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Le travail social et ses enjeux identitaires s’actualisent bien différemment dans les divers milieux de pratique (Pullen-Sansfaçon et Cowden, 2012). En réadaptation, c’est le travail en collaboration interprofessionnelle étroite et la nature spécialisée et surspécialisée des services

24 qui y sont offerts, qui soulèvent des enjeux identitaires particuliers. À ces enjeux reliés à la structure organisationnelle en réadaptation, s’ajoutent ceux présents en travail social, où un sentiment de manque de reconnaissance est très présent (Pullen-Sansfaçon et Ward, 2012). Cela dit, en réadaptation en déficience physique, les travailleuses sociales sont perçues comme ayant un rôle supplétif au véritable travail de réadaptation (Prud’homme, 2011b), ce qui les positionne plus clairement au bas de l’échelle de la hiérarchie interprofessionnelle.

Dans les milieux de réadaptation physique, en fait, les professions psychosociales sont plus souvent affectées à des tâches supplétives, dont l’IRM [Institut de réadaptation de Montréal] et l’OTRC [Occupational Therapy and Rehabilitation Center] avaient donné le modèle dans les années 1960. On attend surtout d’elles, non qu’elles identifient leurs propres objets d’intervention, mais plutôt qu’elles facilitent l’action des autres thérapeutes en aplanissant les obstacles émotifs à la réadaptation. (Prud’homme, 2011b, p. 98)

De la même façon, Prud’homme (2011b) rappelle que les travailleuses sociales ne sont pas reconnues pour bien maitriser l’expertise requise pour travailler dans ces établissements, soit les connaissances en lien avec la déficience physique et le cadre de référence pour l’intervention – le PPH. En fait, selon cet auteur, cette discipline détiendrait une expertise marginale peu reconnue dans ce contexte, alors que la maitrise de ces expertises contribue à déterminer la position hiérarchique des diverses disciplines dans l’équipe.

Cela dit, les efforts faits pour améliorer la position hiérarchique des travailleuses sociales ont donné des résultats positifs pour le champ d’expertise du travail social – le champ psychosocial – mais pas nécessairement pour les travailleuses sociales elles-mêmes (Prud’homme, 2011b). Ainsi, alors que le champ psychosocial est de plus en plus vu comme devant faire partie des cibles d’interventions, les travailleuses sociales ne sont pas nécessairement reconnues être celles qui doivent se charger de faire ces interventions. En plus d’ainsi perdre le monopole du champ

25 qui les caractérise, l’investissement de ce champ par d’autres professionnels a fait place à un changement dans la façon de l’investir. Il y a donc un sentiment que ce champ leur a été enlevé pour ensuite être dénaturé par des acteurs d’autres professions.

Cela nous amène à proposer l’idée que l’identité professionnelle des travailleuses sociales œuvrant dans les établissements de réadaptation en déficience physique du Québec est particulièrement intéressante à étudier en raison des divers enjeux identitaires qui la traversent. C’est principalement dans la rencontre entre les enjeux identitaires propres aux travailleuses sociales et ceux qui sont le propre des établissements de réadaptation que cet intérêt prend forme.

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3 Question, objectifs

L’identité professionnelle étant influencée par divers facteurs, qu’ils soient personnels, professionnels ou organisationnels (Duval, 2011; Mathys, 2012), l’identité professionnelle des travailleuses sociales œuvrant en réadaptation en déficience physique semble particulièrement intéressante à étudier en raison des divers enjeux qui la traversent et que nous venons de détailler. En effet, pour se faire une place dans une équipe multidisciplinaire, dans le respect du mandat – spécialisé et surspécialisé – qui leur est confié, tout en restant fidèles à l’identité de leur discipline, les travailleuses sociales de ce milieu d’intervention vivent des défis rendant leur identité professionnelle intéressante à explorer davantage. À travers ces défis, il est possible de voir que la place des travailleuses sociales dans l’équipe de réadaptation n’est pas si bien définie. Les contours en restent malléables, laissant une certaine marge de manœuvre aux travailleuses sociales dans leur définition identitaire, tant que certaines balises sont respectées. C’est dans ce sens que le présent projet de recherche propose de répondre à la question centrale suivante :

Dans le contexte de la réadaptation en déficience physique, quelle est la perception qu’ont les travailleuses sociales de leur identité professionnelle ?

