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ENTRE COMMUNICATION ET SOLITUDE

Dans le document temps libre (Page 137-141)

L’UNIVERS DES JEUNES

ENTRE COMMUNICATION ET SOLITUDE

Toute réflexion sur le sens des autres passe par une étude de leur activité rituelle (Augé, 1994, p. 52).

La communication par chatou celle par courrier électronique sont les deux usages qui croissent de façon continue avec l’avancée en âge.

Seul le téléchargement obéit à une logique semblable. On s’est interrogé sur la signification de cette sorte de communication à outrance que traduisent le chat et la messagerie instantanée. À lire les messages qui sont échangés, dans leur jargon particulier et leur brièveté, certains peuvent même douter qu’il s’agisse d’une véritable « communication ».

Pourtant quelques travaux proches d’une analyse sociologique ou anthropologique (A. Caron, 2005 ; P. Lardellier, 2006) ont souligné que l’envoi et la réception de messages permettaient de tisser ou de confirmer le réseau social du jeune. Par-delà le contenu, c’est la com-munication comme interaction avec les pairs qui semble prédominer.

Communication et lien social demeurent étroitement inbriqués.

On peut le voir par le fait que l’utilisation intensive de la commu-nication par voie numérique est fortement corrélée à la densité du réseau du jeune. Ainsi, ceux qui bénéficient du plus faible indice de soutien sont ceux qui utilisent le moins le courrier électronique et se servent le moins de l’Internet pour leurs études. Les jeunes les plus isolés, en ce qui concerne un réseau de soutien en cas de difficultés, sont ceux qui communiquent le moins. Internet contribue à amplifier les liens existants et révèle en partie la qualité ou la pauvreté du lien social.

Tableau 7.9

Certains usages de l’Internet selon le réseau de soutien social

Études Courriels

% %

Soutien faible (0,1) 50 58

Soutien moyen (2,3) 53 69

Soutien fort (4,7) 59 69

Renvoie au nombre total de personnes différentes auxquelles un jeune peut faire appel en cas de besoin.

X2significatifs.

Il y a ici un paradoxe. Les usages de l’Internet reflètent la nature des liens familiaux et sociaux. Autant de tels usages permettent des pratiques de distanciation par rapport au contrôle parental, par exemple, autant ils reflètent en même temps la nature « communicante » ou non,

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Tiré de : L’ univers du temps libre et des valeurs chez les jeunes, Gilles Pronovost, ISBN 978-2-7605-1512-3 • G1512N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

éducatrice ou permissive, des liens familiaux. Tout au long du parcours qui voit le jeune chercher à affirmer progressivement ses goûts et ses intérêts, tout particulièrement en dialectique, sinon en opposition avec l’univers des adultes, le maintien d’un réseau de soutien et d’entraide constitue une pièce maîtresse pour cette quête d’identité. La densité et sans doute la qualité des relations familiales se reflètent dans les pratiques de communication du jeune.

Par rapport à l’importance extrême des communications avec les pairs, on a souligné le rôle de l’Internet dans le maintien du lien social, dans l’affirmation et la sauvegarde du réseau d’amis, dans la reconnaissance identitaire qui les sous-tend (Lardellier, 2006).

« Socialité de 2eniveau », l’interface multimédia s’ajoute au face à face, qu’elle prolonge, confirme et conforte. En d’autres termes, l’Internet amplifie un réseau préexistant bien plus qu’il contribue à créer de nouveaux liens.

De façon plus fondamentale encore, la communication chez les jeunes renvoie sans doute à une activité rituelle productrice de sens et d’identité. Comme l’ont montré André H. Caron et Letizia Caronia (2005), les nouvelles pratiques de communicationsont faites d’un usage intense des dernières technologies, au point qu’elles recouvrent prati-quement l’entièreté de la vie quotidienne des jeunes. Elles manifestent également un rapport presque fétiche aux objets de communication, qualifiés de techno-objets énonciateurs d’usage (p. 47). S’ajoute la cons-truction d’un langage plus ou moins hermétique au non-initié. Et c’est sans compter les divers rites de passage que marque l’acquisition ou l’entrée dans la culture du jeune de tel ou tel objet: il y a d’abord l’ordina-teur qui se manifeste dès l’enfance ; puis le cellulaire, marquant l’entrée dans le cycle d’une adolescence plus autonome ; puis l’utilisation de la messagerie instantanée ; puis le déclin du jeu vidéo, etc. L’anthro-pologie nous a appris que c’est ainsi que se construit le sens social.

