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2.2. Les travaux sur les processus d’apprentissage des agriculteurs

2.2.3. Des travaux sur le rôle du collectif dans les apprentissages et le changement

Dans ces travaux, l’apprentissage des agriculteurs, est d’abord social et se construit dans l’échange, le dialogue. Ceci découle d’une certaine vision de la cognition, qui privilégie le collectif sur l’individu, en s’inspirant des travaux de Darré (Darré 1985, Darré 1996) sur les groupes professionnels locaux, de Wenger (1998 sur les communautés de pratiques de Lave (1988 sur les apprentissages situés (cf. annexe 1). Est ainsi mis en avant le caractère à la fois social et situé des apprentissages au sein de réseaux de dialogue entre pairs mais aussi plus largement avec un ensemble d’acteurs sources de conseil et de connaissances (Chiffoleau 2005, Compagnone 2004) ou au sein de communautés de pratiques (Crawford et al. 2007, O’Kane et al. 2008, Cristovao et al. 2009). Dans ces travaux, l’enjeu n’est pas tant de comprendre comment différents « autrui » sont susceptibles d’influer le processus de changement d’un agriculteur. L’enjeu est plutôt de s’intéresser à la dynamique collective et sociale qui s’opère autour d’une innovation.

Ainsi, des agronomes ont collaboré avec des sociologues et des anthropologues pour aborder la question du changement technique. Ils ont étudié alors le processus d’élaboration de normes au sein de réseaux locaux d’échanges de connaissances ou « réseaux de dialogues entre pairs », et ont identifié les conceptions qui guident les pratiques des agriculteurs (Darré et al. 2004). En se fondant sur les travaux de Bakhtine, précurseur de la sociolinguistique, ces auteurs affirment que les pratiques techniques et les conceptions qui leur sont associées sont des produits culturels, c’est-à-dire produit de l’histoire et de l’actualité de systèmes sociaux d’échange et de transmissions d’expériences et d’informations. Pour le travail, cela signifie que des individus qui ont des activités semblables, qui peuvent observer leurs façons de faire, qui parfois coopèrent pour l’accomplissement de certains travaux, qui peuvent en parler et échanger des informations recueillies auprès d’autres personnes, élaborent et renouvellent sans cesse, à partir de leur point de vue commun, leurs pensées et leurs pratiques. Cette pensée de la pratique s’élabore en continu par échanges au cours de dialogues entre des agriculteurs géographiquement proches les uns des autres, ce qui a conduit Darré (1985 à parler de « groupe professionnel local ». Pour ces auteurs, si chaque agriculteur procède par essais et par erreurs, il accumule de l’expérience et se constitue un savoir et un savoir-faire, l’apprentissage qu’il réalise a systématiquement une dimension collective, le plus souvent à base orale. C’est grâce à la pluri-appartenance de chacun des membres du groupe professionnel local que les connaissances vont pouvoir se renouveler (agents commerciaux, agents des groupes de développement, organisations politiques ou confessionnelles, cousins, beaux-frères…). Néanmoins, ces auteurs ne traitent pas directement de la dynamique des conceptions qu’ils mettent en évidence pour un problème ou un ensemble de pratiques spécifiques. Si la dimension dialogique est clef dans cette dynamique, la façon dont s’opère, via ce processus dialogique, une transformation des conceptions n’est pas directement adressée dans ces travaux. Des avancées dans cette direction peuvent, là encore, être trouvées dans le

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domaine de la didactique professionnelle, avec les travaux de Mayen (2008) et de Gagneur (2010). Dans leur cas, l’observation des rencontres et l’analyse des dialogues sont dès lors une nécessité pour appréhender la façon dont le dialogue contribue au développement de l’activité et pour appréhender dans quelle mesure la dynamique des rencontres permet progressivement ce développement. La difficulté d’une telle démarche réside dans l’identification de ces situations dialogiques qui « comptent » dans le développement, et leur observation dès lors que l’on s’intéresse à une dynamique de changement sur une période longue.

