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SYSTÈME DE VALEURS, ENGAGEMENT SOCIAL ET REPRÉSENTATIONS DE LA SOCIÉTÉ

Dans le document temps libre (Page 63-66)

DU SYSTÈME DE VALEURS 1

SYSTÈME DE VALEURS, ENGAGEMENT SOCIAL ET REPRÉSENTATIONS DE LA SOCIÉTÉ

Les rapports au temps semblent fondamentaux dans le degré de struc-turation des valeurs des jeunes. On l’a vu, un cycle de vie perturbé par des problèmes familiaux ou des échecs scolaires engendre généralement une plus grande difficulté de prendre distance d’avec soi et d’avec les autres. Certaines formes d’engagement social ne semblent possibles chez les jeunes que dans la mesure où ceux-ci parviennent à se former une image cohérente du monde extérieur. La diversité et l’étendue de l’engagement sont également tributaires du même phénomène.

L’exemple de ce jeune de 15 ans, Édouard, qui étudie en 4esecondaire au moment de l’entrevue est significatif. Ce garçon vit avec ses parents, mais voit rarement son père, qui travaille de nuit. Ce qui importe pour lui dans la vie, ce sont le sport et les amis. La famille ne semble pas faire problème, mais elle n’est pas vraiment mentionnée. Sa représen-tation de la société demeure encore imprécise, sinon confuse. Elle demeure là, à l’extérieur de lui, comme quelque chose d’un peu abstrait.

Pour en parler de manière plus directe, il fait référence à ses activités personnelles et à ses goûts.

Q :Peux-tu me dire dans la société en général ça serait quoi les sujets auxquels on devrait accorder le plus d’importance ? R :Bien moi je dis que les jeunes ne font pas assez de sport.

Or ce jeune s’implique certes, mais dans son milieu immédiat, une maison de jeunesoù il a la possibilité de retrouver ses préférences pour des activités sportives.

Ici, à la maison des jeunes, je m’implique gros, je m’implique dans les sports, tout ce qui est sport à l’école, j’essaie de donner un coup de main.

En d’autres termes, cette sensibilité encore peu affinée pour les questions sociales va de pair avec l’absence de préoccupations poli-tiques ou environnementales, par exemple, et conduit à des formes d’engagement dans l’univers immédiat dont il se nourrit pour l’instant.

Tout autre est le témoignage de cette jeune fille de 15 ans, Annie, qui semble bien réussir ses études, a un petit boulot, vient de se faire un petit ami. Elle identifie déjà certaines questions de société qu’elle juge importantes, et ce, pratiquement dans une perspective intergéné-rationnelle !

Q :Si on regarde encore dans la société en général, à quoi penses-tu que l’on devrait accorder le plus d’importance ?

R :Le plus d’importance… aux enfants je pense.

[…]

Q :Est-ce qu’il y a autre chose ?

R :Le plus d’importance ? Aux enfants et à l’environnement, je vais dire les espaces verts puis tout ça aussi, parce qu’avec la pollution, ce n’est pas drôle.

Q :Pourquoi les enfants ?

R :Parce que c’est les générations futures.

Comme il a déjà été signalé, l’horizon temporel dans lequel se situe le jeune demeure fortement tributaire de son expérience de vie. Les rapports au temps et les représentations de l’avenir en découlent. À ce sujet, voici trois témoignages qui indiquent la diversité des situations.

Le cas du jeune toxicomane se situe à un extrême : contexte familial difficile, échecs scolaires répétés, identité incertaine, toxicomanie, refuge dans la marginalité. Il n’y a pas de futur heureux pour un tel jeune, du moins à moyen terme. Contrairement à Annie, qui se voit assez facilement insérée dans un avenir ouvert et heureux, ce jeune-ci prétend que plus la vie continue et moins elle sera heureuse pour lui.

