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Certains architectes énoncent le fait qu’il serait dommage d’envisager une construction paille comme une construction conventionnelle. La question est de savoir comment appréhender ce matériau d’un point de vue architectural et spatial.

L’épaisseur inhérente à la paille est souvent l’objection mise en avant dans le fait qu’elle est inadaptée à la ville. C’est la conclusion du rapport (1) de Julie Feste lorsqu’elle compare l’utilisation de la paille

et celle du chanvre ; La paille étant destinée pour la campagne, le chanvre pour la ville.

Comme nous avons pu le voir précédemment, le gabarit de la botte de paille est déterminé en fonction de la presse, et les dimensions sont imposées. Certains formulent la possibilité de reformer les bottes pour qu’elles correspondent au projet plutôt que d’adapter le bâtiment à ses dimensions. Cela suppose donc d’insérer une étape dans le processus de fabrication de la botte, ce qui peut être préjudiciable si l’on souhaite rester dans un circuit court.

On peut aussi envisager la problématique liée aux dimensions du matériau sous un autre aspect.

Nous partons de l’idée que cette contrainte peut être prétexte à de nouvelles expérimentations, autant sur le mur et ses limites, que sur les modes d’habiter : ces notions étant étroitement liés.

1-FESTE Julia, études des filières paille et chanvre pour l’éco-construction en circuit-court, région Pays de la Loire, Rapport de Travail de Fin d’Étude, Options Energétique-Environnement &Management de Projet, encadré par Pablo Bellanger, président du Niveau à Bulle, avec centrale Nantes et le Niveau à Bulle, Avril-septembre 2012.

Ces nouvelles écritures architecturales, ou manière de faire de l’architecture en pensant l’épaisseur du matériau, pose la base de notre problématique dans le travail réalisé avec Camille Péneau lors de l’option Borderline, encadré par Sabine Guth et Romain Rousseau. Pour que ce projet puisse être démonstratif et comparé, nous avons choisit un programme commun : différentes typologies d’habitations dans un milieu urbain exigüe, ce qui nous permettait de nous confronter au mur épais pour que les habitations puissent être viables.

Dans un premier temps, nous sommes repartie de l’histoire du mur habité, avec en parallèle des recherches autour de l’habitat individuel pratiqué en France.

L’étude (1) sur laquelle nous nous sommes basés (2), distingue 4 types de

murs habités. Le mur massif habité, le mur creux continu et discontinu, et enfin la masse habitée.

1-LAURENT Benjamin et PUISSANT Marine, Le mur habité. Séminaire théorie et projet, Jacques Lucan, Ecole d’architecture de la ville et des territoires, marne-la-Vallée, janvier 2011, 64p.

Les faces du mur sont désolidarisées. Souvent la face extérieure présente une paroi lisse tandis que l’intérieur fonctionne sur une toute autre logique. Il y a une forme dans la forme, qui permet de traiter des questions externes et internes en même temps. On peut également parler d’espace contenus et d’espaces enclos, ce qui sous entend aussi une hiérarchie des espaces. C’est ce que développera Louis Kahn, lorsqu’il parle du mur comme un contenant plutôt que plein, ou encore lorsqu’il parle d’espace servit et servant. Les espaces contenus peuvent avoir différentes formes, fonctions ou usages sans incidence sur l’espace principale. Le mur massif habité présente souvent une limite franche entre intérieur et extérieur et l’épaisseur peut également être vue comme un espace de seuil […].

Château de Comlongon, Ecosse.

source : https://www.pinterest.com/pin/340795896778896726/

2-Extrait du travail réalisé avec Camille Péneau, habiter la paille, dans le cadre de l’option de projet Borderline, encadré par Sabine Guth et Romain Rousseau, juin 2015. (texte retravaillé)

Herzop & de Meuron, centre du Flamenco, Jerez de la Frontera, Espagne, 2003.

Au mur massif habité, on trouve la réponse du mur creux continue, qui est un dédoublement du mur, un entre-deux, et un espace qui peut être parcouru. Il est une limite franchissable puisqu’il est évidé et met en relation l’intérieur et l’extérieur. On peut y voir aussi un glissement entre le mur réel et le mur métaphorique. Le mur dédoublé peut comprendre les zones de service, les circulations dans l’interstice, les lieux de transitions.

Source : http:/classes.rwu.edu/a287/F09/finch/html/index.html

Source : https://warrenlawson.wordpress. com/2013/02/25/louis-kahn-another-look/

Synagogue d’Hurva à Jérusalem, Louis Kahn

Source : https://www.pinterest.com/dong0965/peter-zumthor/

Thermes de Vals, Suisse, Peter Zumthor, 1956

Le mur creux discontinue, quand à lui, ferait référence à une dislocation entre le mur et la colonnade, la colonnade recréé parfois la limite, comme c’est le cas le la Synagogue d’Hurva à Jérusalem de Louis Kahn. La colonne est évidée et devient limite et espace qui abrite les services. Il est un élément ponctuel, autonome et organise un vide continu, qui fonctionne par seuils multiples.

