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Des différences entre trajectoires quant à la façon de mobiliser les ressources externes pour changer.

pratiques-clefs et les processus d’apprentissage

3.3. Les jugements pragmatiques qui portent sur les ressources informationnelles ou les façons d’apprendre

3.3.2. Des différences entre trajectoires quant à la façon de mobiliser les ressources externes pour changer.

En effet, les JP portant sur l’intérêt de recourir à un groupe de développement pour les raisons explicitées ci-dessus sont mentionnés par chacun des trois types de trajectoires. Il est possible de distinguer des tendances dans le recours aux groupes. Les agriculteurs de la trajectoire A expriment des JP concernant les différentes origines des ressources informationnelles et plus particulièrement concernant le GDA de Châteauroux, auquel Fabien et Thomas ont appartenu pendant 20 ans. Les agriculteurs de la trajectoire C se réfèrent au CETA. Les agriculteurs de la trajectoire B évoquent des groupes de développement dépendant de la Chambre d’agriculture, auxquels ils ont appartenu, et critiquent également le CETA de Champagne Berrichonne. Enfin, seuls les agriculteurs de la trajectoire A évoquent les nombreux apprentissages permis par les expérimentations collectives menées dans le GDA de Châteauroux dans les années 1990-2000.

En ce qui concerne la trajectoire A, aucun JP ne mentionne la coopérative : ces agriculteurs ne sont pas abonnés à leurs avertissements. Ils mobilisent plus des ressources informationnelles tout au long de leur trajectoire pour changer, et particulièrement beaucoup dans la dernière phase, 2c. On note quelques JP caractéristiques de la phase 2c : en effet, Fabien se considère comme un innovateur, ce qui lui permet de transmettre des informations sur ses pratiques, et qui lui procure une certaine satisfaction. Ce même agriculteur évoque des stratégies qu’il imagine pour diffuser les pratiques qu’il appelle de « production intégrée » : il n’aurait peut-être pas imaginé ces stratégies avant de pratiquer lui-même la production intégrée. Dans cette phase 2c, Thomas et Fabien évoquent une mobilisation accrue de certaines ressources informationnelles spécialisées dans les questions environnementales :

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l’association environnementaliste locale mais aussi l’abonnement au Courrier de l’Environnement de l’INRA. Ainsi, ces agriculteurs de la trajectoire A sont ceux qui mobilisent le plus de ressources différentes, tout en ayant une position tranchée sur les ressources fournies par la coopérative.

Les agriculteurs de la trajectoire B mentionnent de leur côté la coopérative, car ils sont abonnés à leurs avertissements et rencontrent leur conseillers. Ils affirment néanmoins que ces informations constituent une source parmi d’autres et en effet ils expriment des JP pour chaque origine d’information, excepté la famille et les voisins. Les ressources qu’ils évoquent sont plus destinées à conduire les cultures qu’à changer, bien que la différence soit parfois ténue.

Les agriculteurs de la trajectoire C sont ceux qui expriment le plus de JP sur la coopérative, y compris des critiques, telles que le peu d’essais réalisés par la coopérative sur des « alternatives » par exemple. Les deux agriculteurs, Francis et Jean-Christophe, qui, dans la phase 1, n’appartiennent plus à aucun groupe, mentionnent l’importance des groupes de développement pour s’informer, se motiver pour éventuellement changer et appartenir à un réseau social. Il peut paraître paradoxal que ce soient les agriculteurs de la trajectoire C, qui, en proportion, expriment davantage de JP concernant la diversification des ressources informationnelles, alors que ce sont les agriculteurs de la trajectoire A qui diversifient le plus leurs ressources : comme pour l’appartenance à un groupe de développement, s’agit-il d’une stratégie visée pour ces agriculteurs, qui ne serait cependant pas mise en pratique ? Les agriculteurs de la trajectoire A considèrent-ils comme une évidence la nécessité de diversifier leurs ressources informationnelles et est-ce pour cette raison qu’ils l’évoquent si peu ?

Le codage des processus d’apprentissage (dont les résultats sont présentés dans la partie 3 Résultats-2 . Styles d’apprentissage) a permis d’identifier des processus se référant à des changements dans les méthodes d’apprentissage. Nous retrouvons ce point ici. Ces changements dans les méthodes d’apprentissage mentionnent l’intérêt des groupes de développement, les méthodes d’expérimentation collective, la mise en place d’un témoin 0, la notation des pratiques, les négociations entre les agriculteurs pour arriver à un cahier des charges commun. Ces changements concernent trois agriculteurs différents (Pierre, de la trajectoire B, et Luc et Thomas de la trajectoire C) mais ils sont significativement caractéristiques de l’agriculteur Thomas (p.value < 0.1), ce qui n’est pas étonnant compte-tenu du fait que c’est cet agriculteur qui a également exprimé le plus de JP sur les ressources informationnelles et les façons d’apprendre.

D’après ces résultats sur les JP relatifs aux ressources informationnelles et les résultats sur les processus d’apprentissage, il semble que les agriculteurs qui s’expriment sur les façons d’apprendre et évoquent des changements à ce niveau sont aussi ceux qui vont le plus loin dans la réduction d’intrants (trajectoire A et Pierre de la trajectoire B). Or les changements concernant des aspects systémiques, passages obligés dans la phase finale de ces trajectoires, sont caractérisés par des expérimentations relativement autonomes. Il semble donc que, dès lors que les agriculteurs ont eu l’occasion de mener

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des expérimentations collectives ou des expérimentations encadrées par un groupe de développement, expérimentations sur lesquelles ils s’expriment beaucoup, ils disposent de méthodes et d’idées pour être plus autonomes par la suite dans leur recherche d’information ainsi que dans leurs propres expérimentations.

