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Des travaux sur des outils cognitifs, support d’apprentissages dans une interaction entre un conseiller et un agriculteur

2.2. Les travaux sur les processus d’apprentissage des agriculteurs

2.2.1. Des travaux sur des outils cognitifs, support d’apprentissages dans une interaction entre un conseiller et un agriculteur

Des agronomes (McCown 2002, Duru et al. 2007, Carberry et al. 2002, Merot et al. 2008) évoquent le fait que les Outils d’Aide à la Décision (OAD, en anglais DSS, Decision Support Systems) peuvent engendrer des apprentissages chez des agriculteurs. Mais ce courant de recherche sur les OAD qui a été un volet très actif de la recherche agronomique internationale, a fait dans les années 1990 le constat que ces OAD sont finalement très peu utilisés (Cox 1996, Doré et al. 2006, McCown et al. 2009). L’objectif initial d’aider à la décision des agriculteurs via des OAD incluant des modèles de cultures (crop models) est ainsi loin d’être atteint : « les applications dans ce domaine, malgré des décennies d’expérience dans la modélisation agroécologique, en sont toujours à leurs débuts. » (van Ittersum et al. 2003, cité par Doré et al. 2006). Différents auteurs, suite à ce constat, se sont intéressés à la façon dont des OAD basés sur des modèles de cultures et sur la simulation, pouvaient devenir des supports d’apprentissage.

Ainsi le point de départ de FARMSCAPE (Farmers’, Advisers’, Researchers’, Monitoring,

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laquelle les agriculteurs pouvaient trouver une quelconque utilité à la simulation, que ce soit grâce à la personnalisation de celle-ci (données parcellaires individualisées par exemple) ou en considérant cette simulation personnalisée comme une prestation d’accompagnement destinée à des décideurs (McCown et al. 2009). Le dispositif de cette recherche en ferme (on-farm) a alors été conduit en distinguant :

• Des expérimentations collectives avec les agriculteurs et leurs conseillers sur des parcelles productives, sur des sujets qu’ils avaient identifiés comme importants ;

• Le suivi de l'état des variables de production (concernant le climat, l’humidité du sol, et l’azote présent dans le sol) ;

• L’utilisation de modèles de simulation pour aller au-delà des expérimentations en produisant des prévisions de rendement et en explorant des enjeux d’intérêt pour les agriculteurs.

Sans évaluer le contenu de l’apprentissage de façon rigoureuse, McCown et al. (2009) rapportent, à partir de ce qu’ont exprimé les agriculteurs eux-mêmes, que le dispositif décrit ci-dessus engendre deux types d’apprentissage, selon deux processus différents. Le premier type d’apprentissage est celui de l’acquisition de connaissances sur les caractéristiques des horizons profonds de leurs sols dans le cadre des expérimentations collectives. Les auteurs rapportent que cet apprentissage lié à l’expérience et qualifié de « discovery learning » en se référant aux théories de l’apprentissage expérientiel de Kolb (1984), aurait été amélioré par la présentation graphique ex post par les scientifiques des cadres théoriques concernant la gestion de l’azote et le cycle de l’eau. Le second type d’apprentissage est celui de l’acquisition, dans le cadre des simulations, de connaissances sur des scénarios divers jouant avec les variables de climat, de rendement et d’apport d’azote.

McCown et al. (2009) interprètent leur dispositif comme facilitant la compréhension des participants « à travers la construction de cycles de savoirs successifs ». Ils affirment que « le savoir créé n’était pas tant le « savoir public » caractéristique de la science mise en pratique, mais au contraire, le savoir personnel d’un(e) participant(e) utile pour sa propre pratique, savoir qui, de plus, était « négocié » au travers d’une discussion ». Dans ce dispositif, l’outil devient un objet d’interaction entre les chercheurs et les agriculteurs. Le simulateur est interprété par les chercheurs comme un outil pour déclencher des questions sur les différents futurs possibles, la présence de l’intervenant facilitant l’apprentissage expérientiel dans une pratique virtuelle, afin que les agriculteurs construisent de nouveaux modèles conceptuels. En revanche, cette interprétation de McCown et al. (2009) n’est accompagnée ni de démonstration, ni d’illustration de la forme que peuvent prendre ces nouveaux modèles conceptuels. De plus, FARMSCAPE, présenté comme déclenchant des questionnements, et ouvrant de nouvelles possibilités tout en restant dans un monde virtuel, permet d’après ces auteurs, d’accélérer l’expérience, sans qu’ils expliquent comment elle s’est accélérée. Navarette & Le Bail

