• Aucun résultat trouvé

Malgré la pertinence de la méthodologie choisie pour réaliser le présent projet, soulignons que, peu importe les choix méthodologiques, des limites méthodologiques sont à prévoir. Dans ce

107 sens, c’est ici l’atteinte de la saturation théorique qui peut d’abord être nommée comme limite. En effet, en MTE, bien que ce soit l’atteinte de cette saturation qui détermine quand doit prendre fin le projet, il est reconnu qu’il est souvent difficile de déterminer si elle est atteinte ou non (Starks et Brown Trinidad, 2007). En fait, il y a toujours de nouveaux paramètres qui peuvent être ajoutés pour apporter de nouvelles nuances à la théorie émergente. Par exemple, pour le présent projet, les collègues d’autres disciplines des participantes auraient pu être rencontrés pour en savoir plus sur le partage de tâches entre chacun, mieux comprendre comment la perception des uns diffère ou ressemble à celle des autres, ou pour mieux documenter ce qui est entendu par des termes comme « réadaptation » ou « mandat de réadaptation ». S’être limité à des rencontres avec une seule catégorie d’acteurs sociaux impliqués dans la réadaptation en déficience physique limite donc la richesse de la théorie émergente.

Une deuxième limite méthodologique à souligner concerne les rencontres faites par voie électronique ou par téléphone, qui ont entraîné certains défis pratiques et éthiques. Au plan éthique, les défis étaient en lien avec des formulaires de consentement retournés par courriel ou par la poste parfois arrivés après la rencontre, et ceux retournés par courriel ne fournissant qu’une signature électronique. Au plan pratique, nous avons eu des difficultés techniques (connexions internet ou téléphoniques faibles ou peu fiables) et avions un accès limité au langage non-verbal. Nous avons surtout remarqué que ces difficultés faisaient en sorte que la gestion des tours de parole était difficile ; savoir quand l’autre voulait parler, quand l’idée était complète, ou quand le non-verbal apportait une nuance importante était alors un défi plus grand qu’en personne. Par contre, c’est aussi lors de l’analyse que la combinaison de ces difficultés a eu des répercussions, en complexifiant la transcription de certaines entrevues. Ces défis éthiques et pratiques entrainent donc des limites méthodologiques, tant en ayant limité l’accès à certaines

108 données lors des entrevues, qu’en ayant quelque peu limité la fiabilité des transcriptions et de leur analyse subséquente.

Ensuite, une troisième limite méthodologique s’observe en lien avec certaines contradictions, voire même des incohérences, dans le discours des participantes. En fait, ces contradictions et incohérences rappellent la distinction bien documentée entre la pratique et le discours sur la pratique (Couturier et Huot, 2003). Cela nous amène à rappeler que ce qui est documenté ici est non pas l’identité professionnelle des participantes, mais bien leur perception de celle-ci. En effet, étant donné que nous avons choisi des outils de collecte de données se limitant à des entrevues, c’est à leur discours sur leur identité professionnelle que nous avons eu accès (Vermersch, 1994). Y observant des contradictions, il est déjà possible de voir qu’une distance s’installe entre leur discours et leurs actions, mais mesurer cet écart demeure un grand défi et aurait requis l’utilisation d’autres outils méthodologiques pour mieux le comprendre.

La quatrième limite méthodologique à mentionner concerne la possibilité de tirer des conclusions comparatives entre l’identité professionnelle des différentes participantes. En fait, pour mieux comprendre le lien qu’entretient l’identité professionnelle avec l’identité sociale ou les caractéristiques organisationnelles, nous aurions aimé pouvoir regrouper les participantes en sous-groupes selon ces caractéristiques. Par contre, ayant un petit échantillon, il s’avère impossible de rendre ces sous-groupes suffisamment significatifs en quantité pour en tirer des conclusions comparatives. Malgré cela, nous pouvons concrètement observer des différences dans la façon dont se traduit l’identité professionnelle dans différents milieux de pratique et selon les caractéristiques personnelles de chacune. En fait, les différences deviennent parfois si importantes que c’est à se demander si l’identité professionnelle des unes peut réellement se

109 comparer à celle des autres. S’intéresser à ces différences pourrait donc être pertinent dans le futur, pour compenser les limites de la présente thèse.

Une cinquième limite concerne nos critères d’inclusion, permettant à toutes les personnes volontaires qui travaillaient depuis au moins un an dans un établissement membre de l’AÉRDPQ de faire partie de notre échantillon. En fait, au sein de ces établissements, nous réalisons que certains programmes ne se dédient pas à un mandat de réadaptation, mais plutôt à un mandat de maintien des acquis. N’ayant pas refusé d’inclure les volontaires travaillant dans de tels programmes, il est pertinent de souligner que leur identité professionnelle semble teintée de cette réalité organisationnelle différente de celle des participantes travaillant dans des programmes dédiés à la réadaptation. Encore ici, de plus amples recherches à ce sujet seraient pertinentes pour mieux comprendre en quoi ce facteur influence ou non l’identité professionnelle des travailleuses sociales.

