélisme soit une pratique généralisée qui est encore exacerbée pendant les campagnes présidentielles pour la réélection.

3.3. Pouvoirs et ressources économiques

169 “Plusieurs institutions de l’État maintiennent des listes d’effectifs parallèles”, Portafolio.co, 1er mai 2012.

170 B. ROTHSTEIN, The Quality of Government: Corruption, Social Trust, and Inequality in International Perspective, Chicago, The University of Chicago Press, 2011.