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Les trajectoires selon le travail du sol

1.7. Conclusion et discussion partielle

Ainsi, le modèle de trajectoires de changements de pratiques vers la réduction d’intrants nous a permis d’identifier trois types de trajectoires. Le démarrage en phase de cohérence 0, caractéristique de tous les agriculteurs dont la trajectoire commence avant 1995, pourrait correspondre aux deux premières phases du « cycle de vie » de Tchayanov, cité par Jamin et al. (2007) et à la mise en place de pratiques partagées par le voisinage. Cependant, nous avons été conduites à distinguer des phases de cohérence moins distinctes les unes des autres que ce que nous avions imaginé en construisant notre

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modèle d’analyse. En revanche, la séparation que le modèle fait entre la mobilisation d’outils d’aide à la décision pour décider de l’utilisation des intrants (phase 1) et la mise en œuvre de pratiques relevant d’ITK intégrés (phase 2 a et b), est moins tranchée dans la réalité des exploitations. Ce chevauchement que l’on constate est alors principalement dû au fait que ces changements s’effectuent progressivement d’abord sur le blé et d’abord sur les questions de fertilisation, puis ensuite sur les applications phytosanitaires et le colza.

Les différences de performances de 2008 entre les trajectoires A et C en matière de consommation d’intrants, de charges opérationnelles et de rendement sont convergentes avec les résultats de la littérature. Les conclusions de l’expertise collective Ecophyto R et D (Ecophyto R&D 2009) par exemple, mettent en avant que la réduction des pesticides la plus facile à entreprendre concerne les fongicides et les insecticides ce que nous constatons aussi. Ces conclusions indiquent aussi des différences de rendement entre des systèmes de culture dits « raisonnés » et des systèmes de culture dits « intégrés » de l’ordre de 10% pour le blé et de 15% pour le colza quand les IFT sont réduits de 40 à 50%, ordre de grandeur équivalent à nos résultats. Les quelques chiffres que nous avons sur les marges (partiels et donc pas comparables statistiquement) montrent des résultats très comparables voire meilleurs dans les systèmes dits « intégrés ». Cet effet des choix de systèmes à bas niveaux d’intrants sur les résultats économiques dépend pour partie des rapports de prix entre produits récoltés et intrants d’une part et des potentialités des milieux (Mischler et al. 2008, Meynard et al. 2009).

La position des agriculteurs passés à l’Agriculture Biologique en 2010 dans des trajectoires différentes confirment le fait constaté par d’autres auteurs (Bonnaud et al. 2000 cité par Lamine & Bellon 2009b, Gafsi et al. 2010), que les transitions vers l’AB peuvent se faire selon des schémas très différents : soit comme une suite logique à une trajectoire A avec un « saut » dans les pratiques assez faible au moment de la conversion ; soit de but en blanc depuis un système intensif en changeant complètement de système technique parce que les maladies et adventices ne sont plus maîtrisées. Les auteurs cités mettent aussi en avant que cette dernière tendance peut être soutenue par des moteurs économiques (prix incitatifs et débouchés locaux).

Notre approche permet aussi d’identifier des pratiques-clefs, parmi l’ensemble des pratiques de transition que nous avions préétablies. Ce sont celles qui s’avèrent avoir été particulièrement structurantes dans la région d’étude et qui, de fait, sont mises en œuvre par l’ensemble des agriculteurs de l’échantillon passant d’une phase à une autre. Néanmoins, il est intéressant de souligner que, pour la trajectoire de type A, plusieurs pratiques-clefs qui, dans le type B, sont mises en place successivement, sont déployées conjointement et permettent une évolution plus rapide vers des phases de cohérence 2b et 2c.

