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LE TRAVAIL, L’ÉCOLE ET LA VIE

Dans le document temps libre (Page 60-63)

DU SYSTÈME DE VALEURS 1

LE TRAVAIL, L’ÉCOLE ET LA VIE

École, identité et représentation de l’avenir

Après la famille, les études sur les jeunes permettent de conclure que l’école constitue un autre milieu de vie tout aussi déterminant dans la construction de leur système de valeurs. Le milieu scolaire peut exercer une influence décisive. Ici, c’est principalement la réussite scolaire qui conduit souvent le jeune à se donner une image positive de lui-même. L’échec scolaire, au contraire, a pour conséquence d’amener le jeune cette fois à tenter de trouver ailleurs d’autres sources de valorisation de lui-même. On l’a vu dans le dernier exemple de ce jeune toxicomane qui fait régulièrement l’école buissonnière. Ce dernier d’ailleurs n’envisage pas d’aller au-delà d’une formation professionnelle, alors que l’étudiante Annie sait déjà qu’elle deviendra pharmacienne un jour ; comme il sera souligné plus loin, l’horizon temporel de l’un et de l’autre n’a pas la même étendue en fonction précisément de la nature des rapports à l’école. L’opposition au milieu scolaire, sinon parfois la rupture, ou encore l’intégration dynamique (et non passive) des valeurs et des normes qui y sont véhiculées contribuent à façonner progressivement l’identité du jeune. La manière dont on se présente l’avenir sous la forme d’un horizon temporel plus ou moins lointain et favorable en est responsable en partie.

Annie, 15 ans, réussit bien à l’école et semble y être heureuse. Elle voit l’école comme un défi et exprime nettement le désir d’apprendre.

Au contraire, pour Denis, toxicomane, l’école est le lieu de tous les échecs ; il n’y va que de temps en temps, surtout quand il fait froid ! Dans un cas, le rapport à l’école, sans être neutre, est mis au compte de la possibilité d’exercer un jour une profession valorisante. Dans l’autre cas, chez le jeune toxicomane, les rapports sont ponctuels, négociés au jour le jour et instrumentalisés à l’extrême : Denis veut n’apprendre que le strict minimum, se débarrasser des matières qu’il juge inutiles, pour aller vite sur le marché du travail. Étant conscient qu’il ne pourra indéfiniment laver les vitres des voitures au coin des rues, il désire au plus tôt faire des stages, de manière à se procurer un minimum vital pour ses dépenses quotidiennes.

Sur un registre que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire, pour certains l’école se superpose aux relations d’amitié. On ne sait plus ce qui l’emporte de l’école ou de l’ouverture au monde extérieur par

L’UNIVERS DU TEMPS LIBRE ET DES VALEURS CHEZ LES JEUNES

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© 2007 – Presses de l’Université du Québec

Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : L’ univers du temps libre et des valeurs chez les jeunes, Gilles Pronovost, ISBN 978-2-7605-1512-3 • G1512N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

l’intermédiaire des relations d’amitié. Ainsi, d’emblée, cette jeune de 14 ans du nom de Betty, élève en 3esecondaire, déclare que ce qui est important pour elle, ce sont ses amis.

Pour moi la première chose que je pense, moi, c’est mes amis. Avant je n’en avais pas beaucoup parce que quand j’étais plus jeune j’étais insociable [rire], je restais repliée sur moi-même, puis depuis que j’ai commencé à avoir des amis que je connais depuis longtemps, bien je le sais pas ça m’a aidée, je suis même pas capable de m’imaginer sans eux.

Dans ce contexte, aller à l’école, c’est retrouver ses amis.

Oui c’est l’fund’aller à l’école parce que dans ma classe avant je ne me faisais pas d’amis […]puis là j’ai eu mon meilleur ami qui est dans ma classe, puis j’ai eu une de mes meilleures amies.