Le sens social s’ordonne donc autour de deux axes. Sur le premier (que l’on pourrait appeler axe des appartenances ou de l’identité), se mesurent les appartenances successives qui définissent les diverses identités d’un individu. Il va du plus individuel au plus collectif et du moins englobant au plus englobant. Le second (que l’on pourrait appeler axe de la relation ou de l’altérité) met en jeu les catégories plus abstraites et plus relatives du même et de l’autre, qui peuvent être individuelles ou collectives. Notre hypothèse est que l’activité rituelle, sous ses diverses formes, a pour objet essentiel la conjugaison et la maîtrise de cette double polarité (Augé, 1994, p. 50-51).

Communiquer par Internet révèle pourtant toute la fragilité du lien social qui y est ainsi entretenu. D’abord c’est souvent moins le contenu de la communication que l’acte même de communiquer qui semble compter. La communication électronique s’apparente souvent à un jeu, c’est-à-dire s’échanger des propos qui importent peu, se complaire dans le maniement des touches du clavier, insérer une communication au hasard d’une autre activité (lire, regarder la télévision, faire des travaux scolaires…) que l’on interrompt momentanément. Il peut même s’agir de contacter un ami en sachant que les propos qui seront tenus seront sans importance, sans conséquence, sans véritable but précis.

Privilégier Internet pour la communication, c’est aussi se donner la possibilité de rompre le lien à tout moment, de filtrer les messages, de refuser la communication. On reste maître de l’échange ou du non-échange. Tout chaleureux qu’il soit, le lien social peut être rompu d’un simple clic.

Il semble également que l’on privilégie le culte de l’instant. Avec la messagerie instantanée tout particulièrement, les jeunes cherchent en quelque sorte à échapper aux contraintes de la communication vocale, par laquelle on n’est jamais certain de pouvoir joindre une autre personne. Laisser le message sur le répondeur ne contribue qu’à retarder le contact, sans maîtrise du moment du retour. Avec les ressources de l’Internet, ce qui est communiqué est vite reçu et tout aussi vite repris.

D’où la popularité du chatet de la messagerie. En dernier recours on se résoudra à expédier un courrier électronique, synonyme d’attentes.

Ce qui est communiqué ne doit souffrir d’aucun délai.

Caractère à la fois ludique et identitaire de la communication, affirmation du lien social et culte de l’instant, ritualisation de la com-munication comme pratique structurante des appartenances sociales, tel est sans doute une partie du sens de ce que communiquer veut dire chez les jeunes.

Il y a plus encore. Communiquer par Internet, c’est aussi jouer son propre personnage, identique ou inventé, pour un auditoire, réel ou fictif. Il est bien connu que de nombreux jeunes (et autant d’adultes !) s’amusentà se créer une identité fictive, dans une sorte de jeu proche de la performance théâtrale. Ici, le jeune parvient à se dédoubler en un autre, imaginé, souhaité, détesté. L’ambivalence d’une telle situation tient au fait qu’elle tient à la fois de l’activité créatrice et de la distancia-tion avec soi-même. Dans le premier cas, l’imaginadistancia-tion, au pouvoir, peut

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Tiré de : L’ univers du temps libre et des valeurs chez les jeunes, Gilles Pronovost, ISBN 978-2-7605-1512-3 • G1512N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

être tout autant source de production symbolique que de dénégation de soi, de création artistique que de péril extrême. Dans le second cas, le jeune confirme sa capacité à s’aventurer au-delà de lui-même.

Quant à cet auditoire, réel ou inventé, il raffermit le cercle d’amis dans certains cas, il renvoie à un public fictif dans d’autres, sans que l’on puisse toujours distinguer l’un ou l’autre.

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