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1.2 Le transport non institutionnel : s’arrêter sur une défi nition, mais souligner les diversités

1.2.2 Le transport artisanal dans le monde : diversité et lignes direc trices

Des bus, des minibus, des voitures, des mototaxis ...

Les différents véhicules utilisés dans le transport artisanal interpellent par leur diversité. Les types de véhicules utilisés vont du bus de grande taille à la mototaxi en passant par tous les modèles de minibus et de camionnette. Cependant, l’observateur averti constate que seules quelques marques sont présentes au-delà des multiples transformations, réparations et personnalisations des véhicules. La faible variété des marques et modèles à échelle mondiale est révélatrice d’enjeux globaux. Le succès du modèle hiace de Toyota demeure incontestable puisqu’il est présent a minima de Lima à Jakarta en passant par Managua, Port-au-Prince et Brazzaville. L’étude de filières des véhicules révèle des schémas économiques aux enjeux internationaux [Tastevin, 2012]. Ainsi, des motos-taxis congolais aux autoricksaw indiens il n’y a qu’un grand pas, effectué par les relations commerciales qui passent par la Chine et inondent le marché de petits véhicules à moteur. Les relations géopolitiques et l’aide au développement apparaissent dans la présence d’anciens bus de la RATP à Abidjan ou de school busesétats-uniens blue-birds dans toute l’Amérique du Sud. L’influence actuelle des grands pays asiatiques sur le continent africain se distingue également grâce à la prolifération des autobus chinois en Ethiopie [Consultants, 2005] et des Tata en Afrique et à Madagascar [Goldstein and Lemoine, 2014].

Apparition et structuration des transports artisanaux

Les systèmes qui incluent du transport artisanal sont issus pour la plupart de la dégradation de services totalement institutionnalisés [Godard, 1994]. En effet, des systèmes de transport institutionnels sont en place dans de nombreuses villes depuis le début du XXèmesiècle. Un

siècle plus tard, ils ont subi de nombreux changements marqués par un passage généralisé du service public à la domination du secteur privé. Quelles que soient la temporalité et l’échelle de gestion des transports institutionnels, les politiques de libéralisation économique, promues notamment par la banque mondiale au début des années 1990 [Gwilliam, 2002], entraînent

FIGURE 1.3 – Schéma en spirale de l’histoire des systèmes de transport collectif [Godard,

1990]

une libéralisation des transports collectifs et un désengagement de l’État dans de nombreuses régions. Les transports publics se dégradent et ne sont plus en mesure d’assurer correctement le service. Des solutions alternatives apparaissent et concurrencent le système institutionnel de plus en plus vulnérable. Cette situation aboutit à l’arrêt de l’exploitation de transports collectifs publics. Les transports artisanaux deviennent ainsi le service en place. Ce processus a été formalisé par [Godard, 1990] au moyen de ce schéma en spirale (Figure 1.3). Il propose une vision dans le temps de l’évolution des systèmes de transport. Cette grille de lecture se fonde sur l’alternance entre des systèmes institutionnels et des systèmes artisanaux avec des périodes de cohabitation transitoires.

Les processus sont variés, mais la dynamique globale reste la même quel que soit l’exemple choisi. Dans le cas du Brésil, la première étape a consisté en une relocalisation des responsabi- lités au niveau des communes, sans transfert de ressources financières au début des années 1980 [Arago et al., 1994]. Ces entreprises publiques entrent dans une phase de crise dans les années 1990. La concurrence des transports artisanaux et la crise économique mettent en difficulté les municipalités qui ne reçoivent plus de subventions nationales pour leurs

transports urbains [Pacheco and Henri, 1994]. Ce processus entraîne une fermeture progressive des entreprises publiques et laisse le secteur aux acteurs privés. La libéralisation progressive a également eu raison du système de transport public de Santiago du Chili dans les années 1990 [Figueroa, 2005]. Celui-ci disparaît au profit de transporteurs artisanaux. Aujourd’hui que ce soit à Santiago ou dans certaines villes brésiliennes, de nouveaux services de transports publics sont mis en place. Ils tentent de faire disparaître l’artisanat et de l’intégrer dans un secteur privé structuré. La complémentarité qui constitue l’aboutissement de la spirale de X. Godard n’est pas encore atteinte. De nombreux conflits d’usages opposent les différentes dimensions du transport collectif aujourd’hui [Salazar Ferro, 2014]. D’autres pays, comme l’Algérie [Matouk and Abeille, 1994], ont instauré des transports publics dans la seconde moitié du XXème siècle, mais la tendance à la fin du siècle est à la fermeture progressive