On en vient petit à petit à la masse habitée, un épaississement maximal de la limite, une désolidarisation des parois et leurs éloignements. La question est de savoir si cet espace est alors ressenti comme un mur habité et s’il n’est pas vu comme un même élément. En fait, il est plus métaphorique, « il consiste à organiser des espaces vides ‘creusés’ dans une masse d’espaces ‘pleins’ ». Il est plus un processus qui permet d’inverser le regard et penser le vide comme un espace malléable à organiser. Cette vision d’un mur métaphorique nous amène alors au mur purement métaphorique, à sa disparition quasi physique, comme il est plus courant de le voir aujourd’hui.

Source : https://www.pinterest.com/pin/435723332671002273/

Source : https://www.pinterest.com/pin/119345458846282906/

Maquette volumétrique des pleins et des vides de la Casa em Alcader Do Sal, Portugal, 2003, Aires Mateus.

Dans le travail « habiter la paille », nous avons définis trois typologies d’habitations  : deux maisons individuelles, deux colocations de quatre habitants chacune et six studios. Nous avons fonctionné avec la logique que chaque mur doit avoir sa propre fonction pour correspondre au mieux aux modes d’habiter. La technique doit, elle aussi, se décliner en fonction de l’usage du bâtiment et donc des pratiques de ses habitants.

Le travail autour de l’écriture architecturale avec la paille permet également d’interroger les gestes pour travailler la matière. Le mur est-il creusé ? La matière est-elle extraite ? Est-elle modelée ? C’est par ces gestes que nous arriveront à trois écritures différentes en fonction des typologies d’habitations.

Le mur servant

Pour les studios, espaces restreint avec un besoin d’intimité totale, nous choisissons de développer un mur servant, condensant les espaces techniques. Le mur est porteur, pas seulement d’un point de vue structurel, mais aussi porteur de la dimension technique de l’habitat (gaines techniques, tuyauteries, mobilier…). Cela permet de libérer un maximum d’espace appropriable dans ce lieu restreint qu’est le studio. Dans une logique de fabrication rapide, la technique des caissons préfabriqués fonctionnant par module, nous a semblé la plus intéressante pour répondre à ces enjeux.

Le mur limite

Le mur pour la colocation peut être vu comme un moyen de gérer les degrés d’intimités. Il peut être une limite qui se renforce ou se dilate, épaisse ou fine, qui permet de s’adapter au besoin d’isolement et dans un même temps, aux moments de partage. L’utilisation de la paille en intérieur permet d’offrir une bonne isolation acoustique et de créer

des «  cocons  » pour les chambres. Nous choisissons d’utiliser le mur comme une courbe se déployant dans l’espace, ce qui permet aussi d’expérimenter cette autre écriture de la paille. Ce sera la technique du GREB qui sera choisit, pour pouvoir également insérer le mobilier dans les murs et ainsi libérer un maximum de place.

plan de la colocation, R+2, travail réalisé avec Camille Péneau

Le mur sculpture

Dans la maison, on part du postulat que les habitants partagent au maximum les espaces, étant de la même famille. On réduira donc les espaces intimes. La vie familiale sera privilégiée avec une habitation plutôt centré sur elle-même. En effet, l’habitat tel que nous le concevons dans la majorité des cas, est pensé comme un espace clos, entouré et emballé pour protéger la vie intime. Le privé et le public sont dans ce cas deux mondes distincts. La limite est clairement définie par le mur, la façade, qui est à la fois enveloppe et apparat.

Le mur plein est alors sculpté pour créer des vides qui abriteront les espaces de vies. Nous utiliserons pour se faire la technique Nebraska pour expérimenter cet usage du mur. Cette technique nous permettra aussi de travailler les espaces comme la fenêtre, en la pensant comme étant un espace à part entière et comme une interface urbaine.

plan d’une maison, R+2, travail réalisé avec Camille Péneau

Nous nous sommes questionnés sur les pratiques autour de la construction paille et sur la mission de l’architecte au regard des spécificités liées à ce matériau. Nous avons aussi interrogé les formes architecturales que pouvait prendre la construction paille à travers le travail de l’épaisseur.

Il s’agit maintenant d’évoquer les moyens possibles pour permettre l’essor de la construction paille, en tentant de mettre en avant les abus que cela pourrait engendrer.

3-L’ENVOL DE LA CONSTRUCTION