Et puis il y a les cas bien connus d’instrumentalisation de la for-mation scolaire. Poursuivre des études, c’est chercher à en sortir au plus tôt afin d’accéder au marché du travail. C’est ce que dit Charles, ce jeune de 15 ans, à peine en 2esecondaire, qui a sans doute connu des échecs scolaires et ambitionne de devenir mécanicien :

Q :J’aimerais ça savoir c’est quoi ton intérêt à aller à l’école.

R : Ben, c’est pour finir au plus vite.

[…]

R :C’est que je ne suis pas le genre de gars qui aime ça aller à l’école, mais quand même je veux y aller parce qu’il faut que je fasse des études pour devenir soudeur ou mécanicien.

On peut ainsi discerner que les rapports du jeune à l’école inflé-chissent ses représentations de l’avenir. L’univers perçu de réalisation de soi est plus ou moins ouvert ou fermé selon la réussite scolaire et l’instrumentalisation de la formation. Une sociabilité intense qui en vient à se superposer aux ambitions scolaires amenuise le rôle de l’école dans la construction de l’identité. Les rapports scolaires déterminent souvent l’étendue de l’horizon temporel, le temps imparti que perçoit le jeune pour fabriquer son identité. Pour certains le temps presse, pour d’autres l’école s’imbrique dans une vision de l’avenir à plus long terme.

Travail, valeurs

Il en va de même pour le travail, aux effets ambigus. Comme on l’a vu, un très grand nombre de jeunes exercent de petits métiers pendant leurs études. Malgré le caractère précaire de ces emplois, leur faible niveau de rémunération, les jeunes en expriment généralement une vision positive, pour autant qu’elle leur permet de diversifier leur expérience de vie et qu’elle constitue une porte ouverte sur la société de consommation. Le jeune fait ainsi l’expérience progressive de la diversification de ses milieux d’appartenance. Ses expériences de vie, la constitution progressive de ses goûts et de ses intérêts reflètent cette diversification.

En complémentarité ou en opposition au milieu scolaire, la parti-cipation ponctuelle ou régulière au monde du travail constitue ainsi une étape qui peut marquer l’univers des valeurs. Des travaux sur le sujet (Roy, 2004), on peut faire ressortir que la majorité des jeunes qui occupent un emploi le font entre autres pour acquérir une certaine autonomie financière par rapport aux parents. D’autres, plus directs dans leurs propos, admettent carrément que les petits boulots constituent une manière de satisfaire leur appétit de consommation.

Un autre motif relève de l’acquisition d’une expérience minimale de la vie en société et de ses exigences. C’est généralement le fait de jeunes qui ont des ambitions poussées. La majorité de nos répondants expriment également l’importance d’avoir des relations sociales, de fuir une certaine solitude.

Dans la construction du système des valeurs, l’expérience de travail se distingue du rapport à l’école en ce qu’elle est représentée comme une étape dans l’apprentissage direct et immédiat de la vie en société.

L’école, au contraire, suppose une sorte de report de réalisation de soi, accepté et intégré dans un projet de vie pour certains, à écarter au plus vite pour d’autres. L’accès au travail peut donner l’occasion d’intégrer un horizon temporel qui se superpose à celui que l’école permet de construire. Dans ce cas, l’identité du jeune doit être suffisamment forte pour qu’il puisse y intégrer une certaine vision optimiste de l’avenir, voir dans les petits boulots une pièce du puzzle de sa vie, y mélangeant déjà sa participation à l’univers de la consommation, l’amorce pratique d’une certaine autonomie financière, la diversification de son réseau de relations sociales. Si, au contraire, le temps presse (pour des raisons d’échecs scolaires, de milieu familial hostile, par exemple), sur fond

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d’identité précaire ou incertaine, le jeune peut chercher à écourter le passage scolaire, sinon le court-circuiter par une relation plus intense au monde du travail et voir dans l’accès à un emploi, même peu qualifié, un signe de réussite sociale et personnelle.

SYSTÈME DE VALEURS, ENGAGEMENT SOCIAL

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