3.4.

Conclusion et discussion partielle

Les résultats présentés dans cette partie souffrent d’une difficulté méthodologique importante. En effet, l’analyse comparative que nous tentons de mener n’est pas totalement satisfaisante car les agriculteurs énoncent des JP à l’occasion d’un entretien sur les changements qu’ils ont opéré et non à l’occasion de la réalisation concrète d’une même opération ou série d’opérations pour faire face à un environnement dynamique dont les caractéristiques seraient bien décrites. Pour tenter de surmonter cette difficulté, nous avons choisi de privilégier la comparaison à partir des pratiques-clefs, dans la mesure où ces dernières représentent en quelque sorte des points de passage obligé, dans la zone étudiée, pour aller vers la réduction d’intrants. Néanmoins, nous avons vu que les JP concernant ces pratiques représentent seulement un quart des JP identifiés sur le fondement des entretiens en relation avec la réduction d’intrants. Ainsi, on peut penser que l’acquisition de connaissances sur ces pratiques- clefs n’est pas suffisante pour stabiliser des phases de cohérence et suivre une trajectoire donnée et que d’autres connaissances sont en jeu et mises en mouvement à l’occasion de ces changements. Ce point mériterait certainement d’être approfondi pour mieux comprendre les relations entre les thèmes que nous avons pu identifier. Le travail sur les modèles opératifs de deux agriculteurs, présenté dans la dernière partie de ces résultats, doit permettre d’aller dans cette direction.

Il est intéressant néanmoins de noter que, pour une pratique-clef donnée, il est possible de dégager des différences quant aux JP qui sont énoncés par les agriculteurs appartenant à des trajectoires différentes, et des similitudes quand ils sont dans une même trajectoire. Nous avons pu souligner que les connaissances sur les leviers d’action ne sont pas nécessairement les mêmes selon les trajectoires pour chaque pratique-clef partagée entre les différentes trajectoires. Il est plus difficile d’en inférer que cela conduit à des différences de représentation de l’agroécosystème, même si certains indices laissent penser que les agriculteurs de la trajectoire A acquièrent systématiquement, pour une pratique-clef donnée, une connaissance plus approfondie des dynamiques en jeu. Ceci mériterait néanmoins d’être confirmé à partir d’un jeu de données plus important.

Pour finir, notons également que les différences qui se dégagent entre les trajectoires sur les connaissances liées aux pratiques-clefs ne semblent pas totalement indépendantes de la façon dont les agriculteurs valorisent les ressources externes disponibles dans la zone étudiée. Ainsi, dans le cas du

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raisonnement de la fertilisation azotée, il semble que le choix de l’OAD, dépendant des organismes de conseil avec lesquels l’agriculteur est en contact, ait un impact sur les JP relatifs au raisonnement de l’azote. Pour les pratiques-clefs « itinéraire intégré du blé » et pour celles qui marquent le passage à la phase 2c, c’est sans doute la capacité à diversifier les sources et à explorer par soi-même qui fait la différence.

4.

Evolution du contenu de l’apprentissage : l’évolution des modèles

opératifs

Dans la partie précédente nous avons évoqué une limite qui réside dans l’absence de prise en compte de tous les jugements pragmatiques (JP) pour une phase de cohérence donnée lorsque l’on se concentre sur les pratiques-clefs. Pour dépasser les limites nous avons choisi de caractériser l’évolution des modèles opératifs de deux agriculteurs appartenant respectivement aux trajectoires B et A. Le modèle opératif constitue, pour une situation donnée, un ensemble de concepts pragmatiques ou encore un ensemble cohérent de jugements pragmatiques qui orientent l’action. Comme nous l’avons évoqué dans la partie méthodologique, nous avons choisi d’assimiler chaque phase de cohérence agronomique à une classe de situations pour laquelle il est donc possible de définir un modèle opératif. Une phase de cohérence a une « épaisseur temporelle » importante. Il ne s’agit donc pas tant de définir les principes qui orientent une action à caractère tactique, mais plutôt ceux qui orientent l’action de conduite des cultures sur un plan stratégique, c’est-à-dire ceux qui aident à choisir les leviers agronomiques mis en œuvre pendant une phase de cohérence. Nous verrons que cela peut nous amener à dégager des éléments sur la façon dont les agriculteurs se représentent l’agrosystème, voire l’agroécosystème.

Chaque agriculteur est donc caractérisé par un modèle opératif à chaque phase de cohérence agronomique qu’il traverse. Pour l’agriculteur Pierre les numéros des JP permettant d’arriver au modèle opératif ont été précisés à titre d’exemple. Chaque modèle opératif est schématisé ici par une « carte mentale » mettant en relation les différents jugements pragmatiques selon deux champs de connaissances que nous distinguons. D’une part, les connaissances pragmatiques regroupent les critères d’évaluation principaux que les agriculteurs mobilisent pour évaluer leur action et les changements qu’ils opèrent, les connaissances sur les pratiques elles-mêmes (conditions de mise en œuvre, faisabilité, intérêt pour la réduction d’intrants par exemple), la représentation de l’agrosystème (prise en compte des différents compartiments ou/et des relations entre les différents compartiments). A partir de cela, nous pouvons déduire les principes organisateurs de l’action dans la phase de

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cohérence considérée. D’autre part, nous incluons dans le modèle opératif les connaissances sur les façons d’apprendre et nous intéressons également à la façon dont celles-ci évoluent.

La légende utilisée a été présentée à la page111 dans la partie méthodologie. Les processus d’apprentissage à l’origine de certains changements de pratiques sont présentés à titre illustratif. Un bilan des liens entre l’évolution des processus d’apprentissage et l’évolution des modèles opératifs est présenté pour chaque agriculteur.

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