Il n’a d’autre choix que de se « bricoler» une représentation de l’avenir à court terme qui le rassure. Il vend parfois le journal des itinérants, lave les vitres de voitures au coin des rues, parfois se fait passeur de drogue, mais il est bien conscient que cette vie ne pourra durer bien longtemps, ce qu’il explique par la concurrence de plus en plus forte sur ce marché ! Mais il ne souhaite pas se « ramasser dans un bureau avec veston et cravate », travail qu’il identifie à la monotonie et aux ponctions d’impôt qu’il juge trop élevées. À court terme il se dit donc prêt à faire des stages dans des entreprises de récupération, pour éventuellement devenir mécanicien un jour. Là s’arrête son horizon.

L’UNIVERS DU TEMPS LIBRE ET DES VALEURS CHEZ LES JEUNES

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© 2007 – Presses de l’Université du Québec

Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca

Tiré de : L’ univers du temps libre et des valeurs chez les jeunes, Gilles Pronovost, ISBN 978-2-7605-1512-3 • G1512N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

Sur un autre registre, le jeune Édouard, dont on a vu que la repré-sentation du monde extérieur se résume en partie à son univers local, exprime un projet de carrière, mais sans orientation précise.

Le cas d’Annie est typique d’une représentation déjà assurée de son avenir. Comme on l’a vu, elle vit dans un milieu relativement stable, connaît de bons succès à l’école et construit déjà une image de la société en termes de rapports intergénérationnels. Dans ces circons-tances, on comprendra comment elle parvient à exprimer déjà une représentation assez claire de son avenir :

Je veux devenir pharmacienne. Ça fait 2 ans que je suis décidée à devenir pharmacienne, puis j’ai pas d’autres idées. J’ai rien que ça en tête, c’est sérieux.

Sur les fondements d’une identité plus ou moins assurée, fortement tributaire de l’expérience de vie du jeune, tout particulièrement sur les plans familial et scolaire, se dégage progressivement une représentation du monde extérieur que l’on peut associer à la construction d’une certaine vision de la société. Plus cette vision est négative, ou faite de rapports hostiles, souvent d’ailleurs polarisés en termes binaires, plus le repli sur la marginalité risque d’être prononcé et moins il y a place pour une certaine étendue de l’horizon temporel du jeune. Par ailleurs, une représentation relativement assurée de son avenir, une certaine confiance affichée dans la capacité de porter des projets personnels ont pour corollaire des formes d’engagement social dans un univers extérieur perçu comme favorable par le jeune.

Mais qu’est-ce donc que cette « société » chez les jeunes ? Comment les jeunes parviennent-ils à s’en faire une certaine représentation ? On pourrait d’abord signaler que les références des jeunes de notre corpus renvoient à une représentation « en pièces détachées », ce qui est logique étant donné leur âge. La société est perçue par les jeunes comme un univers extérieur à soi, fait de contraintes et de lois, plus ou moins acceptées. Leur vision du politique en constitue une bonne illustration:

la plupart avouent ne pas s’y intéresser, n’y rien connaître ; certains expriment même du dégoût à son égard, tout en reconnaissant que tôt ou tard il faudra bien s’en préoccuper un peu et aller voter! Le politique, la société, ce sont des univers lointains, dont on saisit confusément l’influence sur sa propre vie, tout en refusant d’y voir une nécessité.

Dans certains cas extrêmes, notamment chez les marginaux, une représentation binaire du bien et du mal, de « eux » et « nous », fait office de notion de société ramenée à des phénomènes de pouvoir.

Très souvent, les références renvoient à un univers plus près de soi, à des questions locales, à certaines formes ponctuelles d’engagement, mais il n’est pas assuré que cela relève toujours d’une notion précise de « société ». Seules les questions environnementales, mentionnées par beaucoup de jeunes, y compris par le marginal de notre corpus, de même que le sentiment d’injustices sociales, s’apparentent à une certaine vision d’une société perçue comme une totalité.

LA CONSTRUCTION DES VALEURS À L’ADOLESCENCE :

Dans le document temps libre (Page 63-66)