Pour articuler l’approche sociologique basée sur l’étude de l’échange de savoirs dans les réseaux de dialogue et une approche plus précise des pratiques via une description fine des changements techniques et des changements des règles de décision inspirée des travaux de Cerf (Cerf 1996, Cerf & Sebillotte 1997), Munier-Jolain et al. (2008) étudient les pratiques de désherbage des agriculteurs. Pour ces auteurs, un agriculteur répète le même itinéraire technique tant qu’il lui donne satisfaction. Il le modifie en réponse à un problème grave ou suite à un changement de rotation ou des techniques utilisées, mais les connaissances alors nécessaires au changement sont captées par les agriculteurs en fonction des dialogues qu’entretiennent les individus entre eux dans leur activité. La possibilité d’adoption d’une pratique innovante au sein d’un réseau est étudiée et les auteurs montrent qu’elle s’opère principalement à partir du noyau composé de « pionniers » vers la « périphérie ».

Ces travaux trouvent bien évidemment leur écho dans les recherches conduites par des sociologues qui insistent sur les dynamiques de réseaux entre agriculteurs ou avec des experts dans une perspective de caractérisation de la transmission des innovations au sein de groupes (Chiffoleau 2005, Compagnone 2004, Darre et al. 1989, Goulet & Chiffoleau 2006). Chiffoleau (2005) traite cela en s’intéressant au rôle qu’occupent certains individus dans des réseaux sociotechniques et s’attache alors à définir leur profil sociotechnique. Compagnone (2004), dont les travaux portent sur les réseaux d’échange locaux entre pairs, et O’Kane et al. (2008), mobilisant plutôt le concept de communauté de pratiques, abordent la question en s’intéressant à la structure du réseau (de la communauté) et à son influence sur la dynamique d’échange sur les pratiques. Cristovao et al. (2009) focalisent leur analyse sur les dynamiques qui se créent dans des communautés de pratiques ou des réseaux d’acteurs et insiste sur l’importance d’accompagner de telles dynamiques. Au-delà, Crawford et al. (2007 et Cotching et al. (2009) cherchent à définir la façon dont peuvent se développer ce qu’ils appellent des « learning partnerships » entre agriculteurs, chercheurs et conseillers. Mais curieusement, ces travaux évoquent peu les processus par lesquels ces dynamiques collectives d’échange permettent des apprentissages. Par exemple, sont-elles propices à un étayage au sens de Bruner (1983) ou favorisent- elles des processus d’élaboration pragmatique (Mayen 2001) ? A quelles conditions cela peut-il s’opérer ? De fait, si certains auteurs comme Crawford et al. (2007), Cotching et al. (2009) ou Cristovao et al. (2009) s’attachent à discuter la façon d’articuler différents « instruments » (une dynamique de groupe, une réunion en face à face, des supports destinés à tracer ou planifier des

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processus de changement par exemple), l’étude est alors faite du point de vue de ceux qui doivent organiser ces instruments pour influer sur un processus d’apprentissage des agriculteurs. Elle n’est donc pas menée du point de vue de l’agriculteur et de la façon dont lui-même construit l’usage de ces différents instruments pour conduire le changement dans son exploitation.

Finalement, ces travaux disent peu de choses sur la façon dont, pour une pratique ou un ensemble de pratiques, un individu donné mobilise différents « autrui » et ce qu’il recherche auprès d’eux. Apprentissages et dynamiques de changements des agriculteurs sont analysés exclusivement en relation aux réseaux ou communautés de pratiques auxquels les agriculteurs appartiennent, sans réellement identifier la place éventuelle d’autres sources d’apprentissage comme par exemple l’expérimentation et la formation. Le contenu de l’apprentissage de l’agriculteur individuel est fortement rapproché de la norme locale ou de la norme du groupe auquel il appartient. Si le processus d’apprentissage est abordé à l’échelle collective du réseau de personnes, le processus d’intériorisation de ces apprentissages à l’échelle individuelle n’est pas approfondi.

2.2.4. Les travaux sur le rôle de l’expérimentation par les agriculteurs dans

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