face au désengagement de l’État et la concurrence de transporteurs artisanaux, légaux et illégaux, de plus en plus nombreux. Il en va de même ailleurs sur le continent africain où les transporteurs privés dominent le secteur comme à Abidjan et Dakar [Lombard, 2006]. Cependant, la présence de transport artisanal en Afrique tout au long du XXèmesiècle pose la

question de la réelle efficacité des services publics qui ont été mis en place. L’inadaptation des systèmes institutionnels à un secteur originellement fragmenté a entraîné leur disparition tout autant que le désengagement de l’État [Behrens et al., 2012].

Des organisations multiples et mouvantes

Aujourd’hui, la structure organisationnelle de ce secteur varie, et avec elle le degré de contrôle et de planification. La revue bibliographique de Pablo Salazar Ferro [Salazar Ferro, 2014] permet de souligner la variété des transports artisanaux (Figure 1.4).

FIGURE1.4 – Niveau de régulation des services du transport collectif artisanal [Salazar Ferro,

Sur le plan économique ou organisationnel comme dans le rapport aux institutions, les situations sont très variées, parfois dans une seule ville. Ainsi à Agadir, quelqu’un peut être à la fois chauffeur d’un taxi collectif, propriétaire du véhicule et titulaire de l’autorisation de circulation auprès des autorités. Mais il peut aussi s’agir de trois personnes différentes. Les relations entre ces acteurs du service sont également diverses avec des locations de véhicule d’un côté et des emplois salariés d’un autre. Les mototaxis du Bénin n’obéissent à aucune réglementation particulière alors que celles du Burundi ont des chauffeurs casqués et assurés qui payent une taxe de circulation à l’État et une taxe de stationnement à la mairie [Dougueli, 2016]. En ce qui concerne les organisations professionnelles, les artisans du transport collectif de Jakarta sont regroupés en syndicats [Desmoulière, 2016], contrairement à ceux de Brazzaville qui évoluent de manière isolée.

Pablo Salazar Ferro a construit une gradation de la régulation dans les transports artisanaux (Figure 1.4). Celle-ci illustre la variété des situations observées et la difficulté de construire une grille de lecture commune. Il dégage trois critères pour définir ce niveau de régulation : qualité et sécurité du service, nombre de véhicules par ligne ou réseau et tarification. Ces critères ont l’avantage d’être documentés sur tous les cas étudiés. Il est en effet bien difficile d’obtenir des informations sur l’existence de lignes ou d’arrêts et sur leur réel impact sur l’opération du service ; ou sur les règles liées à l’emploi dans le secteur ... Cette étude a le mérite de proposer une réflexion thématique à partir de nombreux cas et de tenter une théorisation globale. Elle permet de souligner la difficulté d’accès à l’information pour penser les modes d’organisation et de régulation, au-delà de l’aspect économique. D’autre part, la diversité des situations de régulation est indéniable.

Les transports artisanaux apparaissent au terme de cette réflexion peut-être plus foisonnants qu’à la première évocation du terme. Ce phénomène est certainement caractérisé par sa pluralité. En effet, si le secteur se définit par l’éclatement de la propriété et l’autonomie des équipages de véhicules, il recouvre de nombreux modes d’organisation, de régulation, des trajectoires historiques et des dimensions techniques variées. Les phénomènes que nous étudions sont donc au croisement de plusieurs concepts : les transports non institutionnels sont composés, entre autres, des transports informels et des transports artisanaux. Ces deux dernières notions recouvrent parfois la même réalité. Cet enchevêtrement conduit à penser un équilibre entre nomothétie et monographie, afin de porter une réflexion large et suffisamment nuancée. Proposer un travail de recherche sur ce thème nous place ainsi en équilibre entre deux pôles : une tendance au structuralisme, en recherche de définitions précises et exhaustives ; et une aspiration post-moderne qui se contentera d’accepter le léger flottement qui règne encore

autour du transport artisanal. Voyons comment s’étudie ce phénomène et quels sont les enjeux de ces travaux avant de nous intéresser à notre positionnement.

1.3 Étudier le transport artisanal : quels défis, quelles solu-