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Une autre tension qui traverse la pratique quotidienne des travailleuses sociales rencontrées est la place à laisser aux proches, ce qui semble particulièrement important puisque, selon elles, « en travail social, on travaille avec les familles » (Aurélie, Phase 1). En fait, il semble clair que l’usager est central dans les interventions de l’équipe, mais la place de ses proches est moins bien précisée par le mandat de réadaptation. De la sorte, certaines participantes considèrent que leurs clients sont à la fois l’usager et ses proches, positionnant les proches comme « clients à part entière », alors que d’autres positionnent les proches plutôt dans un rôle périphérique, comme « clients par ricochet ». Alors que les premières critiquent les deuxièmes en affirmant que de positionner les proches comme clients par ricochet les objectifient, les deuxièmes reprochent aux premières de ne pas toujours bien respecter les droits fondamentaux des usagers en priorisant parfois les besoins de leurs proches.

Ça, c’est vraiment, le droit de la personne, pas le besoin de sa fille ou de son parent, mais le besoin de mon client et ses droits à lui. Je comprends que la famille est épuisée. On va essayer de trouver des moyens, mais pas au détriment des décisions de la personne. Mais, je sais que, pour d’autres, l’impact sur la famille a beaucoup de place dans leur façon d’intervenir. (Chloé, Phase 1)

Malgré la présence de ces variations, l’analyse des données suggère que les proches sont habituellement considérés comme des clients par ricochet par l’équipe, ce qui limite les

158 interventions possibles à faire avec eux. Toutefois, de façon assez intéressante, cela est variable d’un endroit à l’autre, et il apparait que les proches de la clientèle enfant, même lorsque considérés comme des clients par ricochet, ont souvent droit à plus de services que les proches de la clientèle adulte.

Tout le monde est quand même sensibilisé que la famille a beaucoup d’impacts sur le fonctionnement de l’enfant, donc quand on parle d’un parent qui va nous parler de sa séparation difficile, des droits de garde, de d’autres difficultés qui ne semblent pas nécessairement liées actuellement avec la réadaptation physique, mais ça se vend mieux, parce qu’il vit quand même dans cette famille-là […] Donc d’aller calmer ça fait plus de sens chez l’enfant, que peut-être chez l’adulte. (Clara, Phase 2)

En fait, non seulement les membres de l’équipe de réadaptation ont plutôt tendance à impliquer les proches comme clients par ricochet, mais il apparait que les proches se positionnent souvent eux-mêmes de cette façon, parfois même comme extérieurs à l’entité-client. Leur offrir des services visant à répondre à leurs propres besoins présente alors le double défi de leur faire nommer des besoins les concernant directement, ainsi que de les motiver à modifier leurs propres comportements ou attitudes.

À l’université, on a tendance à nous former que le client vient te voir, dans un contexte de volontariat […] Alors que, comme je te dis, dans le fond, quand ils viennent, c’est « mon enfant a un besoin, mon enfant a un problème », mais des fois ils ne réalisent pas que, eux aussi, peuvent avoir besoin, peuvent vivre des réactions, vivre des émotions avec tout ça. (Simone, Phase 1)

Impliquer de cette façon les proches comme client par ricochet découle sur différents défis, tels que faire respecter leur rythme dans le processus de réadaptation ou travailler des aspects qui leur sont plus personnels. Ainsi, non seulement une tension existe dans la façon qu’auront les participantes d’inclure les proches dans leurs interventions, soit comme client à part entière ou

159 comme client par ricochet, mais cette tension a des répercussions sur les défis qui traverseront le quotidien des travailleuses sociales.

13 Se positionner entre le travail social et la réadaptation

Ayant questionné les participantes sur leur conception du travail social, de la réadaptation et de la façon qu’ont ces deux entités de se rencontrer dans leur quotidien, nous avons pu remarquer que chacune est appelée à négocier quels éléments de ces deux entités seront retenus dans leur identité professionnelle propre. En fait, elles soulignent souvent que leur contexte de travail ne leur permet pas de faire ce qu’elles voudraient, de se définir comme elles le voudraient, ce qui rappelle que l’identité professionnelle se vit et se construit en lien avec l’environnement. Le contexte de travail n’est toutefois pas uniquement une contrainte à l’expression de l’identité qu’elles aimeraient mettre de l’avant. C’est plutôt un ensemble de balises qui délimitent la marge de manœuvre qu’elles ont pour exprimer leur conception de leur identité professionnelle.

Le contexte de la réadaptation en déficience physique impose donc certaines balises – mandat de l’établissement, composition de l’équipe, etc. – qui délimitent les possibilités qui se présentent aux travailleuses sociales dans la façon dont elles peuvent actualiser leur identité professionnelle. Toutefois, grâce à leur marge de manœuvre, elles choisissent – ou rejettent – certains éléments du contexte comme source d’influence de leur identité professionnelle. Pour ce faire, les participantes vont se « chercher des alliés » (Mathilde, Phase 2) et décider aux attentes de qui elles se conformeront. C’est en fait en tenant compte du contexte que, à travers cette négociation, ce qui les entoure influencera ou non leur identité professionnelle. Sara (Phase 1) explique par exemple faire « plein de choses qui ne sont pas sues » par son équipe, se donnant ainsi le droit de ne pas se laisser influencer par son équipe dans certains choix cliniques.

162 Cela dit, il semble y avoir chez les participantes tout un continuum de conformité aux attentes qui les entourent. Certaines affirment qu’il est « important de se positionner. Ça fait partie peut-

être de nos lacunes […] on attend les commandes des autres » (Clara, Phase 1). Les

participantes semblent donc prises dans un tiraillement entre se définir à travers une grande adaptabilité à leur contexte, ou plutôt imposer leur définition identitaire, en s’adaptant moins au contexte de travail, mais en tentant de rester plus fidèles à leur conception de ce qu’est leur discipline d’attache. Dans ce qui suit, les deux pôles du continuum de définition identitaire seront détaillés. À la lecture de ces descriptions, il importe de garder en tête que les participantes ne se situent que très rarement à un pôle ou à l’autre, se positionnant plutôt quelque part à mi- chemin entre ces deux extrêmes, intégrant chacune des éléments de ces pôles à différents degrés, et de façon variable lors des entrevues.