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Les phases de cohérence agronomique et les pratiques de transition ont été comparées au cadre d’analyse conceptuel des écologues Hill & MacRae (1995) : Efficience, Substitution et Re-conception (ESR). L’efficience correspond à une optimisation des pratiques agricoles afin de réduire l’usage d’intrants. Elle correspond plutôt à la transition entre les phases 0 et 1 de nos trajectoires, permise par l’usage d’outils d’aide à la décision pour mieux adapter les apports et traitements en fréquence, doses et dates d’application aux risques réels. La substitution conduit à remplacer les intrants et les pratiques conventionnels (intensifs en ressources externes et/ou dégradant l’environnement) par des alternatives. Ceci correspond dans nos trajectoires au passage entre les phases 1 et 2. Enfin, la reconception consiste à repenser et modifier le système en favorisant les régulations biologiques, physiques et chimiques de la fertilité, des espèces concurrentes et des ravageurs. Ce processus qui pourrait caractériser la transition entre les phases 2b et 2c de notre modèle, est fondé sur l’objectif de prévenir les problèmes phytosanitaires pour réduire au maximum le recours à des mesures correctrices et s’appuyant non seulement sur les transformations des systèmes de culture mais aussi sur la gestion des espaces interstitiels du paysage : les haies, les bandes enherbées. Ces limites sont parfois discutables. On peut considérer que le paquet technique « variétés résistantes+densité de semis+réduction des doses d’azote+changement des dates de semis (retard pour le blé par exemple) » en phase de cohérence 2a est une reconception des itinéraires techniques du blé. On peut considérer que l’utilisation du désherbage mécanique dans la phase 2c dite de production intégrée est une simple substitution.

Ainsi, la Figure 17 présente la typologie revisitée à l’aune du cadre ESR, permettant de qualifier chaque type de trajectoire : (i) type A en ESR, Efficience, puis Substitution puis Reconception; (ii) type B en ES Efficience puis Substitution ; (iii) type C, E, Efficience.

En confrontant les résultats acquis en Champagne Berrichonne de l’Indre avec ceux acquis par des sociologues en Seine-et-Marne (voir projet ANR Systerra POPSY, Lamine et al. 2010a) cette lecture en termes ESR permet de faire l’hypothèse, à confirmer par d’autres analyses de trajectoires dans d’autres territoires, que pour parvenir à une phase de cohérence agronomique de production intégrée comme cela est le cas pour les agriculteurs de la trajectoire de type A, les exploitations passent d’abord par les autres phases d’Efficience et de Substitution, avec un « tuilage » de ces phases, dans des trajectoires sociotechniques de type « progressives et robustes » (Lamine et al. 2009). Ce qui nous incite à faire cette hypothèse tient au constat que les trajectoires que nous avons observées sur la longue durée, s’inscrivent en partie dans la période de basculement de la PAC, qui a, de fait, favorisé ces démarches d’efficience. Néanmoins, en période d’augmentation des prix (pour le blé en 2007-2008 par exemple), nombre d’agriculteurs sont revenus en arrière au sein même de la démarche d’efficience (application d’un fongicide de plus sur le blé par exemple). Par contre les agriculteurs résolument engagés dans la reconception de leurs systèmes ont maintenu leur position.

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Figure 17 -Typologie de trajectoires revisitée à l’aune du cadre d’analyse ESR.

2c Production intégrée 2b 2a ITK intégré sur blé 2

Protection intégrée ou production intégrée 0b 0a 0 Intensive en intrants 3 AB 1 Raisonnée Phase de cohérence agronomi que Type E Type ES Type ESR ESR ESR ESR

ESR frameworkframeworkframeworkframework (Hill & (Hill & (Hill &

(Hill & MacRaeMacRaeMacRaeMacRae, 1995), 1995), 1995), 1995) EfficiencyEfficiencyEfficiencyEfficiency SubstitutionSubstitutionSubstitutionSubstitution RedesignRedesignRedesignRedesign

2.

Les styles de processus d’apprentissage

Dans ce chapitre 2 de la partie « Résultats » nous présentons les résultats relatifs aux processus d’apprentissage, les résultats relatifs au contenu de ce qui a été appris sont présentés dans les deux chapitres suivants.

A l’issue du dispositif de dépouillement (voir la partie « Démarche méthodologique » page 95) des entretiens des huit agriculteurs dont nous avons approfondi les modalités d’apprentissage, la base de données des processus d’apprentissage identifiés, une fois consolidée, comprend 120 PCA (entre 8 et 30 par agriculteur). Chacun d’entre eux est décrit par un jeu de huit variables descriptives explicitant les phases de « mise en alerte », « d’expérience » et « d’évaluation » que nous avons retenues pour rendre compte des processus d’apprentissage. Chaque processus d’apprentissage se rapporte à l’agriculteur qui l’a mis en œuvre, au type de trajectoire de changements de pratiques (trajectoire A, B, C ou D), à la phase de cohérence agronomique et à la nature du changement technique concerné.

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