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(2007) mais aussi Navarette et al. (2006), à propos d’un autre modèle, parlent de la prise de conscience, par les agriculteurs, de leurs « marges de manœuvre » pour l’action grâce au modèle. McCown et al. (2009) avancent que FARMSCAPE permet de répondre au « dilemme de l’apprentissage expérientiel » mis en avant par Senge (1990) : l’apprentissage expérientiel de Kolb (1984), fonctionne tant que la boucle de rétroaction qui suit les actions est rapide et non ambigüe. Or ceci n’est souvent pas le cas dans le monde réel. Les simulateurs constituent donc une voie de sortie de ce dilemme en créant une expérience dans un « monde virtuel », où le temps peut être accéléré ou ralenti, où la complexité peut être simplifiée, où les actions irréversibles peuvent être rendues réversibles, et les risques d’expérimentation sont éliminés (Isaacs & Senge 1992). Dans le prolongement, McCown et al. (2009) avancent un modèle de la structure cognitive de l’apprentissage et de la prise de décision en boucle de rétroaction : la décision qui conduit à l’action est présentée comme une fonction d’objectifs, de perceptions sur l’environnement et de perceptions sur la tâche. L’action produit des résultats nouveaux dont la perception va produire de nouvelles décisions, générant ainsi un apprentissage. Mais ils ne présentent pas de résultats permettant d’asseoir la validité de ce dernier modèle. De nouvelles approches de modélisation, telles le participatory modelling, ou encore le companion modelling (Barnaud et al. 2008 ; Naivinit et al. 2010 ; Etienne 2010), intégrant l’agriculteur dans le processus même de conception de l’outil avant son utilisation offrent de nouvelles perspectives au développement des apprentissages des agriculteurs, mais là encore, les apprentissages individuels générés sont peu évalués, et leur caractérisation semble complexe (Daré et al. 2010).

D’autres auteurs en économie et sciences de gestion ont évoqué, sans le décrire ou l’analyser, l’apprentissage des agriculteurs par le prisme des OAD. Pour Attonaty et al. (1999) par exemple, l’OAD permet non seulement une aide à la décision mais aussi un apprentissage, et la question est surtout de voir comment des OAD plus ou moins informatisés peuvent être intégrés dans la relation de conseil pour accélérer le processus d’apprentissage. La question n’est pas vraiment de voir par quels processus l’agriculteur apprend avec ces OAD. Attonaty et al. (1999) affirment que les expériences concrètes accumulées au cours du temps n’offrent pas toujours le savoir suffisant pour adopter les décisions majeures et pour s’adapter au nouvel environnement de production, ce qui s’apparente au dilemme de Senge (1990). Les agriculteurs ont souvent besoin, en plus de leur propre expérience et de leur apprentissage, d’outils d’aide à la décision comportant des modèles informatiques permettant de les renseigner sur les solutions optimales, comme objet de discussion et de comparaison à l’existant, afin de favoriser l’émergence de nouvelles idées qui pourraient être appliquées dans des situations concrètes.

Ces travaux, touchant à l’usage de la simulation pour créer une expérience qui ne peut plus être acquise « sur le terrain », pourraient être rapprochés du travail des didacticiens de la didactique professionnelle sur le rôle de la simulation. Toutefois, dans les travaux des agronomes la question de la transposition didactique comme la façon d’étayer l’apprentissage n’est pas l’objet de réflexion. Les

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approches développées dans ce champ disciplinaire de la didactique professionnelle (Béguin & Weill- Fassina 1997) n’ont pas donné lieu à ce jour, à notre connaissance, à de réels développements dans le domaine agricole.

L’usage de simulateurs basés sur des modèles de culture couplés à des modèles décisionnels, n’est pas la seule voie qui a été explorée pour identifier des outils supports de l’apprentissage. Ainsi, inscrivant ses recherches dans le cadre théorique de « l’apprentissage expansif » développé par Engeström (1987), Seppanen (2002) propose trois outils à utiliser dans l’interaction avec un agriculteur pour stimuler une dynamique d’apprentissage dans la zone proximale de développement. Ces outils visent pour l’un à représenter le système d’activité pour identifier les contradictions au sein des éléments du système, pour l’autre à proposer une représentation simplifiée de la zone proximale de développement (dans le cas étudié, en proposant différentes stratégies pour augmenter le volume de production et en faisant apparaître trois positionnements par rapport aux salariés agricoles). Ces outils sont destinés à faciliter l’analyse par les agriculteurs de leur propre situation, et à leur proposer une représentation simple des sources potentielles de développement de leur activité afin de les aider à aller de l’avant dans leurs efforts pour changer. Ces outils sont à adapter par le conseiller pour faire face à des contextes spécifiques différents : il ne s’agit donc pas de fixer un objectif et une visée stables pour tout système d’activité agricole, ni de considérer que les sources potentielles de développement sont uniques. Il s’agit de proposer des cadres qui deviennent des supports pour réfléchir aux contradictions internes du système d’activité et pour les dépasser. Ici, le moteur du changement réside dans les contradictions du système. L’apprentissage est le résultat d’un processus d’analyse réflexive sur ce qui engendre ces contradictions et d’une aide apportée permettant de créer une capacité à reconstruire la visée et les objectifs du système.

Dans l’ensemble de ces travaux sur le rôle des outils dans le processus d’apprentissage, le contenu de l’apprentissage et le processus effectif par lequel les agriculteurs apprennent restent peu décrits. Dans le cas des outils informatisés couplant un modèle de culture et un modèle décisionnel, la relation entre l’apprentissage des agriculteurs et les changements techniques est peu abordée : l’OAD permet de s’ouvrir à de nouvelles idées de changement, mais les changements induits par les outils ne sont pas précisés. Dans le cas des outils proposés par Seppanen (2002), la théorie de l’activité qui sous-tend les recherches est aussi une théorie du changement mettant l’accent sur les contradictions au sein des systèmes d’activités, mais explicitant peu la dynamique des changements mis en place. Dans les deux cas, la focale, placée sur l’outil, omet de décrire la série d’interactions entre l’agriculteur et le chercheur ou le conseiller qui manipulent l’outil.

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2.2.2. Des travaux sur le rôle des dispositifs de formation dans

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