La réponse à cette question vise à mieux comprendre la perception qu’ont les travailleuses sociales de leur propre identité professionnelle, à l’intérieur de l’espace structuré du milieu de pratique de la réadaptation en déficience physique au Québec. Pour y arriver, nous souhaitons :

1) mieux connaître la conception qu’ont les travailleuses sociales de leur discipline d’attache ; 2) explorer leur compréhension du mandat qui leur est confié par leur établissement d’embauche, soit le mandat de réadaptation auprès d’une clientèle ayant une déficience

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physique ; 3) étudier la place qu’elles ont dans l’équipe, à travers les clientèles, rôles et tâches qui occupent leur quotidien ; et, finalement, 4) explorer les tensions qui naissent dans l’arrimage de ces éléments – discipline, mandat, place dans l’équipe.

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4 Recension des écrits

Une recension des écrits permet d’identifier comment le sujet ciblé a été étudié dans le passé, tant pour éviter de refaire ce que d’autres ont déjà fait, que pour apprendre à partir de ce qu’ils ont fait. Ici, la recension des écrits permet de conclure qu’étudier le travail social n’est pas chose nouvelle. De la même façon, l’identité professionnelle a été étudiée par plusieurs auteurs, de diverses façons, bien que peu de recherches se soient penchées sur la question de l’identité professionnelle comme concept, préférant l’étudier chez les membres d’une profession donnée ou en se concentrant sur un milieu de pratique (Trede, Macklin et Bridges, 2012). C’est à la fois en ce qui concerne la ou les disciplines ciblées par l’étude que les écrits se distinguent, mais aussi selon les angles théoriques, conceptuels et méthodologiques adoptés par les différents auteurs.

Aussi, la recension effectuée permet d’affirmer que plusieurs auteurs se sont déjà intéressés à l’identité professionnelle du travail social ou des travailleuses sociales. Ceux-ci semblent surtout centrer leurs recherches sur un milieu de travail ou un domaine d’exercice précis, tel que le travail social en CLSC (Pelchat, Malenfant, Côté et Bradette, 2004) ou le travail social hospitalier (Beddoe, 2013; Bénard, 2010; Berthiaume, 2009; Payne, 2004). Par contre, jusqu’à maintenant, aucun auteur ne semble s’être intéressé à l’identité professionnelle du travail social dans le milieu de la réadaptation en déficience physique.

En fait, le seul auteur identifié qui a étudié un objet qui s’apparente à celui proposé ici est Prud’homme (2011a; 2011b; 2008). Ce dernier s’est intéressé non pas à l’identité même des travailleuses sociales dans ce contexte, mais à leur histoire. À travers ses écrits, une partie des

30 caractéristiques de l’identité professionnelle des travailleuses sociales œuvrant en réadaptation en déficience physique sont donc présentées, bien que d’autres en soient absentes, puisque l’identité professionnelle n’est pas au centre de ses recherches. Le lecteur attentif remarquera d’ailleurs que les écrits de cet auteur sont très présents dans la présente thèse, puisqu’il s’agit des seuls ayant une si grande proximité avec l’objet de recherche.

Cela dit, bien qu’aucun autre écrit n’ait pu être identifié comme ayant une si grande proximité avec l’objet ici étudié, plusieurs autres écrits peuvent être mis à contribution pour comprendre comment des sujets similaires ont été traités dans le passé. Pour ce faire, nous commencerons par détailler ce qui ressort des écrits au sujet du concept d’identité professionnelle, pour ensuite s’intéresser à ce qui est dit plus spécifiquement au sujet de l’identité professionnelle du travail social et des travailleuses sociales.