Tout cela peut être mis en lien avec les critères de scientificité propres à la logique constructiviste, principalement celui de transférabilité (Gohier, 2004). En MTE, la théorie émergeante doit surtout être représentative du contexte où elle est construite, puisque « theories

are best seen as tools. […] Just as there is no universal tool, so too there are no universally applicable theories. (Not even the most expensive conceptual Swiss Army knife!) » (Bryant,

2009, para. 76). Sachant que les participantes proviennent de milieux ayant des caractéristiques organisationnelles variées, cette transférabilité peut être complexifiée. Toutefois, nous croyons que suffisamment d’informations sont données ici à propos des caractéristiques communes – clientèle, mandat, place du social, etc. – pour permettre une certaine transférabilité. Ainsi, bien que la méthodologie choisie entraine certaines limites quant à la transférabilité des résultats en

110 raison des différences entre les milieux où travaillent les participantes, elle demeure tout de même possible en s’assurant de bien nuancer l’utilisation des résultats dans d’autres milieux de pratique.

Un autre point qui mérite ici d’être mentionné est notre posture d’insider-outsider face au sujet étudié, qui nous positionne en grande proximité avec ce sujet. À cet effet, il importe de garder en tête que tant la proximité que la distance sont synonymes de distorsions, et que ces distorsions peuvent être tant positives que négatives (Racine, 2007). Pour notre part, nos distorsions ont été gérées en s’assurant « que les interprétations et les résultats sont enracinés dans le contexte et les personnes, et ne sont pas le produit de l’imagination du chercheur » (Sylvain, 2008, p. 8). Développer une pratique réflexive de la recherche a permis de satisfaire cette exigence, étant à la fois un moyen d’assurer une pratique éthique de la recherche et un moyen d’assurer une plus grande rigueur dans la pratique de la recherche qualitative et constructiviste (Lalande et Crête, 2015). En fait, c’est dans un mouvement de distanciation de nos idées préconçues et de notre posture, combiné à un mouvement d’enracinement dans les données empiriques que nous avons gérer nos biais dus à notre proximité à l’objet de recherche et en avons ainsi limité les impacts sur la théorisation émergeante.

De la même façon, et toujours en lien avec cette posture d’insider-outsider, une dernière limite qui demande d’être discutée ici concerne notre participation à la première phase de collecte de données. En effet, tel qu’il a été mentionné précédemment, nous faisons partie de l’échantillon de la Phase 1. Pour vérifier l’influence de notre posture d’intervenante-chercheure sur notre discours, nous avons utilisé des stratégies réflexives, principalement la rédaction de mémos analytiques et l’analyse sommaire comparative entre notre discours et celui des autres

111 participantes. Cela a d’abord permis de mettre à l’écrit nos réflexions et notre ressenti en lien avec cette entrevue, pour ensuite prendre une certaine distance avec notre discours et le comparer à celui des autres participantes. Ces moyens ont mis en relief le fait que la construction de notre discours a été influencée par les propos entendus pendant la réalisation des entrevues avec les autres participantes, sans pour autant en changer le sens. En fait, l’analyse sommaire que nous en avons fait a fait ressortir que, puisque notre entrevue était la dernière de la série d’entrevues de la Phase 1, notre discours visait surtout à souligner ce avec quoi nous étions en accord et ce avec quoi nous n’étions pas en accord avec les autres participantes. De ce fait, notre discours a été fidèle à notre position, mais les points sur lesquels nous avons insistés ont pu être choisis en partie en réaction aux propos entendus.

Une autre stratégie utilisée pour limiter l’influence de notre participation à la collecte de données a été la modulation de l’utilisation des données provenant de notre entrevue. En fait, il s’agissait de s’assurer que nous ne mettions pas de l’avant notre position au détriment de celle des autres participantes, en ancrant notre théorisation émergeante sur l’ensemble des données plutôt que principalement sur les nôtres. Pour ce faire, tout au long de l’analyse, nous portions une attention particulière lorsque les conclusions théoriques que nous tirions provenaient de notre entrevue. Nous cherchions alors à corroborer notre discours à travers celui des autres participantes, que ce soit de façon implicite ou explicite. Nous avons alors été rassurée de voir que, bien que notre discours porte notre couleur personnelle, il est partagé par d’autres. Ainsi, avec des mémos analytiques, une analyse sommaire et une utilisation prudente de notre discours, nous croyons que ce choix méthodologique peut présenter une limite à notre recherche, mais que cette limite a été gérée de façon à en réduire les impacts sur les résultats.

112